chroniques
Quand au Maroc on assassine les sourires
Par Ahmed Charaï - La pensée Jihadiste, Takfiriste, existe partout dans la sphère publique, avec une grande mansuétude des autorités. Le fait terroriste n’est que la conséquence de cette pensée. Or la lâcheté est à tous les étages
Le crime d’Imlil, dont les deux victimes sont des touristes, est bien d’inspiration terroriste. Les auteurs ont filmé l’horreur et l’ont postée sur internet, ceux qui l’on vue, par curiosité morbide, sont lourdement affectés. C’est d’une barbarie et d’une sauvagerie inouïes.
L’émoi est très grand, mais il ne servirait à rien, si la société ne se posait pas les bonnes questions.
Sur ces colonnes, nous avons, à plusieurs reprises, attiré l’attention sur le fait que nous produisons de manière endogène la barbarie. Des centaines de personnes sont arrêtées chaque année avant qu’elles ne passent à l’acte. Les sécuritaires font leur travail, même si le risque zéro n’existe pas. Mais tous les prévenus sont Marocains, sont le produit de notre société et il est totalement irresponsable de croire que la seule réponse sécuritaire suffit.
La pensée Jihadiste, Takfiriste, prolifère, et pas uniquement sur internet. Elle existe partout dans la sphère publique, avec une grande mansuétude des autorités. Le fait terroriste n’est que la conséquence de cette pensée. Or la lâcheté est à tous les étages.
Les élites, à part quelques rares intellectuels, ont démissionné sur ce sujet. Elles ne l’expriment même plus pour défendre les libertés individuelles, le respect de l’altérité. Elles sont tétanisées face au Takfirisme, alors que celui-ci remet en cause leur propre existence, le projet moderniste qu’elles sont censées porter.
Les oulémas, y compris ceux qui ont un cachet officiel puisqu’ils siègent dans les conseils, ne réagissent pas et préfèrent ne s’exprimer que sur des questions mineures relatives au rite.
Enfin l’État laisse prospérer la mythologie. «Le mausolée de chamharouch», à l’honneur d’un Djinn, a un drapeau national planté à sa porte, comme s’il s’agissait d’un bâtiment officiel, des guérisseurs ont pignon sur rue dans toutes nos villes, affirmant pouvoir guérir avec la seule force de la lecture du coran. En laissant se propager ces phénomènes, on forme des êtres faibles, facilement manipulables, qui peuvent verser dans l’extrémisme au simple contact d’un prêcheur persuasif.
Nos intellectuels ne peuvent pas se détourner de ce combat. Il faut le mener frontalement. Nous avons le devoir de défendre la nationalité, l’humanisme, l’altérité. Face à des interprétations dogmatiques qui utilisent des versets sortis de leur contexte, souvent les plus belliqueux. Mais il faut aussi le courage de questionner le texte, de le contextualiser, de faire la différence entre le corpus éthique, ce qui relève de la foi et ce qui relève de l’histoire et donc de l’humain.
Nous ne pourrons pas arrêter cette barbarie qui sort de nos entrailles, si collectivement nous ne répondions pas clairement à la question du rôle de la religion dans la sphère publique. La lâcheté des politiques et des intellectuels trouve sa source dans le refus de poser cette question. Le résultat est là, une schizophrénie de la société, et l’enfantement continu de la barbarie.
Ce qui s’est passé à Imlil ne doit pas être oublié une fois l’émotion retombée. Parce que nous sommes un État de droit, plusieurs détenus pour des faits terroristes sont sortis de prison ou vont en sortir bientôt. La récidive étant forte dans cette mouvance, les risques sont grands. Mais si on ne met pas à contribution le système éducatif, les mosquées, les oulémas, les intellectuels, les partis politiques, nous n’éradiquerons pas la barbarie, malgré les performances des sécuritaires.