Peut-on entreprendre humainement ?

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Peut-on faire de l’argent sans marcher sur les autres ? C’est, dans le langage des indignés, la question à laquelle tente de répondre Abdejlil Lahjomri qui quitte dans ce texte sa zone de confort intellectuel, le littéraire imbriqué au sociétal, en se demandant si l’on peut entreprendre humainement. Une façon pudique de poser la question abruptement : Le capitalisme est-il moral ? Dans sa manière et son style de répondre à la question perce de la « fausse modestie », une coquetterie qu’il faut pardonner au secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume. Car dans ce texte, il interpelle un thème au centre des préoccupations des femmes et des hommes qui doutent du présent et ont peu de confiance en l’avenir. Alors que le monde est secoué d’un bout à l’autre par les spasmes de la pandémie provoquée par le coronavirus, qu’ensemble ou chacun dans son coin on s’interroge sur l’après Covid-19, qu’on se prend à espérer ou à ne pas y croire, que bien auparavant une sérieuse vague de remise en cause du capitalisme triomphant a agité et continue les couches sociales les plus défavorisées, que la contestation des ordres établis est devenue pratiquement l’évènement le mieux partagé par les populations de notre mère la terre, Abdejlil Lahjomri explore dans cet essai documenté la question de l’éthique en économie dans un monde qui fait de moins en moins confiance à « la main invisible » chère à Adam Smith pour réguler le marché et réparer ses injustices. (NK)

Fragment 1

Si je me permettais de poser la question « Peut-on entreprendre humainement ? »  à la première personne que je rencontrerai sur mon chemin, spontanément cette personne répondrait par l’affirmative, oui on peut entreprendre humainement.  Tout un chacun en conviendrait au fond de lui-même, tout naturellement, oui on peut entreprendre humainement.  D’où vient alors si tout naturellement, tout spontanément, tout simplement, la réponse est positive, que dans des établissements de formation au management, on se pose cette question et on réunisse des spécialistes pour en débattre ? Interrogation naïve sans doute.   Et à cause de cette naïveté, je me suis dit que si dans un cursus de formation on choisit d’organiser des rencontres autour de cette interrogation, c’est que l’on veut faire prendre conscience aux apprenants que dans le monde qui sera le leur demain quand ils quitteront leurs établissement, ils devraient en acteurs économiques dans leur société agir humainement, être au service de l’homme, mettre l’homme au centre de leur entreprise, œuvrer pour le bien être des hommes, beaucoup plus que pour le profit d’un seul ou de quelques-uns.  Non seulement on introduit ainsi l’éthique dans le cursus de formation (j’emploierai le mot éthique et le mot morale indifféremment), mais surtout on essaie de répondre à notre question que je reformulerai ainsi : le monde des affaires est-il un monde humaniste ?

 Autrement dit, pourquoi des instituts organisent-t-ils des séminaires sur ce sujet, et pourquoi, créerait-il, dans d’autres cas, un cursus d’éthique philosophique destiné aux managers ?

Ne serait-ce pas plutôt parce que la réponse à la question qui nous rassemble est non, on ne peut pas entreprendre humainement, qu’il faut pour cela une formation, que si l’enseignement des écoles de managers prédispose à former de bons managers, il n’est pas prédisposé à former des managers humains, qui répugnent à des comportements répréhensibles aux yeux de la morale et de la loi. Que si l’école apprend à l’étudiant comment faire des affaires, elle ne lui apprend nullement comment les faire humainement, et que faire avec humanité.  C’est pour cela que depuis les années 70, on voit ainsi émerger un enseignement de l’éthique dans les établissements de formation au monde des affaires.

Ou ne serait-ce pas parce que l’interrogation essentielle, qui devrait nous préoccuper mais à laquelle il faudrait consacrer plus d’un séminaire, devrait ainsi être formulée, le libéralisme économique est-il un humanisme ? Le capitalisme est-il un humanisme ?  Ou pour aller plus loin ? Plus loin certes : comme vient de le faire André Comte Sponville, le capitalisme est-il moral ?  Et nous voilà rapidement au centre de la rencontre de l’économie et de l’éthique, des affaires et de la morale, de la fin des utopies collectivistes, de leur remplacement par l’émergence du concept de l’économie humaniste, d’une économie à visage humain, de l’économie socialement responsable, de l’économie humainement responsable.

