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La France au bord de l’état d’urgence : 40.000 policiers et gendarmes mobilisés ce jeudi soir et couvre-feu dans deux villes
La police charge des manifestants lors d'une marche commémorative en l'honneur de l’adolescent abattu par un policier, dans la banlieue parisienne de Nanterre, le 29 juin 2023. De violentes manifestations ont éclaté en France aux premières heures du 29 juin 2023. Nahel M., 17 ans, a été abattu d'une balle dans la poitrine à bout portant à Nanterre dans la matinée du 27 juin 2023. (Photo par Alain JOCARD / AFP)
Un total de 40.000 policiers et gendarmes seront mobilisés en France jeudi soir, dont 5.000 à Paris et en proche banlieue, face au risque de nouvelles émeutes liées au décès d'un adolescent tué mardi par la police, a annoncé le gouvernement.
Les forces de l'ordre seront "quatre fois plus" nombreuses que pendant la nuit de mercredi et jeudi pendant laquelle les heurts et les dégradations se sont amplifiés et étendus à plusieurs villes en France, a indiqué le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin.
Une population révoltée "très mobiles" a fait vivre aux forces policières den France une nuit "très éprouvante".
Pour essayer de limiter les nouvelles violences urbaines, les autorités d’île de France ont décidé l’arrêt des bus et des tramways franciliens dès 21h ce jeudi soir, alors que deux villes ont décrété des couvre-feux nocturnes. La ville de Clamart a décidé d’instaurer un couvre-feu entre 21h et 6h du jeudi au lundi prochain. La mairie de Compiègne a de son coté imposé un couvre-feu de 22h00 à 6h00 jusqu'à lundi matin pour les mineurs de moins de 16 ans non accompagnés d'un parent ou représentant légal.
A Nanterre, des violences ont de nouveau éclaté au terme de la marche blanche organisée ce jeudi pour rendre hommage à la victime du tir mortel du policier.
Les affrontements ont débuté à la fin de cette marche qui a rassemblé, selon les médias de l’hexagone, des milliers de personnes sorties dénoncer la mort de ce jeune et les violences policières.
L’ombre de Black Lives Matter
‘’Ces événements ne sont pas sans rappeler, écrit le journal français Le Monde, le meurtre de George Floyd, un Afro-Américain étouffé par un policier blanc de Minneapolis en mai 2020. Un acte commis par un représentant de la force publique, filmé et diffusé quasi en direct, visant un représentant emblématique d’une catégorie socialement discriminée : un jeune de quartier populaire. Il avait relancé aux Etats-Unis le mouvement Black Lives Matter.’’
Les correspondants des grands titres européens, rapportent encore le journal, s’interrogent tant sur le comportement de la police que sur les motifs de la défiance, dans les banlieues populaires, entre les habitants et les forces de l’ordre.
Le correspondant de la BBC à Paris, cité par la quotidien parisien, convoque également le souvenir de 2005. A ses yeux, l’affaire est entendue : « La fusillade de Nanterre est vouée à devenir l’un de ces moments emblématiques des relations troublées entre la police et la population déshéritée des banlieues. Le gouvernement s’en rend compte aussi bien que n’importe qui, c’est pourquoi il agira très prudemment dans les jours qui viennent. »
Le journaliste s’interroge sur les règles d’emploi des armes à feu par la police lors des contrôles routiers, envisageant la perspective d’une « révision » de la loi : « Personne ne conteste qu’un refus d’obtempérer est une infraction grave. (…) Mais en treize occasions, l’année dernière, des occupants de voitures dans ces situations ont été tués par la police française. Cela suggère fortement que quelque chose ne va pas. »
Mounia, la mère de Nahel, un adolescent abattu par un policier, fait un geste alors qu'elle est assise sur un camion lors d'une marche commémorative pour son fils, dans le quartier Pablo Picasso de la banlieue parisienne de Nanterre, le 29 juin 2023. De violentes manifestations ont éclaté en France aux premières heures du 29 juin 2023, alors que la colère monte après l'assassinat d'un adolescent par la police. (Photo par Bertrand GUAY / AFP)
Des violences, avec des mairies, des écoles et des commissariats incendiés, ont à nouveau éclaté partout en France dans la nuit de mercredi à jeudi dans les quartiers populaires de tout le pays, en réaction à la mort de Nahel, 17 ans, abbatu à bout portant mardi par un policier lors d'un contrôle routier auquel il essayait de se soustraire à Nanterre, près de Paris.
