chroniques
Silence ! On rêve… Les sentiers d’un songe confiné
La morale universelle, les religions et le droit international font du respect du bon voisinage un pilier des relations humaines. Car l’adversité entre voisins, individus ou Etats, est porteuse de déchirements, de crises, de guerres et de désolation. Pourtant les Etats pêchent presque toujours leur ennemi héréditaire dans les eaux de leur voisinage immédiat. Voilà donc une leçon de l’histoire dont l’humanité persiste à ignorer la sagesse et l’immense portée.
Le Maghreb ne semble pas avoir non plus profité d’une telle sentence de l’histoire…
Réalité tellement amère que le rêve cherche à faire oublier, quitte à se réfugier dans les bras de la fiction… Alors rêvons.
La fin de la pandémie est là, le Grand Maghreb est de retour !
Le cauchemar de la pandémie a pris fin : le virus est parti en emmenant avec lui les autres virus qui ont ravagé les relations fraternelles entre les Maghrébins qui avaient caressé des projets communs dans la chaleur de la lutte contre l’occupation étrangère. Virus qui, à l’ère des après-indépendances, avaient affaibli les solidarités et renforcé les égoïsmes nationaux étroits. Des promesses avaient été oubliées. Des rendez-vous avaient été manqués. Des alliés d’hier avaient cherché à dominer et, faute de pouvoir le faire, avaient cherché à nuire au voisin qui, dans leur imaginaire, représente un obstacle à leur quête de gloire.
Dès les premiers jours de juin 2020, des appels téléphoniques se multiplient entre dirigeants, leaders politiques, réseaux sociaux du Maroc, de l’Algérie, de la Tunisie et de la Mauritanie. Ces pays qui ont vécu pendant de longues années leur proximité géographique dans l’expectative, voire dans la rancune. Différentes initiatives ont créé une ambiance inédite, générée par les états d’âme positifs développés chez les uns et les autres pendant le long confinement qui a permis d’éradiquer la pandémie du Corona à travers le monde. Un vent nouveau d’ouverture spontanée et une recherche de nouveaux repères ont contribué à recréer les conditions qui avaient animé jadis la volonté de mettre en place un Maghreb de l’entente et de la compréhension.
Beaucoup ont insisté sur le fait que le Maghreb n’a plus le droit de garder un statu quo négatif que la crise condamne. Le moment est grave et la renaissance nécessite un effort individuel et collectif. Il faudrait tourner le dos au passé et combattre ensemble les séquelles qu’a laissées la pandémie. Les pays du Maghreb ont la chance de disposer de structures communes qu’il faudrait réanimer. L’UMA doit constituer un instrument de lutte contre les conséquences du Covid-19. D’innombrables voix se sont élevées à travers le Maghreb pour appeler les Etats à dépasser leurs différends et à coopérer.
Dans la foulée, une visioconférence réunit les ministres des Affaires étrangères de ces quatre pays, couronnant ainsi ces initiatives citoyennes qui ont germé au lendemain de l’annonce de la fin de la pandémie qui a épuisé le monde. Cette conférence a pris place le 21 juin 2020. Elle scelle des retrouvailles qui vont chercher à panser les blessures de décennies qui ont mis à rudes épreuves des relations qui auraient dû être exemplaires, eu égard aux affinités entre les peuples du Maghreb et aux potentialités d’économies complémentaires.
Une gêne règne sur les premières paroles échangées. Mais assez rapidement, les cœurs s’ouvrent, les langues se délient et les congratulations fusent. Des hamdullah dédiés à la fin de la pandémie sont répétés plusieurs fois. On se dit désolés de ne pas avoir appelé dans le feu de la guerre sans merci contre le Covid-19. La récitation de la Fatiha est prononcée dans la ferveur et l’enthousiasme des retrouvailles. Les quatre interlocuteurs pensent spontanément et collectivement à la Libye et se promettent de mener une action commune de nature à faire régner la paix de nouveau dans ce pays frère et à accélérer son retour dans le Grand Maghreb. Ils décident d’agir désormais afin de régler les problèmes qui touchent le Maghreb dans le cadre de celui-ci.
Un seul point est inscrit à l’ordre du jour de leurs travaux : relancer l’Union du Maghreb Arabe sur de nouvelles bases. Un rendez-vous est pris pour une réunion des experts au cours de la première semaine de juillet 2020. En attendant, ils se donnent quarante-huit heures pour mettre en ordre leurs idées sur les principes devant présider à cette relance. Cette réflexion commune devrait constituer les termes de référence de la rencontre des experts.
Avant de mettre fin à leur entretien à distance, ils se mettent d’accord sur l’appel à la tenue d’une conférence au sommet très bientôt à…Marrakech, comme en février 1989, pour acter solennellement les retrouvailles.
