Afrique du Sud : La classe politique à couteaux-tirés sur l'affaire ''farmgate'' - Par Hamid AQERROUT

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Le président nie les accusations de blanchiment, l’opposition veut connaitre l’origine des millions de dollars trouvés dans a ferme

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Par Hamid AQERROUT (Bureau de MAP à Johannesburg) .

Johannesburg,- L’affaire "farmgate" dans laquelle le Président sud-africain, Cyril Ramaphosa, est accusé d’avoir dissimulé le vol de millions de dollars en espèce dans sa ferme Phla Phala continue de diviser la classe politique et de tenir en haleine les Sud-africains.

Ramaphosa a été de retour, le 29 septembre devant le Parlement, pour faire face à une nouvelle série de questions des députés sur la dissimulation présumée du cambriolage qui a eu lieu dans sa ferme Phala Phala, dans le Limpopo. Lors de sa première comparution devant les députés concernant l’affaire «Farmgate», il y a un mois, la séance a été interrompue après que les partis d'opposition ont accusé le Président de la République d’avoir éludé de répondre à leurs questions.

Les dénégations de Ramaphosa ne convainquent pas

Mais cette fois-ci, Ramaphosa a choisi de répondre aux questions des députés de l’opposition : "Je nie qu'il y ait eu une quelconque forme de blanchiment d'argent", a-t-il déclaré, réitérant que l'argent trouvé dans la ferme était le produit de l'élevage de gibier.

Devant l’insistance des principaux partis de l’opposition, notamment l’Alliance Démocratique (DA) et les Combattants pour la Liberté économique (EFF), le Président a expliqué avoir signalé en 2020 le crime perpétré dans sa ferme du Limpopo à un général de la police, arguant que «c’est à la police d’expliquer pourquoi un cas de vol n'avait jamais été enregistré».

Mais ces réponses sont sans convaincre les députés qui s’interrogent sur l’origine de millions de dollars en devise américaine cachés dans des canapés dans la ferme du Président. Et pourquoi cette grosse somme d’argent n’a pas été déclarée au fisc ?

L’ANC s’oppose à l’enquête

La plupart des partis d'opposition se sont rassemblés pour soutenir l’appel de l’Alliance démocratique à une enquête sur le rôle des agences de l'État dans cette affaire. Mais le Congrès National Africain (ANC au pouvoir) a rejeté cet appel, le considérant comme une tentative précipitée d'anticiper le résultat d'autres enquêtes qui étaient toujours en cours.

Pour l’ANC, à la destinée duquel préside Cyril Ramaphosa, la création d'un Comité chargé d'enquêter sur le vol de devises étrangères à la ferme Phala Phala créerait une crise constitutionnelle. Mina Lesoma, l'un de ses députés de l’ANC estime à ce propos que "pour des raisons de commodité, l’opposition nous plongera dans une crise constitutionnelle et incitera le Parlement à agir bien en dehors de son champ d’action».

L’Alliance Démocratique, quant à elle, pense que le Parlement ne pouvait plus être trouvé en défaut de ne pas tenir l'exécutif responsable. Le chef du parti, John Steenhuisen, a déclaré à cet égard que l’enquête de l’Assemblée Nationale devait également s'étendre au-delà du Président de la République. «Outre les dollars sales trouvés dans les canapés, nous avons besoin de réponses, entre autres, de l'Agence de sécurité de l'État, du Comité du portefeuille des finances, de l'Unité de protection présidentielle, de la Banque de réserve et du Département des relations internationales et de la coopération», a-t-il soutenu, arguant qu’auucune de ces réponses ne proviendra d'une enquête en vertu de l'article 89 de la Constitution.

Le chef de l’EFF, Julius Malema a, lui, fustigé Ramaphosa, affirmant qu'«il ne méritait pas un second mandat et qu’i s'était révélé indigne de diriger le pays». "Le bilan de Cyril Ramaphosa est très sombre. L'économie est à la traîne, le prix de l'essence et l’inflation sont trop élevés», a-t-il déploré lors de la clôture de la conférence des bérets rouges à Mpumalanga, arguant que «depuis qu'il est devenu Président, des millions de nos concitoyens ont perdu leur emploi».

Et d’ajouter : «Quand il est arrivé au pouvoir, Ramaphosa avait déclaré qu'il allait lutter contre la corruption et faire croître l'économie, mais le constat aujourd'hui est que l'économie est à genou. Elle est dans une situation pire qu'avant qu’il ne devienne président».

L’opposition veut la vérité

Mais malgré la pression croissante au Parlement pour que le président Ramaphosa soit tenu responsable de la saga de la ferme Phala Phala, certains estiment que les partis d'opposition devraient fournir des preuves suffisantes pour le destituer.

Un trio d'experts, dont l'ancien juge en chef Sandile Ngcobo et le juge à la retraite de la Haute Cour de Gauteng Thokozile Masipa, ont été sélectionnés pour faire partie d'un panel indépendant. Le panel est la prochaine étape d'un long processus visant à déterminer si la requête en destitution en vertu de l'article 89 de la Constitution, déposée contre le Président par le chef du Mouvement de transformation africaine (ATM), Vuyolwethu Zungula, doit aller de l'avant.

Zungula a déposé la requête après que l'ancien chef du renseignement sud-africain Arthur Fraser avait déposé, en juin dernier, une plainte concernant le vol, en 2020, de millions de dollars américains dans la ferme de Ramaphosa à Limpopo.

L'expert en droit Pierre de Vos estime à cet égard que si la motion de destitution était une mesure de dernier recours, l'enquête profiterait également aux Sud-africains qui entendraient plus de détails sur ce qui s'était réellement passé à la ferme de gibier de Ramaphosa. L’analyste a indiqué qu'aucune date n'avait encore été fixée pour que le groupe d'évaluation indépendant commence ses travaux.

Selon une plainte déposée par l'ancien chef du renseignement sud-africain Arthur Fraser, des cambrioleurs s'étaient introduits en février 2020 dans une propriété privée du chef d'État, où ils ont volé des millions de dollars en espèce. La plainte accuse M. Ramaphosa d'avoir dissimulé le cambriolage à la police et l'argent au fisc, d'avoir organisé l'enlèvement et l'interrogatoire des voleurs, puis de les avoir soudoyés pour qu'ils gardent le silence.

Ainsi, les règles du Parlement sur la révocation d'un Président de la République seront testées pour la première fois, alors que l'institution législative s'engage dans un processus visant à déterminer si une motion visant à destituer Ramaphosa est justifiée. Les nouvelles règles donnant effet à la révocation du Président en vertu de l'article 89 de la Constitution ont été adoptées en novembre 2018 après que la Cour constitutionnelle a statué en 2017 que l'Assemblée nationale devait mettre en place des procédures pour donner effet à cet article de la Loi suprême.

L'article de la Constitution prévoit que l'Assemblée nationale peut révoquer un Président en raison d'une violation grave de la constitution ou de la loi, d'une faute grave ou d'une incapacité à exercer ses fonctions. Auparavant, ces motions étaient soumises à débat à la Chambre et n'étaient pas traitées différemment de la motion de censure prévue à l'article 102 de la Constitution.