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Un second émirat koweitien, sans autre option que le succès – Par Hatim Bettioui
Le Koweit, une démocratie pionnière dans la région arabe, devenue paralysante
Avec la promulgation du décret émirien ordonnant la dissolution de l'Assemblée nationale koweïtienne élue le 4 avril dernier, la suspension de certains articles de la constitution nécessitant l'approbation de l'Assemblée, et l'attribution des compétences législatives à l'émir et au gouvernement en attendant une révision complète de la pratique démocratique au cours des quatre prochaines années, l'émir du Koweït, Cheikh Mishal Al-Ahmad Al-Jaber Al-Sabah, a franchi sans hésitation une grande étape vers l'établissement du "second émirat" ou " le deuxième État koweïtien". Il tourne de ce fait la page des querelles et des surenchères politiques résultant des empiètements du pouvoir législatif.
Parmi les caractéristiques de ce "second émirat", le nouveau gouvernement installé récemment travaillera au cours des quatre prochaines années dans une atmosphère saine, sans les interférences de la "démocratie défaillante" dont souffrait le Koweït, et qui impactait la vitalité du pays dans divers domaines, handicapant dans le même temps son influence régionale
Les gouvernements se succèdent, les difficultés aussi
Les gouvernements koweïtiens successifs sont restés prisonniers du "système d'interpellations" qui était perçu comme un procès continu du pouvoir exécutif. Au cours des 17 dernières années, 20 gouvernements se sont succédé, du 24ème gouvernement formé par Cheikh Nasser Al-Mohammed le 25 mars 2007 au 44ème gouvernement formé par Cheikh Mohammed Al-Sabah Al-Salem le 17 janvier 2024.
Ce nombre impressionnant de gouvernements reflète une instabilité politique qui a eu des répercussions concrètes sur le parcours de développement du Koweït, au point qu'il est devenu à la traîne des autres pays du Conseil de coopération du Golfe en termes de visions et de grands projets.
Tout visiteur de la région du Golfe au cours des dernières années peut constater clairement les nombreux défis auxquels sont confrontés les États du Conseil de coopération du Golfe, parmi lesquels la situation au Koweït et l'aggravation du blocage politique en raison de la difficulté de cohabitation entre les gouvernements et les assemblées législatives successives. Une situation qui a fini par engendrer une inquiétude et une appréhension quant à l'avenir, notamment chez les deux grandes sœurs du système du Golfe, l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, en raison d'interventions extérieures visant à changer les équilibres géopolitiques dans la région et y réaliser des objectifs spécifiques.
De nombreux observateurs s’interrogent sur comment le Koweït, qui possède les plus grands fonds souverains de la région du Golfe et du monde, a pu souffrir d'une crise de liquidités et de paiement des salaires comme ce fut le cas en 2020. D'autres se posent des questions sur comment et pourquoi le Koweït n'a pas encore réussi à attirer un minimum d'investissements étrangers et à assurer la diversification de son économie, marquant ainsi le pas par rapport à la plupart des pays du Conseil de coopération du Golfe.
Rigueur et vigueur
La décision audacieuse de l'émir Cheikh Mishal trace les contours d'une nouvelle étape pour la scène politique koweïtienne. C'est la troisième fois dans l'histoire de ce pays riche en pétrole que l'Assemblée nationale est suspendue, les deux premières ayant eu lieu en1976 et 1979. A cette différence importante que c'est la première fois que l'alarme est tirée et qu'on somme sans détour : "assez de l’exploitation de la démocratie pour détruire le pays !".
Le message de l'émir Mishal est clair : le Koweït ne peut plus tolérer de perdre du temps politique ni se perdre dans des manœuvres politiciennes et des règlements de comptes étroits. Il est en effet convaincu, depuis qu'il était prince héritier, que le cancer ne peut être traité avec des analgésiques, et qu'il n'y a d'autre choix que de traiter les entraves avec rigueur et vigueur, car la coupe est pleine et le danger est imminent pour le Koweït.
Avant l'annonce de la décision de l'émir Mishal, tous les indicateurs confirmaient que le processus politique issu des élections du 4 avril dernier n'était plus viable et que la situation était devenue absurde.
