''Retour à Alep'' d'Abdellah Saaf -Par Samir Belahsen

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Alep, c’est la citadelle du XIIIème qui offre une splendide vue panoramique sur la ville, la grande mosquée du XIIème. Le ''Retour à Alep'' se situe dans le contexte historique de la guerre civile en Syrie, qui a éclaté le 15 Mars 2011. (On parle aujourd’hui de 5000.000 morts…

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“Le voyage est un retour vers l'essentiel.”

Proverbe tibétain

“Ce qu'il y a de bon dans les départs ? Ils commencent le retour.”

Yolande Chéné / Peur et amour

Le ''Retour à Alep'' d’Abdellah Saaf ne déroge pas à ses écrits précédents. Il est à la recherche de ce qu’il appelle le texte parfait où la beauté rejoint la science. Il plonge le lecteur dans des ambiances riches en idées et en actions. 

Il navigue entre la fiction, l’histoire pure et dure, la science et le combat politiques. 

Dans « Histoire d’Anh Ma » (1996), il raconte le parcours d’un militant communiste marocain, Mohammed Ben Aomar Lahrach, au Vietnam entre 1948 et 1965. Il y explique son engagement dans la lutte pour l'indépendance du Vietnam. Le personnage fascinant est surnommé Anh Ma (Frère Cheval) par Ho Chi Minh, preuve de camaraderie révolutionnaire… 

Quant au « Carnets de bus » (1999), Saaf y décrit sa descente assumée au bas de l’échelle sociale, sa relative prolétarisation…

Dans « Le conquérant de l’empire imaginaire » (2013), Saaf nous plonge à la fin du XVIème aux côtés du Sultan El Mansour Dahbi et de son bras armé Jaoudar.

Dans « le Secret de la grande avenue » (2017), il explore la vie de Fqih Basri, une figure majeure, complexe et mystérieuse de l’histoire contemporaine du Maroc.

Retour à Alep

Le ''Retour à Alep'' se situe dans le contexte historique de la guerre civile en Syrie, qui a éclaté le 15 Mars 2011. (On parle aujourd’hui de 500 OOO morts et de plus de 5 millions de déplacés) 

L'histoire se focalise sur Alep, une ville de plus 2 millions d’habitants qui était l'un des principaux théâtres des affrontements…

Alep, pour moi, c’est la citadelle du XIIIème qui offre une splendide vue panoramique sur la ville, la grande mosquée du XIIème, le musée National d’archéologie, les souks, les chants Halabis, les Oud, les ney, les muwals, les qududs…la vie. 

Dans ce roman, à cette époque c’est d’un autre Alep qu’on parle, l’Alep du chaos…

Historiquement, Alep a toujours été un carrefour culturel et un objet de convoitises.

Ce contexte géographique est essentiel dans le récit. La description de Saaf des lieux, des ruines et des changements dans le paysage urbain nous permet de mieux saisir et de sentir l'impact de la guerre sur la population et sur la ville elle-même.

Hussein est un homme tourmenté par son passé, cherchant un équilibre entre les souvenirs douloureux et l’ardent désir de reconstruction. Vieil écrivant, ex-militant de la nouvelle gauche des années 70, il voyait le vide se répandre, « Il ressentait comme de l’indignité à avoir porté un projet qui a piteusement échoué. » 

Ce qui le mettait dans une profonde fatigue que Saaf décrit comme une lassitude existentielle, langueur désenchantée. Il en était rabaissé au rôle de parleur professionnel, de signataire de pétition...

L'auteur use de ce contraste pour aborder les thèmes de la mémoire, de l'identité et de la quête de rédemption. C’est ce qui donne une profondeur psychologique du roman.

A l’origine du retour c’est l’épouse de l’ami disparu (Zaki) qui demande à Hussein de sauver son fils qui a rejoint une organisation radicale en Syrie. Un voyage à travers un pays dévasté par la guerre, une lutte dangereuse pour retrouver et ramener le jeune homme (Youssef) radicalisé, égaré.

Le voyage de retour de Hussein était sa façon de sortir du processus de dissolution, de redensifier la vie, une ascèse purificatrice. On parle de retour car Hussein a vécu à Alep pendant de longues années, une belle tranche de vie quand la Syrie réunissait des mouvements révolutionnaires de tout le monde arabe. 

Ce retour était aussi un mépris du confort ennuyeux dans lequel il s’était installé, le réveil du germe anarchiste qu’il a toujours porté. Quitter tout pour se retrouver soi-même.

