chroniques
Un printemps arabe, version occidentale ?
De Washington à Sidney, de Berlin à Paris, de Toronto à Madrid... le « I Can’t Breathe » de George Floyd est devenu le cri d’un monde qui étouffe sous le néolibéralisme, l’injustice, les inégalités et le racisme.
Les gilets jaunes, le codiv-19, George Floyd, mêmes effets mondialisés ? Parti d’une contestation d’une hausse de la fiscalité sur le carburant, le mouvement, avec comme emblème un gilet jaune, s’est répandu comme une trainée de poudre, posant ainsi la question sociale, dans plusieurs pays du monde. Le Covid-19 a fait retenir son le souffle à la planète qui n’eut autre moyen que de se réfugier dans un confinement généralisé livrant son sort à l’hôpital et posant, par là même, la place de la santé dans les politiques publiques. La mort tragique de Floyd s’est aussi viralement traduite par une globalisation de l’indignation contre les violences policières en particulier et celle du racisme en général. Ces trois phénomènes, qui semblent n’avoir aucun lien entre eux, posent, chacun à sa manière et surtout dans les pays développés, la question démocratique. C’est un peu le printemps arabe, version pays occidentaux
Depuis l’élection de Donald Trump en 2016, il y avait comme un vent ultra libéral qui soufflait charriant un sourd bruit de nationalisme exacerbé. Le combat contre Daech et la question migratoire ont largement contribué à la diffusion de cette dynamique. Ainsi, il y a le phénomène Salvini qui s’était emparé, en 2018, de l’Italie. La quatrième élection de Poutine en 2018 a confirmé cette tendance en Russie. La réélection, la même année, de Victor Orban en Hongrie avait fait de celui-ci l’une des figures d’un nationalisme européen, dure et intransigeant. En 2019, le Brexit et l’arrivé de Boris Johnson ont conforté le calfeutrage insulaire des Anglais. Les Brésiliens ont mis en prison Lula da Silva et leur sort entre les mains de Jaïr Bolsonaro. En Inde, c’est Narendra Modi qui sortira victorieux des élections législatives de 2019. Dans tous ces cas de figure, le recours à l’homme fort et providentiel est patent. Ils partagent, dans un même dessein, la glorification du national-populisme. Ils brandissent la menace extérieure personnifiée notamment par le migrant. Enfin et bien qu’eux-mêmes soient des « premiers de cordés », ces leaders ont, chacun dans son propre pays, prospéré sur le rejet des élites et de l’establishment…
Ils ont trouvé des prescripteurs qui ont relayé leurs pensées. Steve Banon l’Américain qui, un temps, aspirait à regrouper les mouvent populistes et nationalistes d’extrême droite en Europe. Mathieu Bock-côté, le Canadien, adversaire résolu des accommodements raisonnables et nouvelle coqueluche de la droite conservatrice. L’Anglais David Goodhart, avec sa théorie des « anywhere », favorable à la mondialisation et des « somewhere », les gens du peuple qui ont peurs de disparaitre en même temps que leurs modes de vies. Ce dernier rejoint ainsi aussi bien les Français Christophe Guilly et son analyse sur la France périphérique si ce n’est Renaud Camus et son syntagme sur « le grand remplacement ». Cependant, c’est Éric Zemmour qui se présente comme le parangon de la haine et le croisé le plus en vue. De fait, il est le plus dangereux, car aucune ignominie ne semble l’étouffer.
Ces derniers partagent un refus du multiculturalisme, de l’Islam, et, au nom du souverainisme, la mondialisation. Ils n’ont trouvé, face à eux, que de rares et inaudibles résistances intellectuelles. Ils avançaient, dans un terrain presque conquis, bardés qu’ils sont de pensées vénéneuses, belliqueuses et le plus souvent appelant ouvertement à une guerre civile inévitable. Ils ont fini par agréger Michel Onfray, dernier et inattendu scalp de la mouvance souverainiste et, le plus souvent, néo-réactionnaire.
Quelqu’un a relevé judicieusement qu’il a suffi d’un billet de vingt dollars, objet d’un litige entre un afro-américain et, paradoxalement, un américano-palestinien, un arabe « barbu », du nom de Mahmoud Abumayyaleh, d’une interpellation qui finit tragiquement, d’une phrase, « I can Breathe », devenue slogan aussi contaminant que le Covid-19, d’un genou sur le cou transformé par Justin Trudeau (et d’autres) en geste politique, pour assister à un effondrement de l’échafaudage réactionnaire. L’onde de choc a soulevé les peuples, en Europe, en Australie, à Montréal, Rio de Janeiro Londres, Paris, Berlin. Une levée de tabous, comme si quelqu’un avait retiré la soupape de la cocotte-minute. Et dans un reflux, le temps d’une émotion, il y a, en plus, des masques généralisés contre le virus, une muselière qui semble s’imposer aux pit-bulls identitaires.
Pour combien de temps, nul ne saura le dire.