Fragment 2

Depuis l’effondrement du communisme, la chute du mur de Berlin en étant le symbole le plus signifiant, c’est un même modèle économique qui s’installe dans la mondialisation du comment faire. Les pays, les Etats et les sociétés ont le même projet et Jean Claude Guillebaud dans son étude « la Refondation du monde » explique ainsi l’annonce faite par Francis Fukuyama de « la fin de l’histoire ».  « L’Histoire n’est pas finie au sens événementiel du terme, il y aurait encore des séismes et des violences, mais l’histoire est achevée pour ce qui est du sens, du projet. Sur le plan théorique la démocratie, la société ouverte et le marché ont triomphé de leurs ennemis ». Le monde des utopies est fini. Ou alors, s’il y a une nouvelle utopie, c’est bien celle qui sous-tend notre question de ce soir et que l’on pourrait résumer ainsi en paraphrasant J.C. Guillebaud « le marché croit dur comme fer que la raison économique est capable de transformer l’intérêt égoïste de chacun en bien pour tous. Il entend asseoir la prospérité de tous sur l’intérêt bien compris de chaque individu ». Et cette nouvelle utopie fait surgir de nouveaux concepts comme l’investissement socialement responsable, l’entreprise socialement responsable, une entreprise juste, dans une nation juste et dans un monde qui serait aussi juste.  Notre interrogation retrouverait dans une convergence heureuse, la préoccupation qui a été à l’origine d’un programme de formation d’une université belge :

« Peut-on transposer au niveau d’une organisation privée ou publique les critères de justice d’une nation pour définir ce qu’est une « entreprise juste ». Peut-on extrapoler ces critères à l’échelle planétaire pour répondre à la question de savoir ce qu’est « un monde juste ».  On le voit donc, la question choisie est complexe, ambiguë, suscite plus d’interrogations qu’elle n’offre de réponses, plus d’incertitude que de vérités, plus de doute que de conviction, puisqu’elle rejoint la réflexion du professeur René Basset sur «l’émergence contemporaine de l’interrogation éthique en économie » et surtout celle de André Boyer sur « l’impossibilité éthique des entreprises », qui a comme sous-titre « Réflexions sur une utopie moderne ».

Tenter de répondre à la question telle qu’on la pose - « peut-on entreprendre humainement ? » - c’est croire imprudemment qu’introduire l’éthique dans l’économique, c’est pourvoir cette utopie moderne, des outils instrumentaux qui fonderaient sa réussite. C’est surtout aller à l’encontre de la pensée d’Adam Smith, le vrai père du libéralisme dans « Enquête sur la nature et les causes de la richesse des nations » en « croyant que c’est de la bienveillance du boucher, du brasseur, du boulanger que nous allons attendre notre dîner mais pas du souci de leur intérêt propre », André Comte Sponville le dit autrement et plus brutalement  (j’achète la baguette par intérêt, ma boulangère me la vend par intérêt, si je comptais sur sa générosité pour avoir du pain, je serai mort de faim). 