On ne peut s’empêcher de comparer avec Hussein les deux parcours militants, celui de Hussein qui a baigné dans le marxisme « arabe » et Youssef qui a rêvé de Califat sans parler de celui de l’auteur. 

Avec une plume incisive, Saaf tente une réflexion profonde sur l'importance de ces éléments dans la reconstruction de soi et de la perception du monde. 

La narration de Saaf est riche en détails et en descriptions vivides, il captive le lecteur et l'immerge dans l'atmosphère particulière du roman. 

Saaf utilise les flashbacks et les sauts chronologiques pour broder l'histoire des personnages. La structure narrative n’est pas du tout linéaire, ce qui crée surprises et suspenses.

Il utilise la métaphore et l'ironie pour enrichir le texte et faire passer subtilement ses messages.

Une fois sa mission réussie, le jeune homme rapatrié, Hussein essaye de reprendre sa vie en main. Il se rappelle d’une rencontre avec un philosophe qui lui aurait expliqué que « l’utopie, le rêve d’un lendemain meilleur restent une force motrice de l’histoire, le facteur déterminant du progrès humain ».

On part de l’intimement personnel pour aborder l'identité, l'aliénation et le voyage intérieur. La singularité de Saaf serait sa perspective unique et le contexte sociopolitique spécifique du Moyen-Orient. 

Saaf nous offre dans ce roman une perspective intime et complexe sur l'expérience humaine dans un contexte si proche et si éloigné.

Le retour dans la littérature

Le thème du retour est récurrent dans la littérature, il y a tellement de départs, d’exils individuels et collectifs, de déplacements économiques ou politiques, la littérature abondante sur ces thèmes reflète cette réalité. Quelques exemples marquants :

 Jean-Paul Sartre "Le Retour", (1944)

Dans "Le Retour", Sartre conte l'histoire d'Adrienne, une femme oppressée dans un mariage avec un homme appelé François. Après la mort de son père, elle décide de retourner dans sa ville natale où elle retrouve son amour de jeunesse, Jacques. Son retour ravive les émotions passées et soulève des questions sur la liberté individuelle, la morale et la capacité à prendre des décisions dans un le contexte de la seconde guerre et de l'existentialisme. 

Albert Memmi "Le Retour de l'exilé" (1952) 

Le Retour de l'exilé" d'Albert Memmi aborde les paradoxes du retour d'un exilé dans sa terre natale. Chez Memmi le retour est un moment salvateur qui se heurte à la difficulté de retrouver son passé et de se retrouver soi-même. De retour, l'exilé retrouve d’abord la désorientation et l’aliénation. Il découvre la complexité de la réintégration.

Kateb Yacine "Nedjma",(1956) 

Dans Nedjma, Kateb Yacine raconte l'histoire d'une jeune femme en quête d'identité dans un contexte post-colonial.

Dans le contexte de la lutte pour l’indépendance Kateb nous raconte la vie de Mustapha et son amour impossible pour Nedjma où celle-ci pourrait s’appeler Algérie.

Amin Maalouf "Les Croisades vues par les Arabes". 

Dans cette œuvre, le retour est abordé à plusieurs niveaux. L’œuvre elle-même est un retour au IXème siècle, une sorte d’audit de l’histoire…Ce retour aux croisades permet à Maalouf d’aborder les thèmes de l’exil et des identités culturelles dans le cadre d’une réflexion globale sur les conflits culturels… 

Ayi Kwei Armah "Les Béatitudes" (1968) 

Les Béatitudes, raconte une tranche de l'histoire du Ghana principalement à travers le personnage Baako.

Le jeune homme retourne à Accra après avoir vécu à l'étranger. Il est confronté à un pays qui a changé et à une société en pleine désillusion. Il assiste à la révolte des jeunes désenchantés contre la corruption et l'injustice sociale. Il partage leurs propres désespoirs et leur profonde aliénation. Le retour de Baako est une quête de sens de et une recherche constante de dignité, une recherche de soi.

D’autres œuvres traitent des problématiques du Retour, "L'Aventure ambiguë" (1961) de Cheikh Hamidou Kane du Sénégal, "L'Exil et le Royaume" (1957) d’Albert Camus …, Retour à Hayfa de Ghassan Kanafani traduit par Joceline et Abdellatif Laabi (en tête de mes résolutions pour 2025).

Les problématiques des retours (comme celles des départs) traversent les siècles et les continents. S’y intéresser à travers la littérature nous plonge dans l’histoire, la psychologie, la géopolitique et la philosophie. 

S’y intéresser nous interpelle quant aux rêves et aux droits de retour des réfugiés, des déplacés et des paumés aussi.  

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