Chronique ''Cinéma, mon amour de Driss Chouika'' : SALO OU LES 120 JOURNÉES DE SODOME, DANS LES PROFONDES ABÎMES DE LA DÉPRAVATION HUMAINE

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 À l'époque de la république fasciste de Salò, ville près du lac de Garde où, en septembre 1943, les nazis installèrent Benito Mussolini, dans un grand château italien des environs de Marzabotto, des notables du pouvoir, le Duc, l’Évêque, le Juge et le Président, entourés de divers servants armés et de quatre prostituées, ainsi que de leurs femmes respectives, s’acharnent sur un groupe de neuf jeunes hommes et femmes soumis à une série de sévices de plus en plus humiliants et sadiques.

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« Salò, sera un film cruel, avait prévenu Pasolini. Tellement cruel que je serai obligé (je suppose) de m'en distancier, de faire semblant de ne pas y croire et de plus ou moins rester de glace, par jeu ».

Pier Paolo Pasolini.

L’ultime film de Pier Paolo Pasolini, « Salò ou les 120 journées de Sodome », qui avait fait scandale lors de sa sortie en 1975, quelques mois avant l’assassinat de son auteur dans des circonstances obscures, ayant été interdit dans plusieurs pays, est son film le plus sombre et le plus désespéré. Il a fini par être récompensé en 2015 par le Prix Venezia Classici créé en 2012 par La Mostra de Venise.  

« Le film veut démontrer l’inexistence de l’histoire » avait affirmé Pasolini lui-même et compte parmi les œuvres cinématographiques les plus dérangeantes dans leur incomparable et audacieuse originalité. L’un des plus controversés et perturbants dans l’histoire du cinéma, ce film continue de choquer, d'intriguer et de diviser les critiques et les cinéphiles près de cinq décennies après son avant-première. S'inspirant de l'œuvre du Marquis de Sade, Pasolini transpose les atrocités du 18e siècle dans la République fasciste de Mussolini durant les derniers jours de la Seconde Guerre mondiale.

Le récit du film peut être résumé ainsi : À l'époque de la république fasciste de Salò, ville près du lac de Garde où, en septembre 1943, les nazis installèrent Benito Mussolini, dans un grand château italien des environs de Marzabotto, des notables du pouvoir, le Duc, l’Évêque, le Juge et le Président, entourés de divers servants armés et de quatre prostituées, ainsi que de leurs femmes respectives, s’acharnent sur un groupe de neuf jeunes hommes et femmes soumis à une série de sévices de plus en plus humiliants et sadiques.

Comme dans l’œuvre de Sade, l’histoire du film est subdivisée en quatre sections titrées à l’instar des cercles de « L’Enfer » de Dante Alighieri, le film met en scène les jeunes choisis par ces notables devant endurer cent vingt jours de maltraitances, tortures physique, sexuelle et mentale : 1 - Antiferno (le « Vestibule de l'enfer »). 2 - Girone delle manie (le « Cercle des passions »).  3 - Girone della mierda (le « Cercle de la merde »). 4 - Girone del sangue (le « Cercle du sang »). L'ensemble du récit du film est traité dans une mise en scène qui reprend le déroulement du cérémonial du Marquis de Sade. 

PLONGÉE DANS LES ABÎMES DE LA DÉPRAVATION

Il s’agit bien d’une revisite d'une œuvre maîtresse du 18ème siècle, dont le titre même, "Salò ou les 120 journées de Sodome", évoque l'esprit provocateur de l'aristocrate rebelle, le marquis de Sade, dont le livre fut écrit en prison et publié posthumément. Le contexte historique de l'adaptation est crucial pour comprendre l'objet filmique de Pasolini, présentant la manière dont les horreurs du pouvoir fasciste s'entrelacent avec les dystopies sexuelles décrites par le Marquis de Sade.

Pasolini était connu pour ses œuvres transgressives et "Salò ou les 120 journées de Sodome" est souvent considéré comme le sommet de son audace. Le réalisateur utilise la transgression non pas pour le plaisir de choquer, mais comme une forme d'art socio-politique. Il explore la relation complexe entre l'art, la censure et le pouvoir, et se dresse en critique impitoyable de l'autorité oppressive, à la fois dans la narration du film et dans son histoire de réception.

Ainsi, le film est une véritable plongée dans les abîmes de la dépravation humaine, fortement symbolisée par les outrances du fascisme mussolinien. Divisé en quatre segments, inspirés de la structure infernale de "La Divine Comédie" de Dante, la construction narrative du film, où chaque cercle de l'enfer représente une progression dans la déshumanisation et l'exploitation de l’homme, reflète bien la brutalité du sujet. En conséquence, la mise en scène est dépouillée, presque théâtrale, contrastée par la beauté des paysages qui souligne paradoxalement l'horreur des actes commis.

ART ET ESTHÉTIQUE DE LA TRANSGRESSION

Fidèle à son approche artistique basée sur la transgression, Pasolini pousse l’art et l’esthétique de cette transgression à son paroxysme. La perversion, la corruption des élites et la banalité du mal constituent les fondements thématiques de son traitement qui s'aventure dans les mécanismes par lesquels le pouvoir corrompt absolument, et où la sexualité est utilisée comme un instrument de domination et de torture. Pasolini entreprend une réflexion sur la façon dont il explore ces thèmes en poussant l'audience dans ses derniers retranchements, en interrogeant la nature des limites humaines face à l'oppression et à la souffrance. Ce qui a d’ailleurs contribué à bien enrichir les débats que le film a suscités, concernant la violence au cinéma, la liberté d'expression et la représentation de la sexualité.

Malgré sa supposée infamie, avancée par plusieurs critiques, ou peut-être à cause de celle-ci, " Salò ou les 120 journées de Sodome" a acquis une réputation culte et reste l’un des films les plus étudiés par les cinéastes, les critiques et les chercheurs universitaires. Combinant la philosophie de Sade avec les atrocités historiques du fascisme, il reste une œuvre provocante qui souligne les abîmes de la nature humaine. Pasolini n'a pas cherché à nous divertir, mais plutôt à nous alarmer, à nous forcer à réfléchir aux extrêmes déshumanisants de l'autorité et du pouvoir. 

FILMOGRAPHIE DE PIER PAOLO PASOLINI (LM)

« Accattone » (1961) ; « Mamma Roma » (1962) ; « L’Evangile selon Saint Matthieu » (1964) ; « Des oiseaux, petits et gros » (1966) ; « Œdipe roi » (1967) ; « Théorème » (1968) ; « Porcherie » (1969) ; « Médée » (1969) ; La trilogie de la vie : « Le Décaméron » (1971) , « Les contes de Canterbury » (1972) , « Les Mille et une Nuits » (1974) ; La trilogie de la mort : «Salò ou les 120 journées de Sodome » (1975)b , « Porno-Théo-Kolossal » (inachevé).

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