Fragment 3

André Comte Sponville rapporte ce propos de Michel Serres : « il y a trente ans lorsque je voulais intéresser mes étudiants, je leur parlais politique, lorsque je voulais les faire rire, je leur parlais religion. Aujourd’hui, c’est l’inverse lorsque je veux les intéresser, je leur parle religion, lorsque je veux les faire rire, je leur parle politique » …. André Compte Sponville rapporte ce propos pour nous convier à être prudent et à éviter les confusions des ordres, des genres et des domaines.  Il affirme : « de même qu’il était absurde dans les années 60 de vouloir résoudre tous les problèmes par la politique, de même qu’il était absurde dans les années 90 de vouloir résoudre tous les problèmes par la morale ou l’humanitaire, il serait évidemment absurde aujourd’hui de vouloir résoudre tous les problèmes (y compris économiques) par de grandes invocations à la vie spirituelle ». Et la thèse qu’il défend dans son opuscule « le capitalisme est-il moral ? » est maintenant connue par le grand public, puisque sa publication a été relayée par de nombreuses émissions et interviews.  On peut la résumer ainsi en simplifiant beaucoup : Non, le capitalisme n’est pas moral, il n’est pas immoral non plus, il est amoral, il est hors de toute morale. Le capitalisme appartient à l’ordre du technique, une technique d’efficacité comme la médecine, et il distingue les trois ordres qu’il ne faudrait pas confondre, ceux de la technique et du scientifique, du juridique et du politique, et de l’éthique et des exigences de la conscience.  Nous ne nous attarderons pas sur les développements d’André Comte Sponville, mais, nous dit-il, distinguer ces ordres permet d’y voir clair.  Un bon médecin n’est pas un médecin bon, un bon manager n’est pas un manager bon.  Le capitalisme est un système économique efficace, le plus efficace puisqu’il a triomphé de tous les autres.  Il ne secrète aucune morale, aucune éthique, c’est un outil, une technique qui doivent être encadrés par des lois, et ces lois ne sont pas le produit de cet outil. Elles lui sont extérieures.  S’occuper des salariés licenciés, comment s’en occuper, est un devoir moral, licencier ou délocaliser pour rester efficace est de la bonne gestion.  Lisez André Comte Sponville.  Il répond mieux que je ne saurai le faire à notre question, lisez aussi Pascal comme il le conseille, mais prudemment, ce qu’il ne conseille pas, je dirai en conclusion pourquoi.

Fragment 4

La question qui nous préoccupe, nous l’avons vu, peut aussi se dire ainsi : « Peut-on humaniser le capitalisme ? » Et si la réponse s’avérait positive, quels sont les outils que les mécanismes du marché ont inventés pour que « l’entreprise soit ou devienne une entreprise citoyenne ?  Et pour que le manager soit ou devienne à la fois un bon manager et un manager bon ?  Comment en termes de management, selon l’expression d’Ivan du Roy, investir éthique ? »

L’éthique a investi la finance et l’on parle de finances éthiques.  Si je m’aventurais dans ce domaine je me hasarderais dangereusement dans un domaine que d’aucuns connaissent mieux que moi mais le néophyte que je suis se permettra et s’en contentera de poser les questions.

Cet outil appelé « investissement socialement responsable » me permet-il de bien savoir à quoi sert mon argent, par exemple ?

Qu’est-ce qu’un fond dit éthique, que proposent les cabinets conseils, les banques ou les assurances ?

Yves Gautier dit que « vendre une boîte de ravioli, ce n’est pas comme vendre de l’éthique.  On trompe les gens sur leurs croyances, ajoute-t-il et il nous donne cette statistique inquiétante.  En France le forum sur l’investissement responsable propose un code de transparence, seules deux sociétés de gestion sur trente l’ont pour l’instant signé ».

Je ne veux pas que mon argent serve un investissement quelconque dans l’alcool, le tabac, l’armement, dans les sociétés qui font travailler les enfants, dans les jeux de l’argent et du hasard.

On me dit que l’entreprise socialement responsable ou mieux l’investissement éthique respecte les critères sociaux, environnementaux, les partenaires, les salariés, les clients, participe à la vie de la cité et surtout élabore et applique des chartes éthiques, et ainsi participe à la sauvegarde de l’harmonie de la société. Mieux on me dit aussi que le concept lui-même évolue et que l’ISR évoluera encore et que des fonds thématiques ISR font leur apparition avec la problématique du changement climatique et de la protection de l’environnement, on me dit tellement de choses que je finis par me poser la question ?   Qui éduque les éducateurs comme le disait Marx ?  Et quid du droit de regard ?

Heureusement que je n’ai pas d’argent à investir parce qu’à la lecture de l’enquête d’Ivan du Roy sur le secteur de l’investissement socialement responsable ou l’éthique est, lui semble-t-il, à géométrie variable, j’aurai peur et peur aussi pour le vôtre si vous en avez et que vous l’ayez placé dans cet outil inventé pour humaniser le capitalisme.  Dans son blog Thierry Klein affirme que la « refondation du capitalisme n’aura pas lieu » et il ajoute, dans ce texte écrit le 12 Janvier 2009 : « les subprimes, Madoff, le lait frelaté en Chine, tous ces exemples qui impliquent Est et Ouest, secteurs financiers et industriels, directions et rouages subalternes de l’entreprises montrent bien qu’il est illusoire de vouloir contrôler l’activité capitaliste d’une société au nom de l’éthique ».