"C'était une nuit extrêmement éprouvante, violente, avec des groupes mobiles à peu près partout", rapporte à l'AFP Grégory Joron, secrétaire général du syndicat Unité SGP Police.
Ce CRS (policier anti-émeute) de formation, sur le terrain lors des émeutes survenues en 2005 après la mort de deux adolescents électrocutés dans un transformateur électrique en tentant d'échapper à la police en banlieue parisienne, estime que l'on se situe "au même niveau d'intensité".
"Ils étaient trop nombreux, trop mobiles. On n'avait pas assez de monde. Dans ces cas-là, tu gères rien, tu subis. Il n'y a plus de stratégie à part rentrer chez soi entier, protéger ce que tu peux et attendre que ça se termine", résume-t-il.
Fait rare, au Bourget, au nord de Paris, des policiers municipaux ont dû tirer en l'air pour se dégager, a indiqué une source policière.
- Consignes -
Selon un cadre de la préfecture de police de Paris, le niveau des violences est "monté de deux crans" par rapport à la première nuit de heurts. L'intensité observée en 2005 n'est pas encore atteinte "pour l'instant", mais "cela pourrait car rien ne semble pouvoir arrêter" les troubles.
Le même haut-gradé retient qu'il n'y a "pas eu de faits graves, comme un mort ou des blessés très graves".
Dans une note de la direction départementale de la sécurité publique du Nord, consultée par l'AFP, il a notamment été demandé de ne pas recourir au lanceur de balles de défense (LBD), "sauf état de nécessité".
"Le ministre a seulement passé des consignes d'apaisement", dément l'entourage de Gérald Darmanin.
Changement de doctrine -
Mais, selon une source policière, le ministère de l'Intérieur, où était organisée une réunion interministérielle de crise convoquée par Emmanuel Macron jeudi matin, a demandé pour la nuit prochaine "un changement de doctrine", "plus offensive".
40.000 policiers et gendarmes seront mobilisés en France jeudi soir, dont 5.000 à Paris et en proche banlieue, contre 9.000 la nuit dernière, a annoncé Gérald Darmanin, devant la mairie incendiée de Mons-en-Baroeul (Nord).
Pas de recours en revanche à l'état urgence à ce stade, comme en 2005, où les violences urbaines avaient duré trois semaines. "Je crois qu'on peut mobiliser énormément de moyens (...) sans qu'on ait besoin de recourir à des articles particuliers de la Constitution", a tranché le ministre de l'Intérieur.
Au-delà du nombre, "il va falloir revoir sans doute certains des dispositifs pour être plus mobiles", a déclaré sur France Inter la porte-parole du ministère de l'Intérieur, Camille Chaize.
Dans plusieurs villes, les forces policières ont dû être réapprovisionnées en munitions dans la nuit. Mais la direction générale de la police nationale (DGPN) a démenti à l'AFP la rumeur selon laquelle leurs réserves étaient insuffisantes.
"Les stocks (balles de défense, lacrymogène...) existent et permettent de tenir dans la durée si nécessaire", assure-t-elle.
Car l'autre enjeu, estime le cadre de la préfecture, c'est "la durée des heurts, qui s'étaient étalés sur trois semaines à l'automne 2005, avec des unités qu'il faut relever, qu'il faut faire dormir".