Au Brésil, les indigènes gagnent du pouvoir malgré les résistances

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La députée indigène brésilienne Célia Xakriaba f lors d'une session de la Commission de l'Amazonie et des peuples originels à la Chambre des députés, dont elle est la présidente, à Brasilia, le 24 octobre 2023. Celia Xakriaba, législatrice indigène, est entrée dans l'histoire en se faisant élire au Congrès brésilien.. (Photo EVARISTO SA / AFP)

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Celia Xakriaba est fière de siéger au Parlement brésilien au nom des communautés indigènes. Mais entre préjugés et "racisme", le combat y est parfois féroce. "On m'a déjà dit plus d'une fois: +Quelle jolie Indienne, tu es là pour vendre de l'artisanat?+".

Lors des dernières élections législatives d'octobre 2022, elle a décroché l'un des cinq sièges (sur 513) revenus à des autochtones à la Chambre des députés, un record (le Sénat n'en compte aucun parmi ses 81 élus). Et un tout nouveau ministère des Peuples indigènes a été créé par le président de gauche Luiz Inacio Lula da Silva, revenu au pouvoir en janvier pour un troisième mandat.

Cela marque un tournant pour des peuples qui ont été décimés et dépossédés depuis l'époque coloniale.

De grands dirigeants autochtones, comme le cacique Raoni Metuktire, sont certes reconnus dans le monde entier depuis des décennies pour leur combat en défense de l'Amazonie, mais ils étaient jusque-là peu présents dans les lieux de pouvoir.

Les indigènes représentent moins d'1% d'une population brésilienne de 203 millions d'habitants, mais ils jouent un rôle crucial dans la lutte contre le réchauffement climatique. Les territoires qu'ils occupent sont considérés par les scientifiques comme des remparts essentiels face à la déforestation.

"Nous sommes arrivés pour reforester un peu le Parlement", lance la députée Célia Xakriaba, 34 ans, dans un entretien à l'AFP.

Elle aussi élue députée, Sonia Guajajara a quitté le Parlement pour devenir la toute première ministre des Peuples indigènes. Autre acte fort, Joenia Wapichana, ex-députée et première femme indigène avocate, a été nommée par Lula à la tête de la Funai, organe public chargé de la défense des 305 peuples autochtones du pays.

"Nous avons longtemps été contre l'idée de prendre part à la structure de l'Etat", dit Mme Guajajara.

Mais cela a changé ces dernières années, en raison notamment de la politique menée par l'ex-président d'extrême droite Jair Bolsonaro (2019-2022), qui a défendu sans relâche les intérêts de la puissante agro-industrie, en quête constante de terres à exploiter.

"Nous nous sommes rendus compte que nous avions besoin d'une voix légitime pour faire en sorte que les sujets liés aux autochtones et à l'environnement soient une priorité", explique-t-elle.

- Parlement "réactionnaire" -

Lula a chargé Sonia Guajajara de reprendre les homologations de réserves indigènes, un processus qui était complètement à l'arrêt sous la présidence Bolsonaro. Depuis avril, huit nouvelles réserves ont été légalisées.

Cependant, pour Dinamam Tuxa, coordinateur de l'Association des peuples indigènes du Brésil (Apib), le nouveau ministère est "un espace encore en construction", qui n'a pas encore pu produire "de grands résultats".

Mais il souligne l'importance du combat des députés indigènes dans un Parlement majoritairement conservateur, qu'il juge "réactionnaire".

En septembre, le Sénat a approuvé un projet de loi qui limite le droit à la terre des autochtones, contredisant une décision de la Cour suprême confortant les droits des indigènes.

En dépit de ce revers législatif, Celia Xakriaba est combative. "Nous avons montré que, même si nous ne sommes pas nombreux, notre présence est très importante", insiste cette élue de l'Etat de Minas Gerais (sud-est).

Le président Lula a opposé son véto partiel à ce projet de loi, dont le texte sera soumis à nouveau à l'analyse des parlementaires.

- "Intimidations" -

Au-delà, Celia Xakriaba dénonce le "racisme" au Parlement, où elle dit être la cible récurrente de commentaires agressifs, voire d'"intimidations".

"Dans les territoires indigènes, nous sommes victimes d'un génocide, et ici aussi on tente de nous faire taire", accuse la députée, qui arbore dans l'hémicycle une coiffe de plumes blanches et bleues ainsi que des peintures traditionnelles sur le visage.

"Les indigènes sont encore largement vus comme inférieurs par la société brésilienne, et notamment par les gouvernants", renchérit Sonia Guajajara.

La ministre affiche cependant son optimisme: "Je crois qu'il y a eu beaucoup d'avancées, et c'est un chemin sans retour".

A moins d'un an des municipales d'octobre 2024, les négociations avec les partis progressistes battent déjà leur plein pour augmenter le nombre de candidats indigènes. Certains font pression pour l'instauration de quotas pour assurer cette représentation.

L'activiste Dinamam Tuxa vise encore plus haut: "Nous voulons des indigènes dans les ministères, à la Cour suprême (...) et même comme président de la République".