Culture
Quand le ministre de la culture préfère Saad Lamjarred à L’7aqed
Quand le ministre Sbihi soutient Saad Lamjarred et s’interdit de parler de l’emprisonnement du rappeur L’7aqed
Amine Sbihi a-t-il raison de soutenir officiellement le chanteur marocain Saad Lamjarred, en garde à vue à Paris depuis mercredi 26 octobre après une accusation de « viol » et « séquestration » ?
Le ministre PPS de la culture a en effet déclaré à nos confrères du site d’information Le360 qu’il “suivait avec un grand intérêt ce dossier et des contacts ont été pris entre les autorités des deux pays pour tirer au clair cette affaire” avant de préciser que Saad Lamjarred était une “grande figure de la chanson marocaine et nous allons faire tout le nécessaire pour régler le problème”.
Sur les réseaux sociaux, la déclaration de ce responsable gouvernemental de gauche fait grand bruit. Les internautes sont indignés et le font savoir. La présomption d’innocence autorise-t-elle un ministre à porter et promouvoir la culture de l’impunité ? Un responsable gouvernemental a-t-il le droit de s’ingérer dans la justice d’un pays souverain de manière aussi directe et publique ? Sbihi le dit haut et fort : le chanteur marocain contre lequel une plainte a été déposée par une femme qui l’accuse de viol et de séquestration est « une grande figure de la chanson marocaine ». Ce qui signifie clairement aux yeux du ministre Sbihi que notre star nationale et néanmoins gardée à vue ne saurait être coupable d’un tel crime. Que le ministre de la culture soutienne les artistes en délicatesse avec la justice en estimant qu’il est dans son rôle est une posture à géométrie variable. Car c’est le même Sbihi que l’on n’a guère entendu lorsque le rappeur marocain L’7aqed a été condamné à de la prison ferme.
Contactés par le Quid, des ministres ont admis en off que leur collègue de la culture n’a pas respecté le devoir de réserve que lui impose sa fonction ministérielle. “Mais quelle mouche a donc piqué le ministre Sbihi qui engage tout l’Exécutif en déclarant à la presse que le gouvernement suit avec intérêt l’arrestation de Saad Lamjerred ?” se demande un ministre de la coalition sortante.
L’intellectuel Mohamed Ennaji n’en pense pas moins. Sur facebook, sa réaction à l’intervention ministérielle ne souffre pas la moindre ambiguïté. « On peut intervenir en privé, on peut déléguer discrètement un avocat, mais on n’a pas le droit de faire intervenir l’appareil d’État et surtout pas le ministère de la Culture dans ce qui dessert notre culture et notre image » écrit l’auteur de « L’obélisque du Calife ».
Selon le site d’information Atlasinfo basé à Paris, le chanteur qui se trouve dans la capitale française depuis le 22 octobre, a été placé en garde à vue le mercredi 26 octobre. Selon des informations rapportées par Atlasinfo, l’affaire commence dans la nuit du 25 au 26 octobre, lorsqu’une jeune femme de nationalité française a quitté la chambre d’hôtel du chanteur au petit matin pour aller déposer une plainte au commissariat du 17ème arrondissement pour « viol » et « séquestration ».
Sur sa page facebook, la journaliste et productrice TV, Yasmine Khayat, ne cache pas sa colère. « Au delà de la présomption d'innocence dans cette affaire d'agression sexuelle. Au delà de l'interventionnisme avoué du ministre de la Culture pour défendre une grande star de la chanson marocaine. Un interventionnisme qui légitimerait de facto l'agression, si elle s'avère vraie, en rajoutant l'injure à l'offense. Une star serait plus importante qu'une présumée victime. Une insulte de plus, commise au nom du sexisme systémique.» Pour cette talentueuse femme d’images, le silence de personnalités féminines est tout simplement insoutenable. « Cela s'appelle la culture du silence. Voilà des pratiques qu'il faut dénoncer publiquement et dans l'absolu, que l'artiste soit coupable ou non, que ce soit un coup monté ou pas, les enquêteurs feront leur boulot. Mais en attendant les résultats de l'enquête Mesdames, ce silence est meurtrier. Cette indifférence banalise l'agression », peut-on lire sur le mur de Yasmine Khayat.
Le chanteur doit se produire le 29 octobre au palais des Congrès. A l’heure où nous écrivons ces lignes, le concert n'a pas été annulé, sachant que la garde à vue a été prolongée jusqu’au vendredi matin.