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Sénégal : L'éligibilité de Ousmane Sonko à la présidentielle de 2024 fait polémique
Sur le cas de l’opposant Sanko, les juristes n’ont pas le même avis. Si certains soutiennent que leader de Pastef a perdu son éligible, d'autres voient le contraire.
Par Abdelkrim Kninah (MAP)
La question sur l'éligibilité ou non de l'opposant Ousmane Sonko fait déjà débat dans ce pays ouest-africain, dans un contexte ou l'actuel chef de l'Etat, Macky Sall, laisse planer l’incertitude sur son envie de rempiler un 3-ème mandat dont il a visiblement envie, alors que selon l’article 27, alinéa 3, de la Constitution : ‘’Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs’’.
Sur le cas de l’opposant Sanko, les juristes n’ont pas le même avis. Si certains soutiennent que leader de Pastef a perdu son éligible, d'autres voient le contraire.
M. Sonko avait été condamné le 30 mars en première instance à deux mois de prison avec sursis et 200 millions de francs CFA (300.000 euros) de dommages et intérêts.
A l'époque, cette condamnation avait suscité une confusion publique initiale quant à son effet sur l'éligibilité de M. Sonko. Ses avocats avaient assuré qu'elle était maintenue.
Le juriste sénégalais, Abdoulaye Santos Ndoa, estime, ainsi dans une déclaration au site "Pressafrik", que Ousmane Sonko reste toujours éligible malgré la condamnation en appel à six mois avec sursis. Selon lui, l’opposant déclaré candidat à la présidentielle de 2024, n’est pas visé par les délits cités dans l’article L29.
L'article 29 du code électoral stipule que "Ne doivent pas être inscrits sur la liste électorale: les individus condamnés pour crime; ceux condamnés à une peine d'emprisonnement sans sursis ou à une peine d'emprisonnement avec sursis d'une durée supérieure à un mois, assortie ou non d'une amende, pour l'un des délits suivants: vol, escroquerie, abus de confiance, trafic de stupéfiants, détournement et soustraction commis par les agents publics, corruption et trafic d'influence, contrefaçon et en général pour l'un des délits passibles d'une peine supérieure à cinq (05) ans d'emprisonnement; ceux condamnés à plus de trois (03) mois d'emprisonnement sans sursis ou à une peine d'emprisonnement d'une durée supérieure à six (6) mois avec sursis, pour un délit autre que ceux énumérés au deuxièmement ci-dessus sous réserve des dispositions de l'article L.28".
Une part de doute subsistait cependant quant à l'effet de cette peine de 6 mois avec sursis prononcée par le juge de la Cour d'appel de Dakar sur la candidature de Sonko au scrutin de février 2024.
"La cour l'a condamné à 6 mois de prison avec sursis pour deux infractions et a confirmé les deux cent millions FCFA de dommages et intérêts qu'il doit payer au plaignant. Donc si cette décision est définitive, évidemment Ousmane Sonko va perdre son éligibilité", a déclaré Me Baboucar Cissé, avocat du ministre plaignant Mame Mbaye Niang, au sortir du Palais de justice de Dakar qui a abrité l'audience tenue en l'absence de l'accusé qui a préféré rester à la mairie de Ziguinchor.
L'avocat a fait comprendre que Ousmane Sonko, avec cette condamnation, perd provisoirement son éligibilité. Selon lui, si ce jugement est confirmé en cassation, le maire de Ziguinchor "perdra définitivement son éligibilité".
Il trouve, en outre, inapproprié le pourvoi en cassation des avocats de la défense. "Quelqu'un qui n'a pas comparu en appel, ne devrait pas contester un jugement. Il fait montre d'une défiance extrême à la justice", explique Me Cissé.
Ousmane Sonko et ses avocats ont, ainsi, six jours à compter de la notification de la décision pour se pourvoir en cassation. "Si maintenant, ils n’exercent pas cette voie de recours extraordinaire, la décision sera définitive et la conséquence du caractère définitif de cette décision est son exclusion de la course à la présidence en 2024", a souligné l'un des avocats de la partie civile tout en précisant que ce verdict "permettra à Mame Mbaye Niang d'utiliser la contrainte par corps au cas où Ousmane Sonko refuserait de payer les dommages et intérêts fixés par le juge".
