TROIS PENSEES ANTICIPATRICES DU PRESENT - PAR MUSTAPHA SAHA

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Henri Lefebvre. Portrait. Peinture noire sur toile. Dimensions : 65 x 50 cm

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Henri Lefebvre (1901 – 1991), mon ami, mon professeur tout au long de mon cursus de sociologie à l’université de Nanterre, directeur de mes deux thèses Psychopathologie sociale en milieu urbain désintégré et Psychopathologie sociale des populations déracinées, introducteur de la philosophie marxiste, auteur d’une œuvre considérable en sociologie rurale, en sociologie urbaine, en sociologie de la vie quotidienne, inspirateur des idées soixante-huitardes.

« Moment crucial. Une conséquence imprévue de ce moment de flottement, qui dure et perdure, alors que les conditions de passage rapide à une autre société sont réalisées, est la suivante : On peut dire n’importe quoi. N’importe quelle opinion trouve des justifications. Sous couvert de la connaissance formelle du langage qui régente le savoir, n’importe quel discours se donne le droit de se tenir. Les référentiels tombés, le babélisme envahit tous les domaines, sauf les mathématiques. Tout se mélange, la culture et la mode, le savoir et le non-savoir, le social et le mental, la raison et la déraison, la paix et la guerre, de plus en plus indissociables. La confusion règne sur toutes choses » (Henri Lefebvre, La Survie du capitalisme, éditions Anthropos, 1973).

Jean Baudrillard (1929 – 2007), enseignant à l’université de Nanterre, mon complice, mon soutien dans les traversées du désert, orfèvre des analyses transgressives, pourvoyeur d’idées intempestives mises en pratique par le Mouvement du 22 Mars. « En Mai 68, on passe de l’histoire transcendante, la grande histoire, à une sorte de contre-histoire. On descend vers l’anodin, le banal, qui deviennent des objets dignes d’intérêt sur le plan historique. Et finalement, sous ses airs un peu bénins, cette plongée dans la vie quotidienne est une espèce de révolution. On s’installe dans l’immanence. On redécouvre les choses vitales du vécu, porteuses d’épanouissement physique et intellectuelle, les choses concrètes oubliées par l’idéalisme historique » (Jean Baudrillard, Entretien, revue Le Philosophoire, 2003).

« Nous sommes en train d’effacer tout le vingtième siècle. Nous sommes en train d’effacer un à un tous les signes de la guerre froide, tous les signes de la Seconde Guerre mondiale, tous les signes des révolutions politiques. Non pas dans le sens d’un sursaut en avant de l’histoire, mais dans le sens d’une réécriture à l’envers. Et c’est cela peut-être l’illumination de ce vingt-et-unième siècle. C’est que nous sommes en train, dans une sorte de travail de deuil enthousiaste, de ravaler tous les événements marquants du vingtième siècle, de les blanchir, comme si l’histoire moderne n’était qu’un imbroglio sans issue, et que tout le monde s’était mis à la défaire, cette histoire, avec le même enthousiasme qu’on avait mis à la faire » (Jean Baudrillard, L’Illusion de la fin ou la grève des événements, éditions Galilée, 1992).

Walter Benjamin (1892 – 1940), penseur majeur de la modernité, victime expiatoire du nazisme et du pétainisme, suicidé de l’histoire.

« Le capitalisme occidental s’est développé comme un parasite sur le christianisme de tel sorte que l’histoire du christanisme est essentiellement celle de son parasite, le capitalisme. Le capitalisme est une religion purement cultuelle, la plus extrêmement cultuelle qu’il y ait jamais eu. Rien en lui n’a de signification qui ne soit immédiatement en rapport avec le culte. Il n’a ni dogme spécifique ni théologie. L’utilitarisme y gagne sa coloration religieuse. La seule idole à laquelle  les êtres humains ont donné vie, c’est l’argent. L’argent est artificiel et vivant. L’argent produit de l’argent et encore de l’argent. L’argent est toute la puissane du monde. L’argent est un esprit issu des êtres humains, un esprit devenu une chose vivante, un esprit devenu fou » (Walter Benjamin, Le Capitalisme comme religion in Fragments philosophiques, politiques, critiques, littéraires, éditions Presses Universitaires de France, 2000).

« Il existe un tableau de Klee qui s’intitule « Angelus Novus ». Il représente un ange qui semble sur le point de s’éloigner de quelque chose qu’il fixe du regard. Ses yeux sont écarquillés, sa bouche ouverte, ses ailes déployées. C’est à cela que doit ressembler l’Ange de l’histoire. Son visage est tourné vers le passé. Là où nous apparaît une chaîne d’événements, il ne voit, lui, qu’une seule et unique catastrophe, qui sans cesse amoncelle ruines sur ruines et les précipite à ses pieds. Il voudrait s’attarder, réveiller les morts et rassembler ce qui a été démembré. Mais du paradis souffle une tempête qui s’est prise dans ses ailes, si violemment que l’ange ne peut plus les refermer. Cette tempête le pousse irrésistiblement vers l’avenir auquel il tourne le dos, tandis que le monceau de ruines devant lui s’élève jusqu’au ciel. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès ». (Walter Benjamin, Sur le concept de l’histoire, 1940, version française éditions Klincksieck, 2023

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