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La neutralité de la Suisse chauffe le débat - Par Nizar Lafraoui
La guerre d’Ukraine a mis à mal la neutralité suisse culturellement et économiquement très liée à sa sphère naturelle l’Occident
Par Nizar Lafraoui (Bureau de MAP à Genève)
Genève - Le débat ne cesse de gagner en intensité en Suisse autour de ‘’la neutralité perpétuelle’’ du pays adopté par la déclaration des puissances européennes le 20 mars 1815 au congrès de Vienne, puis d'une reconnaissance par le traité de Paris, le 20 novembre 1815 .
A ce titre, la Suisse bénéficie dès lors du statut de pays neutre, qui garantit l'intégrité et l'inviolabilité de son territoire. Et c’est à ce titre que Genève est le siège de plusieurs organismes onusiens : elle en compte actuellement une quarantaine d’organisations internationales avec plus de 25 000 membres du personnel. La plupart ont leur siège dans la région lémanique, deux se trouvent à Berne et une à Bâle.
Mais cette neutralité, réelle ou supposée, est l’objet d’une question qui se pose désormais avec acuité : Le pays serait-il en mesure de revenir sur ce choix stratégique, à l'aune des grands chamboulements de la géopolitique internationale et régionale ?
Si le pays est conscient des avantages que lui offre cette neutralité pour sa sécurité nationale et sa politique extérieure, des voix appelant à revoir cette situation se font entendre de plus en plus.
La controverse est née après l’adhésion de la Suisse aux sanctions économiques européennes contre la Russie, dans le contexte de la guerre en Ukraine, et il n'est pas exclu qu'elle fasse l'objet de prochains référendums.
Les Suisses ne seraient pas toutefois appelés à choisir entre le maintien ou l’abandon de cette neutralité, mais seraient plutôt consultés sur une réinterprétation des limites juridiques et politiques de la diplomatie suisse dans le cadre de ce concept.
Si la définition juridique réduit le concept de neutralité en général à éviter l'implication directe dans des conflits militaires, la pratique politique sur le terrain, avec ses multiples options, laisse la porte grande ouverte au débat sur la difficile équation entre l'attachement à cette neutralité et la mise en œuvre d'une vision politique et d'options diplomatiques qui soient conformes aux convictions de l'Etat suisse, même si elles impliquent un acte de confrontation non armée avec un autre Etat.
La voie vers un élargissement du concept de neutralité et la prise de positions sur la scène diplomatique internationale a débuté il y a vingt ans, avec l'adhésion de la Suisse à l'ONU, puis avec l’élection pour la première fois du pays pour siéger, à partir de janvier prochain, comme membre non permanent du Conseil de sécurité pour la période 2023-2024. Une donne qui implique des responsabilités internationales pour la Suisse et la place au centre d’éventuelles polarisations en lien avec crises, conflits et défis.
Cependant, cette approche ne fait pas consensus sur le plan intérieur, d’autant que l’Union démocratique du centre (UDC) a plaidé pour abandonner l'ambition de siéger au Conseil de sécurité de l’ONU, estimant que cette position "affaiblirait le rôle de la Suisse en tant que médiatrice", rôle qu’elle tire historiquement de son statut juridique d'État neutre.
En revanche, le Parti vert libéral Suisse place, lui, la barre plus haute, en considérant que la livraison d'armes à des pays démocratiques confrontés à une guerre d'agression ne contredit pas le système de neutralité.
Dans une telle situation et alors que la neutralité telle que définie dans la Constitution suisse pourrait ne pas être suffisante à l'avenir, certaines voix s’élèvent même pour réclamer un référendum citoyen sur la manière concrète et détaillée de définir le concept de neutralité dans le comportement de l'État suisse vis-à-vis de son environnement international.
Certaines de ces voix soulignent également la nécessité d'aborder la neutralité avec souplesse et d'aller au-delà de l'application littérale qui empêche l'État d'interagir avec les événements et les transformations qui s’opèrent de par le monde, et de se positionner en fonction de ses convictions et de ses intérêts.
D’autres invoquent l'histoire et le rôle de la Suisse dans l'approvisionnement de la France et de la Grande-Bretagne en armes pendant la Première Guerre mondiale et son alignement "silencieux" aux côtés de l’Occident pendant la guerre froide.
Actuellement le débat sur les limites de la neutralité et ses marges de manœuvre a débarqué dans les institutions législatives. En ce sens, le président de la Confédération suisse plaide pour une interprétation renouvelée du concept de neutralité pour l’adapter aux nouvelles réalités. Selon lui, cette politique de neutralité doit être revue pour s'assurer qu'elle sert au mieux les intérêts et les valeurs suisses, alors que la dernière évaluation de la politique de neutralité remonte à 1993.
Lentement, mais sûrement, la Suisse avance sur la voie d'une ‘’neutralité active’’, moins restrictive de l’action diplomatique et de la politique étrangère helvétique, appelée à relever des défis extrêmement complexes, tout particulièrement au sein d'un espace européen en mouvement.