Asilah débat de l'originalité du modèle marocain dans l'intégration politique des islamistes - Par Bilal Al-Talidi

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Une vue du panel débattant des mouvements religieux, du champ politique, des facteurs de leur ascension et de leur déclin

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Le Moussem culturel d’Asilah, véritable fora, a consacré sa 45e session à l'étude approfondie des mouvements religieux, du champ politique, des facteurs de leur ascension et de leur déclin. Sans négliger les dimensions culturelles, sociales et politiques du phénomène radical violent et des perspectives de la lutte intellectuelle dans le domaine religieux.

Une vue de l’assistance

Lundi et mardi derniers ont été l'occasion d'écouter diverses thèses présentées par plusieurs chercheurs, qui aboutissent à des conclusions très divergentes. Cependant, bien que leurs divergences se soient manifestées concernant l'expérience des Frères musulmans en Égypte et en Jordanie, du parti de la Justice et du Développement en Turquie, et des mouvements djihadistes en Égypte (notamment Al-Qaïda et Daech), il y avait un certain consensus autour de l'intégration politique des islamistes au Maroc, considérée comme un cas unique dans le monde arabe.

Un modèle à part

En effet, une remarque comparative s'impose ici : tandis que l'intégration politique des islamistes en Égypte et en Tunisie a été marquée par des tensions à la fois à leur entrée et à leur sortie de la scène gouvernementale, le Maroc a suivi un modèle différent, caractérisé par une intégration fluide et progressive, aussi bien à l'entrée qu'à la sortie. Ce qui en fait un modèle à part.

Rappelons à cet égard que l'expérience d'Ennahdha en Tunisie (anciennement Al Jamma Al-islamya islamique, puis Al-Ittijah Al-islami) a été tumultueuse sous le régime de Bourguiba. Elle n'a connu qu'une brève période de participation politique, qui était liée aux besoins de légitimation du général Ben Ali après son coup d'État de 1987. Le parti a participé aux élections législatives de 1989, avant d'être immédiatement réprimé lors de la première guerre du Golfe, en raison de ses divergences avec l'État (1991). Ce fut alors le début de la désintégration du mouvement en raison du régime autoritaire répressif. Il lui  faudra attendre la Révolution du jasmin (2011) pour pouvoir se restructurer et partir à l’assaut du pouvoir.

Les Frères musulmans d'Égypte ont connu une expérience similaire, entrant dans une période de répression dans les années 1950 (1954) et 1960 (1965), avant de retrouver une certaine stabilité organisationnelle sous Sadate. Cependant, après son assassinat, le groupe a de nouveau traversé une période de crise. Ce n'est qu'en 1984,  à la faveur d’une alliance avec le Parti du Travail, que le groupe a opéré un tournant significatif vers la politique. Cependant, jusqu'au Printemps arabe, le groupe est resté une opposition politiquement et légalement marginalisée, sans jamais occuper de positions officielles au sein du gouvernement.

Une approche progressive

Au Maroc, l'expérience a été différente. Les islamistes aspiraient à participer au processus électoral dès 1987, mais Abdalilah Benkirane, alors directeur du journal Al-Islah, a dû retirer un article intitulé ‘’Les islamistes et la participation politique’’ en 1989, après avoir reçu des indications des autorités politiques lui signifiant que la situation n'était pas encore mûre pour franchir cette étape. Par la même occasion, le projet de création d'un parti politique a été reporté, le pouvoir indiquant là encore que c’était encore le moment. La direction du Mouvement de la Réforme et du Renouveau (MUR) a justifié ce refus en expliquant que le contexte régional n'était pas propice à l'intégration politique des islamistes, notamment à cause des répercussions de la victoire du Front islamique du salut en Algérie.