Un allô ! prononcé en chœur par les quatre ministres, trois jours après la première visioconférence, le 24 juin, donne le signal de l’ouverture de la seconde communication maghrébine. Sourires détendus et gestes vers l’Autre mimant une accolade collective provoquent un fou-rire quasi juvénile. Pas un rire nerveux de ceux qui, comme eux, ont oublié ce que joie voulait dire, durant la lutte de leur nation contre le Covid-19, ennemi invisible de l’humanité. Non, un rire franc qui ferme un registre douloureux d’une mésentente qui a fait perdre beaucoup de temps à tout le monde, surtout aux peuples qui ont vécu l’éloignement avec un déchirement, parce que le parent, l’ami, le camarade habitent le pays voisin qui a fermé ses frontières.
« Bien chers frères, gardons nos forces pour les vraies étreintes bientôt à Marrakech incha Allah », lance l’un ; « ce n’est pas trop tôt » rétorquent les autres dans un charivari digne des élèves qui se retrouvent à la rentrée des classes après les vacances d’été.
Les quatre ministres se mettent d’accord sur la nécessité de revisiter le projet d’identité régionale commune. Celle-ci, rappellent les uns et les autres, se niche depuis la nuit des temps dans la géographie, l’histoire et la civilisation de cet espace maghrébin dont la personnalité est bien enracinée et dont l’instinct de communauté est immémorial. Il faudrait juste la passer dans le moule de la modernité. Celle-ci devra refléter les valeurs et les biens communs. La construction d’une plate-forme maghrébine devra être entreprise et mener chacun des quatre pays à échafauder un nouveau projet de société adossé à la primauté du savoir, au respect des valeurs et droits humains, à la démocratie et à la prospérité de toutes les composantes de la société. La santé, l’éducation, la justice et la justice sociale constitueront des biens communs inaliénables.
Une agréable coupure avec l’avant-Corona ! Comme quoi, il est vrai que derrière certaines crises, sommeillent des opportunités…
La rencontre des experts a lieu, du 2 au 5 juillet 2020, à Alger. Ville qui affiche ses charmes usés par le combat contre le virus et dont les rues bruissent encore des éclats du Hirak qui a pris fin dès l’annonce de la relance du Maghreb et dont l’énergie s’est investie dans la joie festive qui a éclaté dans toutes les parties de ce Grand Maghreb qui reprend vie avec la fin de la pandémie.
Cette rencontre s’est donné pour règle de conduite d’être sans présidence : les experts ont décidé de parler sans limite de temps afin de mettre sur la table tout ce qui concourt à une solide et définitive relance du Grand Maghreb. L’un des points évoqués au cours de cette réunion est la préparation diplomatique des pays du Maghreb à négocier ensemble leur place dans le nouveau concert des nations. Car tout le monde sait qu’il va falloir réveiller le multilatéralisme de sa léthargie et qu’il faudra gérer la nécessaire fragmentation de la mondialisation qui a suivi la fin de la pandémie. Le Maghreb va être partie prenante dans cette nouvelle ère marquée par ce que certains ont qualifié de fin de l’américano-globalisation. La proximité avec une Europe qui cherchera à éviter sa dépendance à l’égard de la Chine et de l’Inde pour la production de certains produits stratégiques, notamment ceux liés à la souveraineté sanitaire, poussera celle-ci vers des partenaires proches géographiquement et avec lesquels un partenariat est déjà rôdé. Ce qui est notamment le cas des pays du Maghreb.
Cependant les experts ont estimé que ceux-ci ne devront pas se contenter de la sous-traitance, mais de développer les nombreuses créativités impulsées en leur sein lors de la lutte contre le Covid-19. La combativité de la jeunesse et la solidarité tous azimuts et à tous les niveaux ont révélé ici et là le génie inventif des peuples. Le Maghreb s’est illustré dans cette dynamique victorieuse. Les experts ont de ce fait proposé aux ministres d’ériger la recherche scientifique en priorité absolue et de promouvoir les projets adossés aux technologies avancées. L’intelligence artificielle trônera parmi les industries naissantes dont vont bientôt bruire les usines des pays du Maghreb.
Les bases d’une intelligente complémentarité entre ces pays ont été élaborées afin de lutter contre la concurrence déloyale. Tous les participants ont exprimé leur conviction que la réponse aux défis du nouveau monde ne peut être que collective, dans le strict respect de la singularité des peuples et des Etats du Maghreb. Un Maghreb uni mais pluriel. Un Maghreb solidaire où la dynamique de l’économie sociale est le moteur de l’abondance partagée.
Toutes ces idées ont été avalisées par les ministres des Affaires étrangères, lors de leur rencontre le 10 juillet à Tunis, et soumises à la conférence maghrébine au sommet devant se tenir à Marrakech.
