Possibles impacts des résultats des législatives françaises sur les relations avec le Maroc – Par Bilal Talidi

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Le député français du parti de gauche La France Insoumise (LFI) Manuel Bompard (2e à droite) s'exprime aux côtés de Bastien Lachaud, Mathilde Panot et Daniele Obono (de gauche à droite) lors de la soirée électorale du parti de gauche La France Insoumise (LFI) après les premiers résultats du second tour des élections législatives françaises à La Rotonde Stalingrad à Paris le 7 juillet 2024.. (Photo Sameer Al-Doumy / AFP)

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Contre toute attente et contre les sondages sur les résultats du second tour des élections législatives en France, les dynamiques politiques collectives qui ont mobilisé la société française contre l'extrême droite ont réussi à faire passer le parti de Marine Le Pen de la première à la troisième place, ce qui signifie qu'elle est absolument empêchée de former ou de participer au gouvernement. 

Les urnes françaises ayant produit une carte politique complexe, avec trois blocs politiques, dont aucun ne dispose de la majorité absolue, ont mis la formation d’un gouvernement au centre d’interrogations d’ordre constitutionnel et politique, et induit des questions quant à la politique étrangère française, en partie dépendante de la nouvelle dynamique.

La politique extérieure, un domaine réservé ? 

Le Premier ministre français Gabriel Attal, conforme à la règle, a présenté8 juillet sa démission au Président de la République Emmanuel Macron qui l’a refusée, le chargeant de poursuivre à son poste pour assurer « la stabilité du pays » en attendant de ce. Qui sortira des manœuvres et des tractations en cours. 

M. Macron a d'abord entamé des consultations avec les composantes de la majorité gouvernementale, et peut-être plus tard avec les autres parties prenantes pour examiner les options qui se présente. A lui en ayant en arrière-pensée la quête du moyen de rester au centre du jeu à défaut d’en être le maitre.

Pour ce qui nous intéresse, il est pratiquement, compte tenu de toutes ces dynamiques, difficile de prévoir les détails de la politique étrangère française à venir envers le Maroc, sans connaître la configuration précise du gouvernement français à venir, et du type d'accords que passeront entre eux les composantes du champ politique français, sachant qu’en la matière le chef de l’Etat garde pour une partie la main.

Toutefois, l’Elysée, qui avait le premier mot dans la formulation des termes de cette politique étrangère, voit maintenant ses prérogatives contestées entre le parti qui revendique de diriger le gouvernement (La France insoumise) et les partis avec lesquels ce parti s'alliera pour assurer un minimum de stabilité à une potentielle majorité qui lui permettrait de former son gouvernement.

Les premières indications de cette tension peuvent être observées dans le premier discours prononcé par Jean-Luc Mélenchon après son succès au second tour des élections. Bien qu'il ait mentionné la nécessité d'obtenir un consensus en politique étrangère entre le futur Premier ministre et le président, il a déjà posé comme préalable à ce consensus la reconnaissance de l'État palestinien.

Trois raisons de ne pas trop s’inquiéter

Mais c’est là certainement une longue histoire qui comporte de forts risques de tension dans une probable cohabitation. Car, même si un certain nombre de chercheurs et de médias en France considèrent la politique étrangère française comme faisant partie du domaine réservé du président, aucun des spécialistes en droit constitutionnel ne croit que le texte constitutionnel confère au président français ces prérogatives qui ont été acquises uniquement par la pratique historique.

Les mêmes dilemmes se poseront dans la globalité des relations extérieures de la France, qu’il s’agisse de l’Europe, des Etats Unis, de la Russie, de la Chine, de l’Afrique ou, en Afrique, de celle du nord.

Néanmoins, pour les relations avec Rabat, la question demeure moins clivante parmi les possibles composantes du gouvernement français, à l’exception d’une certaine gauche, par rapport à d'autres questions, et ce pour trois raisons principales :

Premièrement, le président Emmanuel Macron lui-même, après l'échec de ses tentatives d'affaiblissement du Maroc et son engagement dans des manœuvres non déclarées avec l'Algérie contre les intérêts vitaux du royaume, a récemment pris conscience que sa politique réduisait les opportunités d'investissement de la France au Maroc et augmentait l'isolement de la France vis-à-vis de ses amis du Sud, notamment en Afrique de l'Ouest et dans la région du Sahel. Pendant ce temps, le Maroc a réalisé des percées importantes et sans précédent dans cette région, la dernière en date étant le lancement de l'Initiative Atlantique qui a reçu l'approbation des pays du Sahel sans exception. 