Les autorités ont alors adopté une approche progressive, favorisant l'intégration religieuse avant l'intégration politique. Le ministère des Affaires islamique et des Habous a longtemps été le principal interlocuteur des islamistes. L'université d'été sur la renaissance islamique, organisée sous l'égide du roi Hassan II, a été une première opportunité de compréhension mutuelle et d'évaluation de la capacité des islamistes à s'adapter au système politique. Les islamistes ont tenté une nouvelle fois de participer individuellement aux élections de 1993 en s'alliant avec le Parti de la Choura et de l'Indépendance, mais ce n'est qu'en 1997 qu'ils ont été autorisés à participer pleinement, au sein du Mouvement populaire constitutionnel démocratique, fondé et dirigé par un homme à la fois du sérail et proche des tendances islamiques, une démarche essentielle pour tester et conforter la confiance mutuelle.

L'ascension des islamistes dans l’ensemble dy monde arabe a été favorisée par des crises économiques profondes, qui ont aggravé la situation sociale. Leur montée en puissance s'inscrivait également dans un contexte international et régional marqué par l'initiative américaine de ‘’promotion de la démocratie dans le monde’’, et par l'absence d'opposition au rôle potentiel des mouvements islamistes modérés dans le processus de transition politique. Cependant, le Maroc s'est distingué par une approche particulière, que ce soit par la révision de la Constitution ou par l'organisation d'élections législatives transparentes et intègres.

Cette comparaison révèle le contraste entre la violence révolutionnaire observée en Égypte et en Tunisie, et la transition pacifique au Maroc, illustrée par les élections du 25 novembre 2011, qui ont permis l'accès au gouvernement des islamistes de manière harmonieuse.

Entrés et sortis par les Urnes

Une autre comparaison intéressante concerne la durée de leur mandat gouvernemental. Au Maroc, les islamistes ont dirigé le gouvernement pendant deux mandats, soit dix ans. En Égypte, leur expérience a rapidement et violemment pris fin en 2013, soit moins de deux ans après leur arrivée au pouvoir. En Tunisie, dans une atmosphère moins violente qu’en Egypte, Ennahdha a dû progressivement abandonner les postes clés (Premier ministre, ministère des Affaires étrangères, puis de l'Intérieur) avant de quitter complètement le gouvernement, se retrouvant sous le régime de Kaïs Saïed dans une situation comparable à celle qu'elle connaissait sous le régime de Ben Ali.

Au Maroc, malgré les crises politiques, comme le départ du Parti de l'Istiqlal, le blocage de la formation du gouvernemental après les élections de 2016, et la sortie du Parti du progrès et du socialisme du gouvernement, la volonté politique a permis aux islamistes de terminer leur mandat, leur sortie du gouvernement s'étant faite conformément à la Constitution et dans le cadre du processus électoral. Les islamistes ont ainsi fait leur entrée comme leur sortie par les urnes.

Dans les expériences marquées par des tensions, tant à l'entrée dans le processus d'intégration politique qu'à la sortie du gouvernement, les chercheurs s'accordent à dire que la solution dépend essentiellement de la volonté des autorités et de l'évolution des générations et de la mentalité des islamistes. Cependant, au Maroc, le Parti de la Justice et du Développement continue d'évoluer sereinement au sein du système politique, sans qu'il n'y ait de veto de la part des autorités ni de ruade chez les islamistes du PJD.

L'ancien ministre et dirigeant du Parti de la Justice et du Développement, islamiste, Moustafa El Khalfi, qui a participé au Forum en tant que chercheur et ancien acteur gouvernemental, a exprimé un point de vue optimiste en affirmant que le retour des islamistes était possible et qu'une nouvelle ascension était envisageable. Cette conclusion, qu'elle se réalise ou non, témoigne de la solidité du modèle marocain d'intégration des islamistes. Contrairement aux expériences tunisienne et égyptienne, où les relations avec l'État ont toujours été marquées par des affrontements, le Maroc dispose d'une sagesse politique supérieure qui lui permet de gérer les dynamiques du pouvoir. Les islamistes montent et descendent, mais l'espoir reste toujours présent pour une nouvelle tentative.

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