Fragment 5

Et pourtant, si l’on désespère à la lecture de l’étude de André Boyer, intitulée « l’impossible éthique des entreprises » réflexions sur une utopie moderne, on se met par contre à espérer à la lecture de l’étude de René Basset intitulée « l’émergence contemporaine de l’interrogation éthique en économie ».  Dans la préface à cette étude le responsable du programme « éthique économie » de l’UNESCO écrit ceci : « l’économie ne peut en aucune façon être considérée comme une science amorale comme d’aucun s’emploient à le rappeler (André Comte Sponville).  L’économie étant le produit d’une société, elle ne peut être autonome de la morale et du politique.  Un des enjeux majeurs de notre époque consiste à savoir comment dans une économie mondiale fondée sur la suprématie du marché les différents acteurs économiques, peuvent-ils assumer leurs responsabilités éthiques ».

D’emblée le professeur René Basset emboitant le pas à son préfacier rappelle l’affirmation du prix Nobel de l’économie Amartya Sen : « l’économie est une science morale » et renvoie à ses œuvres (éthique et économie) et l’économie est une science morale et nous annonce l’idée essentielle de son étude : « si la finalité de l’économie est la satisfaction des besoins humains, il est deux façons d’apprécier l’accomplissement de cette finalité, écrit-il :

-  Pour les uns aujourd’hui encore largement dominants, c’est essentiellement à travers la performance de l’instrument productif que l’on appréciera cet accomplissement, la rationalité économique est avant tout instrumentale.

-   Pour les autres, c’est seulement au niveau de la finalité humaine et en termes d’accomplissement de cette finalité que l’on peut poser les critères permettant d’assurer (critères de choix) et d’apprécier (critères d’évaluation) la performance de l’appareil économique.

-  Je voudrais conclut-il dans son introduction montrer que le temps de la rationalité instrumentale est révolu et que si elle fut longtemps légitime les conditions qui la justifiaient ont aujourd’hui disparu ».

Espérance plus qu’utopie d’une économie de marché à visage humain, d’un nouvel humanisme, d’une « société ouverte » selon l’expression de Karl Popper, espérance d’une « démocratie de marché » humaine et humanisante.

Les débats confirmeront cette espérance ou l’infirmeront. Il me faudra conclure et comme je vous avais promis en conclusion de vous dire pourquoi contrairement à André Comte Sponville, je conseillerai à un entrepreneur en humanité de lire modérément Pascal, je vais le faire en prenant les précautions d’usage quand on tente de parler du génial solitaire de Port Royal.

Fragment 6

André Comte Sponville est philosophe.  Et le livre dans lequel il conseille au manager de lire et de se familiariser avec Pascal est le fruit de ses conférences auprès d’un public de chefs d’entreprises, d’étudiants en économie, de financiers.  Cette expérience est révélatrice d’un double investissement : c’est la philosophie qui investit le champ de l’économique, et le monde économique qui investit le champ de la réflexion philosophique. Le spectacle est alors édifiant : l’on voit ainsi fleurir un peu partout des rencontres, des séminaires, des journées de réflexions, des colloques sur des thèmes évocateurs comme l’autorité, la hiérarchie, le pouvoir, l’amour, le sens de la vie. L’on voit curieusement des entreprises faire appel à des cabinets de philosophie (je ne savais pas qu’il y en avait, des cabinets de philosophie), et je ne savais pas non plus que certains d’entre eux pressentaient dans l’air du temps que le « manager philosophe » était une espèce en voir d’apparition.  Il y en a même qui affirmeraient que dans le cadre de leur formation les futurs managers auraient plus besoin de philosophie que de comptabilité.

En attendant nous voyons André Comte Sponville conseiller à ce futur philosophe de lire et de se familiariser avec Pascal.

Je ne m’aventurerai pas dans le débat pour ou contre la philosophie dans l’entreprise. Comme dans tout débat de ce genre, complexe et ambigu, il y a ceux qui sont pour et ceux qui sont contre.

Jacques Bouveresse, professeur de philosophie au Collège de France est contre : « il existe un énorme malentendu, dit-il. L’entreprise n’a pas grand-chose à voir avec la vraie philosophie.  Je ne suis pas du tout convaincu que les dirigeants soient intéressés par le travail philosophique…. Un intellectuel ne peut être que protestataire envers le système actuel et l’injustice sociale ».

