Nobel de littérature : Han Kang rafle la couronne - Par Samir Belahsen

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« L’œuvre de Han Kang se caractérise par cette double exposition de la douleur, une correspondance entre le tourment mental et le tourment physique, en lien étroit avec la pensée orientale ».

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« J’ai toujours été curieuse de la nature humaine depuis que je suis enfant. Peut-être parce qu’elle m’a fait du mal. Vous savez, c’est comme lorsque vous avez un endroit douloureux sur le corps et que vous ne pouvez pas vous empêcher de le toucher, de le gratter ou simplement d’y penser. »

Han Kang

« L'espoir est le voile de la nature pour cacher la nudité de la vérité. »

Alfred Nobel

Chimiste, Homme d'affaire, Industriel, Inventeur, Scientifique (1833 - 1896)

Le prix Nobel de littérature 2024 vient d’être attribué à la romancière sud-coréenne Han Kang, une première pour la Corée du Sud.

Quels étaient les principaux candidats au Nobel de littérature 2024 ?

Plusieurs étaient pressentis, Lyudmila Oulitskaïa, Can Xue, Gerald Murnane, Mircea Cărtărescu, Ngugi wa Thiong'o  et toujours Haruki Murakami.

- Lyudmila Oulitskaïa : l’écrivaine russe née en 1943, est reconnue pour ses œuvres humanistes et critiques envers le régime russe. 

Ses principaux ouvrages Sonietchka (1992), Médée et ses enfants (1996), et Le chapiteau vert (2014)auraient justifié un tel couronnement.

Elle aurait mérité le prix Nobel de littérature pour son talent narratif, son exploration des thèmes de l'identité et de la souffrance humaine et surtout pour son engagement en tant qu'opposante au Kremlin, par les temps qui courent, ayant préféré quitté la Russie en 2022.

Can Xue, l’écrivaine chinoise née en 1953, était pressentie pour le Nobel en 2024. Ses œuvres notables sont :Dialogues en Paradis (1988) et La Rue de la boue jaune (2001). Son style surréaliste et ses thèmes chargés d'absurde et de cauchemar, influencés par Kafka, explorent la condition humaine dans un contexte social complexe. Elle l’aurait mérité pour son originalité littéraire, son engagement à travers des récits avant-gardistes et sa capacité à capturer les nuances de l'expérience humaine dans un monde oppressant.

- Mircea Cartarescu, l’écrivain roumain né en 1956, était aussi candidat au Nobel de littérature en 2024. Ses œuvres majeures incluent Nostalgia (1993), L'Œil de l'Esprit (1996) et Solenoid (2015). 

Pour son style poétique et ses explorations des thèmes de la mémoire, du rêve et de l'identité, il méritait le Nobel pour sa capacité d’imagination fertile qui lui permet de fusionner la réalité et le fantastique et de créer des récits captivants qui interrogent la condition humaine et la culture roumaine.

-Ngugi wa Thiong'o :  l’écrivain kényan né en 1938, était le candidat des pro-Africains au Nobel de littérature en 2024. Ses principales œuvres sont Weep Not, Child (1964), A Grain of Wheat (1967) et surtout Wizard of the Crow (2006). 

Dans Pétales de sang (1977), il dépeint les luttes politiques et sociales au Kenya postcolonial.

Dans Décoloniser l'esprit (1986), il plaide pour la valorisation des cultures africaines face à l'hégémonie occidentale.

Il aurait mérité le Nobel non seulement pour son engagement sans détour en faveur de la décolonisation et son exploration des injustices sociales en Afrique, souvent à travers un prisme autobiographique, mais aussi pour sa plume singulière et piquante.

Son choix d'écrire en kikuyu, sa langue maternelle, souligne son engagement et sa volonté de reconnecter son œuvre avec ses racines culturelles et de donner une voix authentique aux luttes africaines contemporaines.

-Haruki Murakami était cité encore une fois comme candidat. Il est souvent cité comme candidat au Nobel de littérature, mais il est régulièrement écarté en raison de plusieurs facteurs. 

L’'Académie suédoise privilégie parfois des auteurs moins connus. De plus, bien que Murakami soit mondialement connu et reconnu, certains critiques estiment que son style, mélange de réalisme magique et de thèmes contemporains, ne correspond pas toujours aux attentes du comité.

Han Kang rafle la couronne

Han Kang est la première écrivaine coréenne et la dix-huitième femme à remporter ce prix. Elle est surtout la première femme asiatique à l'obtenir.

 En 2016, elle avait remporté l’International Booker Prize pour « la végétarienne ». 

Le jury de l’académie Suédoise explique :« pour sa prose poétique intense qui affronte les traumatismes historiques et expose la fragilité de la vie humaine ». « L’œuvre de Han Kang se caractérise par cette double exposition de la douleur, une correspondance entre le tourment mental et le tourment physique, en lien étroit avec la pensée orientale ».

Pour le président du comité Nobel Anders Olsson, Han Kang a « une conscience unique des liens entre le corps et l’âme, les vivants et les morts, et, par son style poétique et expérimental, elle est considérée comme novatrice dans le domaine de la prose contemporaine » .

Han Kang est aussi la fille de l'écrivain Han Seung-won, elle a percé au niveau international avec son roman la Végétarienne.

La Végétarienne.

Dans ce roman, adapté au cinéma en 2009, c'est toute la société coréenne qui est passée au crible sinon au hachoir. Trois récits centrés sur Yonghye, une femme qui a décidé de se convertir en végétarienne au grand dam de sa famille.

C’est cette société patriarcale, du travail jusqu'à l'épuisement, de la morale Confucéenne où la femme doit se plier au père, au mari et au patron…

Cette société marquée par la violence où on avale le poisson encore vivant ou on mange du chien que l'on attache et que l'on fait courir derrière une voiture, qu'on laisse mourir d'épuisement et de souffrance, pour en attendrir la chair. 

Han Kang nous offre une peinture implacable de la cruauté humaine. 

On est dans un univers fortement marqué par le bouddhisme, dans une veine épurée, nomade, contemplative, proche même d’un certain chamanisme.

On est pourtant au XXème siècle, le regard de Han Kang sur les questions politiques de la Corée des années 90, la transition démocratique et le libéralisme à grande vitesse reste lucide et percutant.

Cette Végétarienne est compréhensible et plus que troublante, car elle nous renvoie à la folie, à la sensualité, au corps, à l'alimentation, à ce qui fait basculer une vie banale et lisse dans un monde délirant mais plus beau et plus surprenant.

Alors quoi de mieux que de Vouloir devenir un végétal comme option pour s'échapper. 

Un roman touchant, étrange, intriguant, angoissant  et surtout surprenant. 

C’est la principale qualité de ce Nobel 2024 : surprenant.

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