Culture
Retour à Haïfa de Ghassan Kanafani - Par Samir Belahsen
Kassem Hawal a adapté pour le cinéma la nouvelle de l’écrivain palestinien Ghassan Kanafani, avec une superbe musique de Ziad Rahbani. (Disponible sur YouTube)
" Tous mes écrits sont partis du principe que seul l'homme est responsable de son destin et lui seul est capable de le perpétuer ou de le changer. "
Ghassane Kanafani (1936-1972)
“L'homme aujourd'hui sème la cause, Demain Dieu fait mûrir l'effet.”
Victor Hugo / Les Chants du crépuscule
L'identité, l'exil, le conflit et la résistance habitent les nouvelles de Ghassane Kanafani. Ses nouvelles baignent dans la réalité politique et sociale de la Palestine. Sa réalité. Sa quête de justice et de dignité.
La prose de Kanafani est poignante et évocatrice. Ses descriptions sont détaillées, mais sans fioriture. Il n’a naturellement aucun mal à nous immerger dans l'environnement physique et émotionnel des personnages, c’était aussi le sien.
"عائد إلى حيفا" (Retour à Haïfa) a été publiée en 1970 en Arabe, c'est l'œuvre majeure de Kanafani, une traduction française par Abdellatif et Jocelyne Laabi avait été publiée en 1997. (Introuvable ces jours-ci)
Contexte
Sous la tutelle du « mandat britannique en Palestine », Haïfa, la petite ville méditerranéenne est devenue un port industriel important avec l'ouverture de l'oléoduc de Mossoul à Haïfa, qui a fonctionné de1935 à 1948. Sa population a beaucoup évolué pendant cette période.
Alors qu’elle était de 20 000 habitants dont 84 % de musulmans, 12 % de chrétiens et 4 % de juifs en 1914, avant les vagues successives, organisées par le mouvement sioniste de l’immigration juive en Palestine, elle est passée à 145 000 habitants en 1947 ; les musulmans ne représentaient plus que 38 % pour 47 % de juifs.
Pendant la guerre de 1948-1949, quelque 60 000 citoyens arabes fuirent la région suite à l’opération Misparayim (ciseaux) conduite par les unités juives de la brigade Carmeli qui a pilonné au mortier les quartiers arabes 40 000 immigrants juifs sont installés dans les maisons arabes confisquées via la loi sur la propriété des absents.
Ghassan Kanafani nous raconte l’histoire de Safia et Said qui faisaient partie des 60 000 expulsés.
L’histoire
Après la défaite arabe de 1967, Safia et Saïd, reviennent à Haïfa qu'ils ont dû quitter en 1948 lors de la Nakba et de la création d’« Israël » abandonnant, sous les tirs de mortiers, leur fils Khaldoun âgé à peine de cinq mois.
Vingt ans après leur expulsion, l’occupant israélien autorisait des familles palestiniennes à visiter leur lieu d’origine. Safia et Saïd se rendent donc à Haïfa, à leur maison. Une sorte de retour provisoire et l’espoir de voir leur fils.
Ils redécouvrent leur maison occupée par une dame juive venue de Pologne. Les parents de l’occupante avaient péri dans un camp de concentration, son frère avait lui péri sous les balles des nazis. Elle avait adopté leur fils Khaldoun et l’avait appelé Dov (20 ans en 1967). Il servait dans l'armée de l’occupation...
Safia et Said sont entre colère, frustration et désir de justice mais ils sont aussi capables d’écouter l’occupante, de comprendre son drame et de lui expliquer le leur.
Les recours fréquents et concis de Kanafani au flashback, nécessaires pour rappeler le contexte général et le passé des protagonistes, n’altère point la structure narrative qui reste puissante et captivante. Le style est fluide ;;;;;;
A travers le drame singulier de cette famille, Kanafani nous montre que quand on déroule à froid les cartes de l’avancement territorial de l’entité occupante, on oublie souvent que ce sont aussi des maisons confisquées, des hommes et des femmes déplacés, des familles déchirées, des vies brisées, des drames individuels et collectifs, et des morts …beaucoup de morts.
A l’origine, il y avait l’occupation, la colonisation…
Dans « Retour à Haïfa » qui fut son dernier récit avant son assassinat par le Mossad, Ghassan Kanafani pose plus des questions qu’il ne suggère de réponse. Ces questions démontrent sa rupture avec cette littérature ancrée dans l’imaginaire, son réalisme ne l’empêche pas de sauvegarder le poétique, l’artistique.
Qui est la vraie mère de Khaldoun / Dov ?
Qui est le vrai père ?
Une patrie, c’est quoi ?
A qui appartient-elle ?
Et enfin, par quel chemin retourne-t-on à Haïfa ?
D'une rare intensité, la nouvelle finit par nous suggérer l’engagement du frère de Khaldoun dans le mouvement de Fédayins.
Kassem Hawal a adapté pour le cinéma la nouvelle de l’écrivain palestinien Ghassan Kanafani, avec une superbe musique de Ziad Rahbani. (Disponible sur YouTube)
Après La Nakba1948, la défaite de 1967, la guerre du Ramadan1973, les accords d’Oslo 1993, la chute de Bagdad 2003, les accords d’Abraham et la chute du Hamas puis de Damas 2024 ; c’est une accumulation de pertes.
Pour l’avenir, répétons avec Kanafani : « Seul l'homme est responsable de son destin et lui seul est capable de le perpétuer ou de le changer », sans que cela soit forcément optimiste.