Culture
Sur les planches, les « Maqamate Badii Zamane Al Hamadani » rient de nos contemporains
« Avons-nous à ce point régressé ? » peut à raison se demander le spectateur tant le Xème siècle d’Al Hamadani ressemble par moments au 21ème siècle du metteur en scène…
Pétillante, joyeuse, intelligente, moqueuse. La première de la pièce de théâtre « Maqamate Badii Zamane Al Hamadani », jouée mercredi soir sur les planches du théâtre national Mohammed V, est tout cela à la fois. Revisitées et mises en scène par le très talentueux Mohamed Zouhir, les « Maqamat… » n’ont pas pris une ride. Mieux encore, le metteur en scène a trouvé le moyen –et c’est en cela que son talent explose- d’y introduire une belle dose de modernité, donnant à voir des séquences furieusement contemporaines.
Les maqamates que la littérature française traduit par « les séances » sont un recueil d’une cinquantaine d’histoires racontées par un personnage, Issa Ibn Hicham, derrière lequel se réfugie l’auteur Al Hamdani, le prodige de son siècle.
Ce sont son impertinence, son inconvenance, cette si belle manière de tourner en dérision et de se moquer de ses contemporains que Mohamed Zouhir a fait siennes. Qu’ils soient escrocs, dévots, mendiants, aveugles, amateurs de bons vins et de bonne chère, riches et opulents, tout est prétexte à faire de bons mots, à exceller dans la rhétorique, à filer la métaphore jusque dans l’insulte. Au Xème siècle la littérature du bel esprit a su séduire puissants et lettrés et, surtout, fédérer les rieurs, sans autre ambition que celle de rire et se moquer.
Sur les planches du théâtre national Mohammed V, des scènes culte vont à coup sûr enrichir le théâtre marocain. La prière interminable d’un Imam qui s’endort durant une génuflexion va sûrement faire grincer des dents les dévots d’ici et c’est tant mieux. L’homme de religion qui voit le haram et l’illicite partout est une séquence d’anthologie. « Avons-nous à ce point régressé ? » peut à raison se demander le spectateur tant le Xème siècle d’Al Hamadani ressemble par moments au 21ème siècle du metteur en scène…
Dans sa mise en scène, Mohamed Zouhir a fait des clins d’œil à son époque à lui. Des intrusions de notre siècle qui donnent du sens aux « Maqamates » qu’il ne faut pas lire uniquement comme des fourberies, tromperies et autres bouffonneries. Les jeux de miroir renvoient au siècle qui est le nôtre. L’hypocrisie religieuse et sociale n’a pas changé. Elle est juste inculte et sans talent.
De séquences en séquences, le vagabondage des « Maqamates de Badii al Zamane Al Hamadani » donne à voir des personnages et des scènes où le rire grinçant et la dérision au vitriol ne sont jamais loin d’une réalité qui dérange. Le jeu d’acteurs est tout simplement époustouflant. Habillés par la costumière Maria Seddiki ; Meriem Zaimi, Adil Aba Tourab, Jamal Noumane, Jamila El haouni, Mostapha Houari et Imane Reghaye réalisent ici une vraie performance de comédiens et leur bonheur d’être sur scène est contagieux. Les premières « Maqamates de Badii al Zamane Al Hamadani » ont été adaptées pour le théâtre par l’immense Tayeb Seddiki dont Mohamed Zouhir a été l’un des élèves. Ce mercredi 15 février, le maître, de là où il est, a très probablement applaudi à tout rompre l’élève.