Jean-Pierre Le Goff, sociologue et professeur de philosophie à Paris I est pour à condition de ne pas céder aux sirènes de la mode.  Il dit : « avec trois formules de Platon, deux formules de Descartes, on ne peut s’improviser philosophe… Mieux vaut des discussions de fond avec des gens venus d’horizons très différents. Et les amener à s’interroger sur les finalités de leur activité… ».

André Comte Sponville dans l’exemple qui est le nôtre et le conseil qu’il donne au manager de s’inspirer de Pascal aurait dû se parer de plus de prudence, ou en tout cas lui conseiller de s’en inspirer avec une distance critique.

Pascal dans les (Pensées), ouvrage remarquablement riche s’il en est, fervent Janséniste comme nous le savons, peut aider un chef d’entreprise, un chrétien ou même un laïc dirigeant à réfléchir sur les finalités de son action dans sa société et dans le monde.  Mais parce qu’il y un mais, Pascal est comme tous les penseurs de son temps prisonnier de la représentation stéréotypée et mythique, (dans le sens que Roland Barthes donne au mot mythologie), que son temps a du monde et surtout de l’Autre en ce monde.

L’Autre qui était lointain, parqué, distancié est là maintenant tout proche, dans l’entreprise, c’est l’immigré, intégré ou pas, ou qui refuse cette intégration. Il est l’outil technique, laborieux dont la présence est utile et nécessaire pour le profit, mais présence inquiétante pour la conscience, puisque dans l’intégration qui lui est proposée, il faudra tenir compte absolument de ses angoisses et de ses croyances identitaires.

Dans ce capitalisme qui se cherche un visage humain, dans ce siècle qui appelle plus de spiritualité, plus d’humanité, dans le monde des entreprises investi par le fait religieux (se référer au titre malheureusement accrocheur de Dounia et Lydie Bouzar « Allah a-t-il sa place dans l’entreprise), quelle serait l’attitude du chef d’entreprise qui se piquerait de philosophie et suivrait le conseil d’André Comte Sponville, quand il rencontrera dans l’œuvre de Pascal, cette pensée parlant, inconsidérément du prophète de l’Islam. 

 -«  Mahomet en tuant, J.C. en faisant tuer les siens

- Mahomet en défendant de lire, les apôtres en ordonnant de lire ».

Ce sont là les préjugés du siècle de Pascal, un siècle héritier des Croisades.  Mais n’est-ce pas ainsi que la conscience occidentale de notre siècle à nous, aujourd’hui relayée par de puissants médias, dans ce monde calciné qui est le nôtre, présente, voit et craint la croyance et la foi de l’autre qu’elle invite chez elle, pour ne pas dire qu’elle convoque chez elle pour plus de profit économique, de profit pour elle.

Il y a là conjonction malheureuse entre la représentation que les « Pensées » avaient confortée auprès des lecteurs du temps de Pascal et celle qui se développe sous nos yeux avec autrement plus de puissance que la puissance de l’écrit.

Comment le chef d’entreprise pascalien d’André Comte Sponville gérera-t-il cet ouvrier ? Devenu un autre lui-même, (« soi-même » comme un autre P. Ricoeur), comment traitera-t-il avec clients et partenaires, s’ils sont d’une croyance différente de la sienne et que condamne pour lui l’autorité du penseur recommandé.

Voyez-vous le conseil d’André Comte Sponville est malheureux et il vaudrait mieux éloigner le monde de l’entreprise du champ philosophique, et le champ philosophique du monde de l’entreprise. 

Si je devais donner un conseil de lecture philosophique à un chef d’entreprise, curieux des idées de son temps, ce qui serait un peu présomptueux de ma part, je vous le concède, mais je le fais quand même parce que j’ai l’excuse d’introduire le débat, je lui conseillerai de prendre comme livre de chevet pour quelque temps non pas les « Pensées » de Pascal, mais l’étude de Paul Hazard sur les origines de la crise de la conscience occidentale.

Mais je suppose qu’il n’aura pas le temps, occupé qu’il est par les fluctuations boursières, et les crises qui n’ont pas finies de s’annoncer.

Tags : Capitalisme moral profit