A l’ouverture de cette rencontre des ministres, le chef de la diplomatie algérienne a demandé et obtenu de parler en premier. « Chers frères, commence-t-il. Je prends la parole en premier non pas comme un privilège, mais pour vous annoncer une bonne nouvelle qui est le fruit d’un effort commun entre le Maroc et l’Algérie et qui est de nature à lever un obstacle qui risque de peser lourdement sur notre volonté de créer les conditions d’un nouvel ordre maghrébin. Nos peuples attendent de nous de grands gestes pour aplanir à jamais nos différends et nous n’avons pas le droit de décevoir cette attente. Dans ce sens, je vous annonce qu’après une série de rencontres à Laayoune entre les frères Marocains, les frères Sahraouis et votre serviteur, nous avons décidé de clore le dossier du Sahara. L’Algérie a bien étudié le Plan d’autonomie que le Royaume du Maroc a proposé pour la solution définitive de la question du Sahara. Elle considère in fine qu’il satisfait pleinement à toutes les exigences du principe de l’autodétermination cher au cœur des Maghrébins. Nous croyons que le nouveau monde de l’après-Corona et notre projet de relance maghrébine ne sont pas compatibles avec l’émiettement territorial de l’espace maghrébin. Les frères sahraouis partagent désormais cette vision… L’Algérie reconnaît en conséquence la marocanité du Sahara et a la certitude que les Sahraouis vivront en paix au sein de leur pays, le Maroc. Nous pouvons donc clore ce chapitre et travailler dans la sérénité pour le bien de nos peuples ». Des applaudissements fournis assourdissent la salle de réunion pendant près de dix minutes. Toutes les délégations sont debout et des accolades créent une ambiance de joyeuse foire d’empoigne.
Les ministres décident de se retrouver le 15 juillet à Nouakchott pour examiner la dernière mouture du projet qui sera soumis à la conférence au sommet dont la date a été arrêtée. De fait, le 20 juillet 2020, le texte final a été adopté solennellement à Marrakech et le Maghreb a été remis sur les rails et les différents rouages ont amorcé leur travail pour la mise en œuvre des mesures arrêtées.
Progressivement, au niveau de chacun des pays, la paix sociale est renforcée, restaurée ou instaurée. Elle se fait dans tous les cas sur des bases solides coupant avec les injustices sociales et favorisant une économie soucieuse des intérêts des classes moyennes et ceux des précaires. Les pays ont, chacun de son côté, érigé le renforcement du pouvoir d’achat de toutes les composantes sociales en priorité absolue. Un nouveau modèle de développement est en vogue dans les pays du Maghreb. Des budgets conséquents ont été alloués à la santé publique et à l’éducation. Le monde de la justice connaît une refonte qui prend pour emblème la satisfaction de la soif de justice du citoyen éduqué à la jouissance de ses droits et au nécessaire respect de ses obligations.
Les Maghrébins traversent de nouveau les frontières et leurs pas scellent sur le sol des pays voisins et frères une entente pérenne et inamissible… Bénie soit la fin du Corona et bénie soit la renaissance de la convivialité entre les peuples du Grand Maghreb !
Bref des pays de cocagne ont, depuis, prospéré sur les terres du Maghreb.
Le Maghreb des rêves de nombreuses générations prend ainsi corps dans… nos nouveaux rêves, ceux du jour d’après.
C’est certes un rêve et l’un des fruits des tribulations de l’esprit à un moment de confinement où l’on se sent tout petit et où l’envie d’être en paix avec soi et avec les autres l’emporte sur le reste. Chacun de nous rêve d’une harmonie et d’un monde apaisé. Car l’une des conditions d’une vie paisible et heureuse est d’évoluer dans un environnement social sans adversité, sans haine et sans rancune. Un tel milieu pacifié est propice à l’épanouissement individuel et collectif. Dans notre monde ordonnancé autour d’identités stato-nationales bien différenciées et jalouses de leur autonomie, avides de souveraineté et de puissance, cette quête est aussi fondamentale qu’au plan interne. Car sans relations apaisées, notamment entre voisins, il n’y a point de répit et de tranquillité pour s’occuper sereinement des immenses questions nationales qui devraient avoir la priorité dans le travail gouvernemental. Or pour nous autres Maghrébins, l’avènement d’un Maghreb ouvert, paisible et coopérant dans la bonne entente est non seulement un rêve partagé par de nombreuses générations, mais une nécessité.
Rêvons encore et encore à l’avènement d’un Maghreb expurgé de ses faux problèmes. Un Maghreb de la concorde, du bon voisinage, de la considération mutuelle, de la réciprocité et de l’entente confiante. Un voisinage qui exclut toute intervention dans les affaires intérieures du voisin, et pousse au règlement pacifique de tout différend venant à perturber les relations entre les pays concernés. Mais également un Maghreb de l’intégration communautaire. Un Maghreb qui doit se présenter en rang serré pour se faire une place dans un après-Corona où les instances régionales sont appelées à jouer un rôle moteur, en attendant que de nouvelles conditions recréent un nouvel ordre mondial et un multilatéralisme plus amène.
Rêvons donc le Maghreb convivial pour en reforger la réalité. Car Fiction d’aujourd’hui, peut devenir réalité de demain.
Aziz HASBI, 30 avril 2020