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Cinéma, mon amour de Driss Chouika: ''GERRY'', AUDACE STYLISTIQUE ET PROFONDEUR THÉMATIQUE
Deux amis, nommés tous deux Gerry, traversent en voiture le désert californien vers une destination qu’ils sont censés connaître. Persuadés d'atteindre bientôt leur but, les deux amis décident de terminer leur périple à pied. Mais ils ne trouvent pas ce qu'ils sont venus chercher. Errant sans eau et sans nourriture, ils vont s'enfoncer plus profondément encore dans la brûlante Vallée de la Mort. Leur amitié sera mise à rude épreuve.
« Je suis un spectateur, un amateur avant tout. C’est ce que je fais sur Gerry : avant d’être un réalisateur, je suis celui qui regarde des corps bouger dans l’espace ».
Gus Van Sant.
Inspiré d’un fait divers, Pris du Festival International de Toronto et prix des Critiques de Films de New York, “Gerry“ de Gus Van Sant est un film contemplatif et dépouillé, dont les données sont réduites au minimum mais dans lequel le spectateur est amené à s'immerger dans des univers où il doit se faire aussi acteur et non simple témoin passif. C’est qu’affirme le réalisateur lui-même en disant : « Je suis un spectateur, un amateur avant tout. C’est ce que je fais sur “Gerry“ : avant d’être un réalisateur, je suis celui qui regarde des corps bouger dans l’espace ».
L’histoire est simple : deux amis, nommés tous deux Gerry, traversent en voiture le désert californien vers une destination qu’ils sont censés connaître. Persuadés d'atteindre bientôt leur but, les deux amis décident de terminer leur périple à pied. Mais ils ne trouvent pas ce qu'ils sont venus chercher. Ils ne peuvent même plus retrouver l’emplacement de leur voiture. C'est donc sans eau et sans nourriture qu'ils vont s'enfoncer plus profondément encore dans la brûlante Vallée de la Mort. Leur amitié sera mise à rude épreuve.
AUDACE STYLISTIQUE ET PROFONDEUR THÉMATIQUE
Sorti en 2002, "Gerry" de Gus Van Sant est un film qui détonne par un minimalisme poussé à l'extrême mais couplé avec une grande profondeur thématique. Interprété par Casey Affleck et Matt Damon, deux comédiens bien convaincants dans leur jeu, le film se distingue par son style cinématographique audacieux et son approche méditative, brouillant les limites conventionnelles du récit cinématographique.
L'un des aspects les plus frappants de "Gerry" est son esthétique visuelle. Van Sant opte pour une cinématographie épurée et une utilisation extensive de plans larges et fixes. Ces choix stylistiques, associés à une mise en scène lente et contemplative, créent une impression de désolation et d'isolement. Le désert devient un personnage à part entière, une immensité visuelle qui reflète l'état intérieur des protagonistes. En effet, les plans longs sont un élément central de "Gerry". Contrairement aux montages rapides dictés par les normes hollywoodiennes traditionnelles, ces plans permettent au public de s'immerger dans l'expérience des personnages. Ils renforcent la sensation de perte et de l'errance, tout en offrant une temporalité qui défie les conventions narratives.
La bande-son du film, presque inexistante, renforce encore davantage l'atmosphère de solitude. Le silence et les bruits ambiants du désert jouent un rôle crucial dans le développement de l'intrigue. Le manque de dialogue force les spectateurs à se concentrer sur les expressions subtiles des acteurs, les mouvements et les interactions non verbales. Cette réduction des dialogues à l'essentiel accentue le poids des mots rares qui sont échangés.
Ainsi, au cœur de "Gerry, on retrouve l'exploration de l'amitié et de la fragilité humaine face à la nature. Les deux protagonistes sont confrontés à une lutte intérieure autant qu'à une lutte physique. Le film interroge la dynamique de pouvoir, la dépendance mutuelle et la dégradation progressive de l'optimisme en désespoir. Au début du film, les deux Gerry affichent une camaraderie insouciante et partagent des échanges légers. Cependant, à mesure que leur situation devient de plus en plus désespérée, des tensions émergent. Leur relation se complexifie, se teintant de frustration, de culpabilité et de recherche de survie. La façon dont ils doivent compter l'un sur l'autre, tout en faisant face à leurs échecs individuels, met en lumière la vulnérabilité inhérente aux relations des deux protagonistes. L'isolement de ces personnages, accentué par l'environnement désertique, intensifie leurs drames intérieurs. À travers les paysages arides et infinis, Van Sant fait écho au vide existentiel. Ce vide n'est pas uniquement physique, mais aussi métaphysique, interrogeant les spectateurs sur leurs propres expériences de solitude et d'errance.
En plus, le film est riche en symbolisme, chaque élément prenant une signification plus profonde. Le désert lui-même symbolise l'étendue de l'existence humaine et la quête de sens. Les éléments naturels, comme le soleil brûlant et le vent incessant, deviennent des métaphores de l'adversité et de la résistance. Le parcours des deux Gerry peut être vu comme une métaphore de la quête humaine de sens. Perdus sans repères, ils errent à la recherche d'une sortie, d'un chemin à suivre. Cette quête désespérée peut être interprétée comme une allégorie de l'existence humaine, où l'homme, souvent dépourvu de piste claire, cherche un objectif ou une raison d'être dans un univers immense et indifférent.
Le film a été salué dans divers festivals de cinéma indépendants pour son innovation et les performances des acteurs. Il a contribué à renforcer la réputation de Gus Van Sant comme l'un des cinéastes les plus provocateurs et intransigeants de sa génération. Mais la réception critique du film a été polarisante. Certains critiques ont acclamé le film pour son audace artistique et sa profondeur thématique, tandis que d'autres l'ont trouvé trop hermétique ou même ennuyeux. Cette division reflète souvent la nature audacieuse et expérimentale du film.
En conclusion, je trouve personnellement que "Gerry" est un film qui défie les attentes et les conventions, offrant une expérience cinématographique unique qui transcende les simples limites du récit traditionnel pour explorer les profondeurs de la condition humaine.
FILMOGRAPHIE DE GUS VAN SANT (LM)
« Mala noche » (1985) ; « Drugstore » (1989) ; « My Own Private Idaho » (1991) ; « Even Cowgirls Get the Blues » (1993) ; « To Die For » (1995) ; « Good Will Hunting » (1997) ; « Psycho » (1998) ; « Finding Forrester » (2000) ; « Gerry » (2002) ; « Elephant » (2003) ; « Last Days » (2005) ; « Paranoid Park » (2007) ; « Harvey Milk » (2008) ; « Restless » (2011) ; « promised Land » (2012) ; « The Sea of Trees » (2015) ; « Don’t Worry, He Won’t Get Far on Foot » (2018).