Le nouveau gouvernement sud-africain face au destin de l’Afrique du Sud

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Le leader des Combattants pour la liberté économique (EFF), Julius Malema, s'exprime lors d'une conférence de presse la veille de la première séance du Parlement sud-africain nouvellement élu, au Cap, le 13 juin 2024. (Photo par Rodger BOSCH / AFP)

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Par Hamid AQERROUT (MAP – Bureau de Johannesburg)

L’annonce d’un nouvel exécutif pléthorique en Afrique du Sud, 75 membres (32 ministres et 43 ministres adjoint), met certes fin aux calomnies fatigantes et inutiles entre les principaux protagonistes du gouvernement d’unité nationale. Mais le plus dur reste encore à venir : les nombreux défis socio-économiques à relever.

La rémunération de ministre gagnera tourne autour de l’équivalent de 126.000 dollars par an, sans compter les avantages, les ministres adjoint empocheront autour de110.000 dollars.  Ce qui fait déjà beaucoup jaser sur les engagements de M. Ramaphosa de dégraisser le gouvernement et d’engager le pays sur la rationalisation des dépenses.


Pour le chef de l’Etat et président du Congrès National Africain (ANC au pouvoir), Cyril Ramaphosa, ce fut un exercice périlleux. Il a dû manœuvrer avec précaution pour préserver sa position. Tout le contraire de la posture triomphaliste de 2018, lorsqu’il a arraché la Présidence à un Jacob Zuma affaibli par des scandales de corruption.

Le président a mené des négociations difficiles pour arbitrer les points de vue divergents et équilibrer les exigences de postes ministériels clés de la part de son parti et de ses nouveaux alliés. Le retard dans l’annonce du gouvernement est une fois de plus un avertissement quant à la difficulté que représentera la mise en œuvre de ce programme.

D’aucuns relèvent que l’issue des tractations pour la formation d’un gouvernement d’union nationale, à l’issue des élections générales du 29 mai dernier qui ont vu l’ANC perdre pour la première fois sa majorité absolue au Parlement, ont laissé émergé certaines réalités.


L’ANC, un parti au pouvoir en chute libre

Il est, en effet, devenu clair que le parti de Nelson Mandela est sorti de ces élections affaibli et blessé après avoir été snobé par ses électeurs traditionnels. Il n’a d’ailleurs engrangé que 40% des voix, soit moins de 50% pour la première fois en 30 ans de pouvoir absolu.

L’ANC a alors commencé à négocier en position de faiblesse. C’est dire que l’époque où le parti historique pouvait prendre les décisions sans chercher à obtenir l’accord des autres partis est révolue depuis longtemps. Même avant ces élections cruciales pour l’avenir du pays, le parti a donné la preuve qu’il cherche à se maintenir au pouvoir par tous les moyens possibles, alors que les divisions en son sein n’ont jamais été aussi grandes.

Lors des négociations pour la formation du nouveau gouvernement, Ramaphosa s’est montré généreux en attribuant des postes ministériels à des petits partis. Une manière sournoise d’assurer la pérennité de son gouvernement, en assurant un large soutien pour les temps difficiles.

S’il a confié à l’Action démocratique certains portefeuilles clés, le chef de l’Etat a veillé à ce que le parti, qui était la première force de l’opposition dans le pays, soit tenu à l’écart de ceux qui sont politiquement sensibles, comme la défense, les relations internationales, le commerce et l’industrie, la justice, l’emploi et la santé. Tous ces portefeuilles sont d’ailleurs dans l’escarcelle de l’ANC.

Une première lecture attentive des nominations montre que Ramaphosa a cherché à se protéger contre les attaques auxquelles il pourrait être confronté de la part des partis d’opposition en colère, particulièrement le parti nouvellement crée de Jacob Zuma, «uMkhonto weSizwe» (MK) et les Combattants pour la liberté économique (EFF), respectivement 3ème et 4ème forces politiques dans le pays avec 58 et 39 sièges au Parlement. Ces deux formations politiques sont d’ailleurs le résultat de scissions au sein de l’ANC.

Reste maintenant à savoir comment le nouvel exécutif hétéroclite va aborder les nombreux problèmes dont souffre la nation arc-en-ciel, avec en tête une économie agonisante, une criminalité rampante, des délestages électriques récurrents et un taux de chômage record (33 %).


L’heure n’est plus à l’optimisme béat

L’heure n’est plus à l’optimisme béat, surtout que le bilan de l’Afrique du Sud en matière de mise en œuvre des politiques sous l’ancienne administration dominée par l’ANC laissait beaucoup à désirer. Des millions de personnes vivent toujours dans la pauvreté et 28 millions dépendent des aides sociales pour survivre, trois décennies après la fin du régime ségrégationniste de l’apartheid.

De surcroit, l’accès aux services de base comme l’eau, l’électricité et la collecte des déchets est une source récurrente de colère pour des dizaines de millions d’habitants. En raison d’un déficit de production d’énergie et de pannes fréquentes dans des centrales électriques vieillissantes, l’Afrique du Sud souffre depuis des années de délestages électriques paralysants et récurrents.

Au regard des nombreux défis qui attendent encore la nation arc-en-ciel et du bilan «médiocre» accumulé jusqu’ici par le Congrès National Africain, nombreux sont les Sud-africains qui estiment qu’il est peu probable que le gouvernement hétéroclite d’union nationale s’entende sur des politiques qui génèrent une croissance et qui profite aux groupes à faible revenu et aux communautés marginalisées.

Ils demeurent sceptiques quant à la capacité du nouvel exécutif à relever les défis actuels et ceux qui surgiront. Mais, ils devront d’abord attendre de voir comment ce modèle actionnarial fonctionne.