Dans un article publié dans "Al-Nahar Al-Arabi" le 11 avril dernier sous le titre "Les élections koweïtiennes et la situation sisyphéenne", j'avais écrit, suite aux résultats des élections législatives, que le Koweït ne pouvait pas rester indéfiniment prisonnier de sa démocratie pionnière dans la région arabe, mais qui comporte toutefois bien d’aspetct négatif et de lestant. Je me demandais si le pays pouvait supporter une nouvelle dissolution de l'Assemblée nationale, ou s'il avait plutôt besoin de modifier la constitution et d'adopter une nouvelle loi électorale pour limiter la domination de l'opposition sur l'Assemblée législative. Ou au moins, comme certains l'espèrent, empêcher l'accès au Parlement des députés experts en création de crises, afin de sortir le pays de l'impasse chronique et mettre en place un système de coopération productif et constructif entre les pouvoirs exécutif et législatif, qui ouvrirait la voie à des projets de développement. Je concluais en disant que l'espoir repose grandement sur l'émir Mishal pour harmoniser la scène politique du pays, notamment parce qu'il a montré, dès le début de son règne, une grande fermeté pour imposer la discipline, soutenir les réformes et éloigner le pays de toute tension inutile.
La voie du salut
Les préoccupations du Koweït pour les jours à venir restent de diversifier ses sources de revenus et de cesser de dépendre exclusivement du pétrole, et de rejoindre le train d'avancement de autres pays du Conseil de coopération du Golfe engagés depuis des années dans des visions avancées et modernes, comme la Vision 2030 lancée par le prince héritier saoudien, Mohammed bin Salman.
Tout changement a un prix, et ce qu'a fait l'émir du Koweït est une étape courageuse et audacieuse. Il est évident que le chemin n’est pas aisé. Certains vont immanquablement tenter de saboter cette initiative, parfois au nom de la préservation des acquis démocratiques, parfois au nom de la communauté internationale qui rejetterait toute méthode qui amènerait le Koweït à s’écarter de la méthodologie démocratique.
La décision de l'émir Mishal reste la première étape d'un long voyage de mille milles vers l'établissement d'une vision inclusive qui redonnera au Koweït son éclat et sa splendeur dans la région, et le sortira de la brume qui a longtemps obscurci sa scène politique.
Le Koweït n'a actuellement pas d'autre choix que de réussir et de persévérer dans cette voie, de réorganiser la performance démocratique en modifiant la constitution pour assurer la fluidité du processus démocratique tout en garantissant la stabilité du pays, et de tracer la voie pour un développement global qui le libère de la stagnation politique qui l'a tellement épuisé.
Et tant qu'il existe une volonté émirienne et une vision claire des attentes pour l'avenir proche, il sera inévitablement possible de surmonter toute perturbation visant à entraver le progrès politique au Koweït. L'émir a réussi à redistribuer les cartes en attendant de les réorganiser pour fixer et régler la situation politique, en vue d’aplanir les obstacles qui se sont manifestés lors de l'application de la constitution pendant 62 ans. Il a également réussi à mettre fin aux conflits chroniques entre les pouvoirs législatif et exécutif, et à rétablir le respect dû à l'institution émirienne, qui était devenue la cible des hardis contestant le rôle et les pouvoirs de l'émir, notamment en ce qui concerne la formation du gouvernement et la nomination du prince héritier.
Dans les starting-blocks d’un nouveau départ
L'émir du Koweït a également réussi à freiner l'élan de l'islam politique, tant sunnite que chiite, bien qu'ils continueront à troubler l'atmosphère, à alimenter le discours populiste, inondant les réseaux sociaux de campagnes anti-gouvernementales, sans oublier la nécessité de réprimer l'ambition démesurée de certains membres de la famille régnante qui pourrait tout détruire.
La réalisation du succès global dépendra, en définitif, de l'obtention de résultats concrets au cours des quatre prochaines années, en réussissant à marquer une nette différence par rapport aux années des vaches maigres passées.
Les Koweïtiens, bien qu'ils soient fiers de leur expérience démocratique unique dans la région, se sont lassés de ce qui est advenu de leur démocratie. Par conséquent, la décision de l'émir leur a redonné la tranquillité et la confiance dans la sécurité et la stabilité de leur pays, dans l'espoir de mettre en place un système de valeurs qui guidera l'action politique dans un cadre de continuité et de consensus.
La balle est maintenant dans le camp du gouvernement koweïtien. Il est le seul capable de réfuter les allégations des opportunistes profitant des crises et de démontrer, par son dynamisme attendu après s'être débarrassé du fléau des "interpellations". L'émir du Koweït, par la dissolution l'Assemblée nationale, mise sur une feuille de route corrigeant la démocratie koweïtienne et éliminant dans le même temps les causes chroniques de la stagnation politique qui ne cesse d'épuiser le pays. Un nouveau départ est en cours au Koweït.
D’après Annahar al-arabi, traduit et adapté par Qudi.ma