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Blocages et galères dans une France en colère à l’arrêt
Une pancarte sur laquelle on peut lire en français "Macron, voyou du siècle" devant les forces de police lors d'une manifestation à Paris le 7 mars 2023, dans le cadre d'une journée nationale de grèves et de protestations à l'appel des syndicats sur le projet de réforme des retraites, qui comprend le relèvement de l'âge minimum de la retraite de 62 à 64 ans et l'augmentation du nombre d'années de cotisation pour une retraite à taux plein. (Photo Alain JOCARD / AFP)
"Je comprends la grève mais c'est énervant": il fait encore nuit sur le quai de la gare de Lille-Flandres, et Myriam Despras se dit que "si on arrive à Lyon à midi, on aura de la chance".
Il est 6H30 et, comme des dizaines d'autres voyageurs, cette commerciale de 46 ans attend le TGV pour Paris, annoncé avec 20 minutes de retard. Déjà "coincée depuis hier" dans le Nord à cause d'un train annulé, elle n'est pas au bout de ses peines. "Je ne sais même pas si j'aurai ma correspondance à Paris", dit-elle, "c'est agaçant".
Autre quai, autre ambiance à Saint-Denis, en banlieue parisienne. "Ils ont bien raison de faire grève, moi je m'en fiche d'arriver en retard", lâche Ali Touré en attendant un RER. "Que les politiques viennent prendre ma place", ajoute cet ouvrier du bâtiment de 28 ans.
Dans la même ville, quelques dizaines de personnes bloquent depuis 05H00 un dépôt de bus. Brasero et fumigènes déchirent l'obscurité, jusqu'à ce que la police déloge aux aurores la petite troupe. "Ce durcissement du mouvement, c'est le gouvernement qui le veut", accuse Alexis Louvet, responsable local du syndicat SUD-RATP.
"Je soutiens à 50-50"
A l'autre bout du pays, Marseille s'est réveillée parée d'un slogan peint à la bombe sur plusieurs murs: "L'heure est grève". Dans les transports, évidemment, mais aussi les écoles, avec de nombreuses cantines fermées.
Au centre commercial des Terrasses du Port, par contre, toutes les boutiques sont ouvertes. Un groupe de collégiennes, tout sourire, s'engouffre dans une boutique de bijoux fantaisie, profitant de l'absence de leurs professeurs.
Dans le quartier d'affaires voisin de la Joliette, à l'heure de la pause cigarette devant son centre d'appel téléphonique, Fabienne Dijon se dit partagée: "Je soutiens la grève à 50-50", dit cette employée de 56 ans qui "n'arrive pas à comprendre si cette réforme est utile".
De l'autre côté de l'étang de Berre, des chauffeurs routiers à l'avis plus tranché ont installé de bon matin un barrage filtrant à l'entrée d'une zone d'activité de Miramas. Scène vue également à plusieurs portes de Rennes, aux abords des zones industrielles d'Amiens et de Valenciennes ou encore aux accès de l'autoroute A9 près de Perpignan.
A Pau, une trentaine d'étudiants ont fait de même avant de rejoindre la manifestation. "On a laissé passer une voiture toutes les cinq minutes, en discutant avec les conducteurs pour leur expliquer le blocage", raconte Ernesto, 19 ans, inscrit en sociologie et encarté au syndicat Solidaires.
Baby-foot et pommes de terre
Au port de Calais, pas de barrage mais un débrayage des personnels qui a provoqué des files de camions, sans effet sur le trafic des ferries. En revanche, la circulation est interrompue sur le Rhin, où plusieurs écluses sont occupées par des grévistes, comme à Marckolsheim où certains jouent au baby-foot sous des tentes et abris installés le long du canal.
Le mouvement social s'est même invité sur la course cycliste Paris-Nice, au départ du contre-la-montre par équipe à Dampierre-en-Burly (Loiret), où quelques dizaines d'agents de la centrale nucléaire sont montés sur le podium - avec l'accord des organisateurs - pour lire un texte invitant "tout le pays à se mettre à l'arrêt".
"Unis dans la colère", des policiers ont aussi manifesté devant le commissariat de Tourcoing, faisant claquer quelques pétards en distribuant des tracts aux automobilistes. Leurs collègues CRS de Boulogne ont reçu un accueil moins chaleureux, recevant des jets de pierres, bouteilles et pommes de terre en évacuant le rond-point des Mouettes près du port.
L'ambivalence ressort dans les cortèges. A Strasbourg, Marielle Heyd, 56 ans, s'insurge contre "un déni de démocratie", tandis qu'à Paris, Agathe Mairesse, 32 ans, manifeste pour la première fois contre un gouvernement qui "ne vit pas sur la même planète que la société française".
Mais à Lyon, Gabrielle Laloy Borgna, 26 ans, prédit que "la réforme va passer" même si elle a participé à presque toutes les mobilisations.
Dans la capitale des Gaules comme à Nantes, Rennes et Paris quelques échauffourées et dégradations ont émaillé les cortèges, ravivant aux yeux de certains commerçants les souvenirs des gilets jaunes. "Les professionnels indépendants ne sont pas prêts à sacrifier leur outil de travail", juge Marc Sanchez, secrétaire général du syndicats des indépendants et des TPE.
Place d'Italie, 19H00, point d'arrivée de la manifestation parisienne, la nuit est tombée et les derniers manifestants qui s'attardent sur le vaste rond-point sans grâce s'apprêtent à être délogés par les forces de l'ordre. A Paris, l'Opéra et la Comédie française ont annulé leurs représentations du soir. Rideau sur cette France à l'arrêt. (AFP)