Culture
Cinéma, mon amour de Driss Chouika : ''RUE CASES-NÈGRES'' UNE ODE À LA CULTURE CREOLE DE LA MARTINIQUE
« Rue Cases-Nègres » est vite devenu un film emblématique du cinéma francophone et un témoignage poignant et attachant de la vie des Noirs en Martinique durant l'ère coloniale.
« Quand j'étais gamine, l'homme et la femme noirs n'existaient pas au cinéma, ou dans des rôles très négatifs et dégradants. Je ne supportais pas ça, c'était une humiliation totale. Je ne m'identifiais pas à ces personnages. Je suis arrivée au cinéma avec cette colère, que j'ai voulue créatrice ».
Euzhan Palcy.
Adaptation du roman autobiographique homonyme de Joseph Zobel publié en 1950, 1er long métrage de la réalisatrice martiniquaise Euzhan Palcy, ayant obtenu de nombreux prix dont le Lion d'argent spécial pour la meilleure première œuvre à la 40eme Mostra de Venise, le César de la meilleure première œuvre, la Coupe Volpi de la meilleure actrice pour Darling Légitimus dans le rôle de M'man Tine et le Prix du public au 9e FESPACO, « Rue Cases-Nègres » est devenu vite le film culte représentant historique du cinéma antillais.
L’action se situe au début des années 1930 dans le milieu des ouvriers agricoles de la Martinique. Il s’attache au quotidien d'un enfant noir élevé par sa grand-mère qu’elle pousse à étudier au collège et que son instituteur aide à accéder au lycée. Il suit le combat de cette grand-mère, M'man Tine, afin que son petit-fils, José, jouisse des meilleures éducation et instruction lui permettant de devenir un personnage important, lui évitant de travailler sa vie durant dans les champs de cannes à sucre. Elle l’initie à la tradition et aux cultes des anciens par Médouze, le vieux sage du village.
« Rue Cases-Nègres » est vite devenu un film emblématique du cinéma francophone et un témoignage poignant et attachant de la vie des Noirs en Martinique durant l'ère coloniale. Et à l’occasion de l’initiative cinéphile hautement originale de la reconstitution du décor ou a été tourné le film en Martinique et son ouverture au public comme un musée, j’ai jugé intéressant de consacrer cette chronique à ce film qui figure parmi la liste restreinte des oeuvres qui ont faconné ma vision de jeune cinéphile. Cette initiative louable a ainsi élevé ce film au rang de patrimoine culturel de la Martinique.
UNE ODE À LA CULTURE CREOLE
Le film se déroule dans les années 1930, une période marquée par le colonialisme et la pauvreté dans les Antilles. Les inégalités raciales et économiques sont omniprésentes, et les personnages de "Rue Cases-Nègres" évoluent dans un monde où les opportunités pour les Noirs sont limitées. La figure centrale, le grand-mère de José, M’man Tine, incarne la sagesse et la résistance face à l’oppression. Ses enseignements, comme ceux de l'éducation et de la dignité, sont des thèmes récurrents dans le film. Ce qu’affirme M’man Tine, "Il faut toujours se battre pour ce que l’on veut", résume parfaitement l'esprit de détermination qui sous-tend toute l'œuvre. C’est une sorte d’ode à la culture créole coloniale de la Martinique.
Euzhan Palcy utilise une esthétique visuelle qui capte la beauté et la dureté de la vie en Martinique. Les paysages magnifiques sont en contraste frappant avec les conditions de vie difficiles des personnages. La cinématographie utilise des lumières naturelles et des couleurs vibrantes pour illustrer le quotidien à la fois joyeux et éprouvant des habitants. La scène où José joue dans les champs de canne à sucre est particulièrement marquante, symbolisant l'innocence perdue et le lien indéfectible avec la terre natale.
Les personnages du film sont soigneusement développés, chacun d'eux représentant différentes facettes de la société martiniquaise. José, interprété par le jeune acteur, incarne l'espoir et l'ambition d'une génération cherchant à élever son statut social. En revanche, le personnage de Médouze, le propriétaire terrien, symbolise l'oppression et l'exploitation. Leur relation antagoniste illustre les luttes des classes et des races dans le contexte colonial. La dynamique entre José et sa grand-mère est particulièrement touchante. M’man Tine représente non seulement la figure maternelle, mais aussi la porteuse de l'héritage culturel. Sa sagesse face aux défis quotidiens agit comme une ancre pour José dans ses moments de doute. Lena, l'amie de José, témoigne également de l’innocence de l'enfance. À travers leurs interactions, Palcy dépeint un tableau complexe de la croissance, des rêves et des désillusions.
RÉSILIENCE ET IDENTITÉ
Un des thèmes centraux de « Rue Cases-Nègres » est la résilience. La capacité des personnages à faire face aux adversités résonne fortement tout au long du récit. M’man Tine, malgré les difficultés, maintient un sens de l'espoir et de dignité qui inspire José. Palcy souligne que le savoir et l’éducation sont des instruments essentiels pour échapper à la pauvreté. En ce sens, le film est à la fois une critique sociale et un appel à la résistance.
C’est une espèce de voyage émotionnel au cœur de la culture créole. L’identité est cruciale dans le film. José lutte pour comprendre sa place dans une société qui le marginalise. Sa quête d'éducation et sa détermination à ne pas se laisser enfermer dans le système de servitude constituent des étapes importantes de son développement. Quand il dit "Je veux apprendre, c'est mon seul trésor", cela souligne son désir de s’émanciper par l’éducation et la connaissance comme le lui a appris sa grand-mère.
Ainsi, « Rue Cases-Nègres » demeure un chef-d'œuvre du cinéma qui aborde les thèmes intemporels de la lutte pour l'identité, la dignité et l'éducation. Par le prisme de l'expérience personnelle de José, Euzhan Palcy révèle les complexités de l'existence humaine face à l'adversité.
FILMOGRAPHIE SÉLECTIVE DE EUZHAN PALCY (LM)
« Rue Cases-Nègres » (1983) ; « Une saison blanche et sèche » (1989) ; « Comment vont les enfants ? » (1990 – Doc.) ; « Siméon » (1992) ; « Aimé Césaire, une voix pour l'Histoire » (1994 – Doc. en 3 parties).