Culture
Viagra Boys, Sleaford Mods: non, le punk n'est pas mort !
Le chanteur britannique Charlie Steen du groupe Shame au festival Coachella à Indio, en Californie, le 20 avril 2019
C'est un genre souvent enterré mais "dont le corps sort du cercueil" comme le dit joliment Jehnny Beth, chanteuse et animatrice TV issue de cette scène: l'esprit du punk souffle toujours avec Shame, Sleaford Mods et Viagra Boys.
On peut d'entrée évacuer la quincaillerie-cliché pour cette nouvelle vague: exit les crêtes, épingles à nourrice, voire même les guitares puisque les Sleaford Mods (nouvel album "Spare ribs" ce vendredi) n'en utilisent pas et que les Viagra Boys ("Welfare jazz" sorti vendredi dernier) y adjoignent un saxophone.
Qu'importe également les étiquettes ou chapelles, punk ou post-punk, puisqu'on parle ici autant d'attitude que d'approche musicale. "Le punk peut être un mot classé dans le temps -- autour de 1977 avec les Clash et les Sex Pistols -- mais c'est surtout un adjectif qui renvoie à l'énergie, on est dans l'agir sans avoir à maîtriser ses instruments comme Zappa ou Prince, c'est un état d'esprit qui ne peut pas mourir", décrit pour l'AFP Christian Eudeline, auteur de "Punk, les 100 albums cultes".
"Non, le punk n'est pas mort", acquiesce Jehnny Beth. "Il est fait pour disparaître et réapparaître, il y a cette idée de renaissance, le besoin de l'enterrer, d'aller à l'enterrement et voir le corps sortir du cercueil, pour revivre une sorte de jeunesse perpétuelle", poursuit-elle. L'ex-chanteuse de Savages, entité d'essence punk 100% féminin, s'est lancée depuis en solo et cornaque aussi l'émission "Echoes" sur Arte, où défilent en live et en interview des groupes trempés dans cette mouvance.
"Casser les codes"
"Oui, il y aura toujours des mômes pour la relève, puisqu'il s'agit de +do it yourself+ (+faire par soi-même+) -- soit, dans la musique, ne pas dépendre d'une myriade de producteurs et d'arrangeurs -- de ne pas rentrer dans le moule, de casser les codes, ce qu'on retrouve dans d'autres arts, puisque Virginie Despentes avait écrit +Baise-moi+ en 15 jours chez ses parents, car elle se faisait chier", rebondit Christian Eudeline.
On avait d'ailleurs vu Virginie Despentes assister à un concert de Savages lors du festival Days Off à la Philharmonie de Paris en 2017. Et le guitariste des jeunes Irlandais de Fontaines DC ("A hero's death" est paru en 2020), reçus dans le show de Jehnny Beth, a avoué Savages parmi leurs influences.
Autre groupe irlandais, Murder Capital ("When I have fears", 2019) est aussi un des nouveaux visages du post-punk, à l'instar d'autres formations dans leur vingtaine, comme les Anglais de Working Men's Club (album éponyme en 2020) et de Shame ("Drunk tank pink" sort ce vendredi). Les Anglais d'Idles ("Ultra mono", l'an passé) ou les Suédois des Viagra Boys sont dans la tranche d'âge au-dessus, autour de la trentaine.
"Punk et poésie"
Leur musique n'a rien de monolithique, toutes les esthétiques sont représentées. "Je me reconnais dans l'alliage punk et poésie des Fontaines DC, tandis qu'avec Sleaford Mods on a du punk qui s'approprie le hip-hop", détaille Jehnny Beth.
Dispositif minimaliste sur scène chez Sleaford Mods: DJ goguenard qui lance le séquenceur en sirotant sa bière et leader qui débite ses textes en chanter-parler. Quant aux murs de guitares d'Idles, ils s'ouvrent sur le mea-culpa d'une masculinité toxique. "Idles, c'est le groupe de rock masculin après #Metoo", se réjouit Jehnny Beth, proche du leader Joe Talbot.
Il serait par ailleurs risqué de parler de grande famille, à voir les tacles par voie de presse des Sleaford Mods sur Idles. Jehnny Beth n'évacue pas non plus un autre point: "les groupes de filles sont rares, il y a quand même une pré-conception, un milieu d'hommes pour ces groupes, qui ont toujours leur place avec une industrie musicale d'hommes qui les comprend". Comme à l'époque de Savages, les gangs féminins qui émergent sont rares, Dream Wife étant actuellement l'exception qui confirme la règle.