Repenser le développement

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La crise que nous sommes en train de vivre a ceci de positif : elle a mis à nu un certain nombre de convictions et d’idées reçues. Même les gardiens du temple du libéralisme ont été secoués et  commencent à se remettre en cause. Tout le monde ou presque, par conviction ou par hypocrisie, reconnait la faillite du néo-libéralisme et appelle  à l’adoption d’un modèle de développement social dans lequel l’Etat jouerait un rôle stratégique en tant que développeur, protecteur et régulateur.  Est-ce la fin du règne de l’économie néoclassique  et le retour aux fondamentaux de l’économie qui était  conçue avant  tout comme une  science sociale ? C’est possible à condition que les courants de pensée et les intellectuels qui croient à un monde meilleur, un monde plus humain, ne restent pas les mains croisées et les bouches cousues. Il ne faut surtout pas sous-estimer la machine infernale de l’idéologie néo-libérale, aujourd’hui en panne, qui peut à tout moment se mettre en branle.  

Il faut rappeler, en effet, que la crise sanitaire que le monde connait est aussi une crise économique et plus précisément une crise du néo-libéralisme et de la mondialisation rampante.  Ce néo-libéralisme est apparu au départ aux Etats Unis avec Reagan et en Grande Bretagne avec  Margaret Thatcher, donnant lieu à deux courants désignés  respectivement reaganisme et thatchérisme. Progressivement, cette orientation ultra-libérale s’est propagée dans différents pays  faisant ainsi tâche d’huile, l’effondrement du bloc socialiste aidant.   Le fondement  de ce courant néo-libéral n’est rien d’autre que  théorie  néo-classique. Cette dernière  qui est  née  en réaction à la théorie économique classique et à la pensée marxiste a trouvé un terrain favorable pour s’épanouir et devenir le mode de pensée dominant, voire hégémonique,  dans les universités et les milieux académiques. En atteste le nombre de Prix Nobel d’Economie  d’obédience néo-classique.  Ce courant de pensée  présente les traits suivants : il croit aveuglement aux vertus du marché et à l’équilibre spontané qui en découle ; il sacralise le profit en tant que moteur de l’histoire et du progrès ; il traite le travail (et donc l’élément humain) comme un simple « facteur de production »  consacrant  ainsi la « chosification » de l’espèce humaine ; il considère que l’intérêt général découle de la somme des intérêts individuels privilégiant ainsi l’analyse micro-économique (au niveau de l’entreprise) sur l’analyse macro-économique et macro-sociale. Et comme les individus,  qu’ils soient producteurs ou consommateurs,  sont censés prendre leur décision d’une façon rationnelle, tout se passe à merveille  !! 

Au niveau des politiques économiques découlant de cette théorie,  on a procédé partout aux privatisations en chaine y compris dans des secteurs sensibles comme l’éduction et la santé,  au démantèlement du secteur public, à la précarisation du travail  et aux violations des droits des travailleurs à travers notamment le démantèlement de la législation du travail et l’instauration de la flexibilité.   Cela apparait aux yeux des partisans du néo-libéralisme comme quelque chose de tout à fait normal dans la mesure où le travail est un simple facteur de production  (un intrant comme la matière première !) et donc un coût qu’il convient de comprimer au maximum. Le progrès technique, qui est à la base de l’accroissement de la productivité, est analysé comme un facteur « résiduel » dont les bienfaits  échappent totalement à ceux qui en  ont été les créateurs, à savoir les travailleurs. L’Etat est réduit à sa fonction régalienne qui est celle d’assurer l’ordre pour le développement du capital.  Tout ce qu’il peut faire est  de ne rien faire ! 

Ce système a aujourd’hui atteint ses limites  et ne peut plus faire face aux contradictions et aux catastrophes qu’il a lui-même générées.  Ainsi, il a été à l’origine de dérèglements climatiques mettant en péril l’existence humaine. Il a engendré des inégalités sociales  inouïes  et les revenus du capital sont de loin supérieurs aux revenus du travail. C’est un système macabre qui ne peut plus continuer car il est menaçant pour l’homme et pour la nature.

Le moment est venu pour revenir aux fondamentaux de l’économie et notamment aux pionniers de l’économie de développement dans années 50 et 60 du siècle dernier. Ces Economistes ne sont pas tous des marxistes, mais des libéraux et des humanistes qui placent l’homme au centre de l’activité productive. Les postulats de l’économie de développement sont aux antipodes de l’économie néoclassique : l’intérêt général prime sur l’intérêt individuel ; le mobile de la production n’est pas le profit mais la satisfaction des besoins de la population ;  le marché ne peut pas assurer à lui seul l’équilibre,  cela relève des prérogatives  de l’Etat  à travers la planification  et les interventions volontaires dans divers secteurs économiques et sociaux par le biais d’un secteur public performant , transparent et géré démocratiquement. Dans ce modèle, le secteur privé aura toute sa place mais dans le cadre des objectifs nationaux qui lui sont assignés en fonction des priorités nationales. Autrement dit, au lieu de continuer à « socialiser les pertes et à privatiser les gains », il faut inverser totalement la séquence.

 C’est la voie la mieux  indiquée pour un pays comme le nôtre qui est à la recherche d’un nouveau modèle de développement. C’est elle qui lui permettra de raccourcir les délais et les distances  pour bâtir une société solidaire, harmonieuse et humaine.