Après beaucoup d’hésitation, la politique de Macron s'est orientée vers un concept de "progression" dans la résolution des tensions avec le Maroc pour tourner de la page des différends. La dernière étape prise par la France dans ce contexte est le soutien à ses investissements dans les provinces du Sud, ce qui a été considéré comme une étape importante vers la reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur son Sahara, même si du coté de Rabat et plus généralement des Marocains on constitue de considérer que c’est beaucoup de bruits pour peu.

Deuxièmement, Jean-Luc Mélenchon, chef du parti La France Insoumise, dont le bloc électoral (l'Union populaire) a obtenu la première place au second tour des élections législatives, est considéré par de nombreux milieux de gauche au Maroc comme un "ami du Maroc". Il a souvent critiqué la politique de la France envers le Maroc et en particulier le traitement condescendant de Paris envers Rabat. Il a appelé le président Emmanuel Macron à comprendre les évolutions concernant le dossier du Sahara, notamment la reconnaissance américaine de la souveraineté du Maroc sur le Sahara, et les changements de position de l'Allemagne et de l'Espagne, ainsi que la reconnaissance israélienne du Sahara marocain. Il n'a pas caché sa position claire selon laquelle l'autonomie constitue une base valable pour résoudre le problème du Sahara. Plus important encore, il a visité le Maroc et rencontré le Parti du Progrès et du Socialisme, soulignant que son parti n'a de liens qu'avec les partis démocratiques marocains, indiquant ainsi qu'il n'a aucune relation avec le Front Polisario. Il est notable que ces déclarations ont été faites dans un contexte de grande prudence, Mélenchon ayant visité le Maroc alors que les tensions entre Paris et Rabat étaient à leur comble. Lors de cette visite, Mélenchon n'a pas caché les marges étroites qui lui permettent de parler librement des relations avec le Maroc que soit vis-à-vis de la diplomatie de son pays ou d’une tendance hostile au Maroc au sein de son mouvement.

Troisièmement, même l'extrême droite, bien que sa présence au sein du gouvernement français est très peu probable, a également fait des déclarations amicales envers le Maroc après avoir remporté les résultats du premier tour des élections législatives françaises. Le président du Rassemblement national (extrême droite), Jordan Bardella, a vivement critiqué la politique d'Emmanuel Macron envers le Maroc lors d'une interview télévisée, qualifiant cette politique de "politique de l'irritation du Maroc". Éric Ciotti, chef désormais de seulement une partie des Républicains, a également annoncé l'intention de l'extrême droite de réévaluer les relations franco-marocaines en cas de victoire aux élections législatives, exprimant même son désir que cette évaluation soit une entrée pour restaurer l'influence de la France en Afrique de l'Ouest et dans la région du Sahel.

La vigilance reste de mise

Mais dans ce domaine, il est toujours nécessaire de s’en tenir à une grande prudence tant il est difficile de savoir si ces positions sont dictées par des motivations électorales et si elles peuvent résister à la face cachée des intérêts français. 

Ce qu’il faut actuellement retenir c’est que de l'extrême droite à l’extrême gauche en passant par les divers centres du champ politique français, à commencer par l’Elysée, c’est qu’on assiste à une importante inflexion en faveur du Maroc, orientée vers la correction de l’attitude diplomatique de la France bien que ce soit de manière prudente et progressive, et cela avant même que les résultats du premier tour des élections législatives ne soient connus.

En fin de compte, quelles que soient les complexités politiques et constitutionnelles qui influencent la formation du gouvernement, quel que soit le type de coalition de la majorité gouvernementale, et quel que soit le consensus entre le Premier ministre potentiel et le président français, il est probable que les relations franco-marocaines, notamment en ce qui concerne la question du Sahara, progresseront, peut-être même à un rythme plus rapide que les petits pas prudents de M. Macron.

*Traduit de l’arabe et adapté par Quid