"La Cour a fixé la contrainte par corps au maximum à deux années. C’est-à-dire si aujourd’hui Mame Mbaye Niang devrait exécuter cette décision et que M. Ousmane Sonko ne paie pas le montant des dommages et intérêts, le plaignant a la possibilité de l’envoyer en prison par le biais de la contrainte par corps fixée par la Cour au maximum à deux ans", a fait noter Me Cissé.
Le procureur général, Ibrahima Bakhoum, avait requis contre M. Sonko deux ans d'emprisonnement dont un ferme et la délivrance d'un mandat d'arrêt contre lui.
Ousmane Sonko, 48 ans, troisième lors de la présidentielle de 2019, était poursuivi par le ministre du Tourisme Mame Mbaye Niang, pour "diffamation, injures et faux". Il est, par ailleurs, visé depuis 2021 par une autre enquête pour "viols présumés" et "menace de morts" sur plainte d'une employée d'un salon de beauté de Dakar. Ce second procès doit se tenir le 16 mai courant devant un tribunal de Dakar.
Les textes en vigueur prévoient, d'ailleurs, une radiation des listes électorales et donc une inéligibilité dans certains cas de condamnation.
A cet effet le journal à grand tirage au Sénégal "Le Soleil" a écrit que "Si la peine de 6 mois avec sursis est maintenue, elle menace l'éligibilité de Sonko à l'élection présidentielle de 2024. Toutefois, le leader de Pastef peut se pourvoir en cassation dans six jours, autrement, il sera exclu des listes électorales".
Dans un entretien accordé au journal, le Professeur Moussa Diaw, enseignant-chercheur en science politique à l'Université Gaston Berger (Ugb) de Saint- Louis, estime qu'il y aura une redistribution des cartes au sein de la coalition de l'opposition «Yewwi askan wi» (Yaw), soulignant qu'il faut s'attendre alors à des positionnements et à des rivalités.
"WalfQuotidien", quant à lui, note que les avocats de la défense ne comptent pas croiser les bras face à cette décision qui impacte la carrière politique de leur client, précisant qu'ils ont décidé de poursuivre la bataille devant la Cour suprême.
"La décision n'est pas encore définitive. Nous allons l'attaquer pour obtenir sa suspension. Nous interjetterons un pourvoi en cassation devant la Cour suprême. Les juges de cette Cour vont statuer sur les vices de procédure. Nous avons noté plusieurs violations des droits de la défense et des manquements dans la procédure", souligne une source au journal dakarois.
D’après Pr Iba Barry Camara, la peine infligée au président de Pastef ne l’exclut pas d’office du peloton des prétendants à la succession de Macky Sall, le 25 février prochain. D’abord, indique le spécialiste dans les colonnes du journal +L’Observateur+, "il faut avoir l’intégralité de la décision pour savoir ce que le juge a retenu exactement, s’il y aura inéligibilité ou non. Parce que ce n’est pas simplement parce que le juge a retenu une peine d’emprisonnement qu’il a aggravée à six mois avec sursis que l’on peut dire effectivement qu’il est devenu inéligible".
Pr Camara souligne que "le juge peut bien, après avoir prononcé la décision avec une peine de six mois avec sursis, dire que ses droits civiques et politiques ne lui sont pas retirés. Il faudrait avoir l’avis du juge parce qu’il peut démentir le Code électoral. Dans sa décision, lorsque le juge dit, après avoir prononcé la peine de six mois avec sursis, que les droits civiques et politiques d’Ousmane Sonko sont maintenus, à ce moment-là, le Code électoral ne va pas s’appliquer".
L’expert ajoute que si, en revanche, le juge ne se prononce pas sur les droits civiques et politiques de Sonko, les dispositions pertinentes du Code électoral s’appliquent.
"On aura droit à une décision rendue en appel, c’est-à-dire en dernier ressort, précise le juriste. Ce qui signifie que quelle que soit la situation, Ousmane Sonko pourrait perdre son droit de s'inscrire sur les listes électorales, mais il ne sera définitivement fixé sur son sort que lorsqu’il aura épuisé toutes les voies de recours".
En appel et en l'absence de M. Sonko, la justice a durci la peine, confirmant les 200 millions de francs CFA de dédommagement, mais portant à six mois l'emprisonnement avec sursis. Le tribunal a, aussi, ordonné la publication de l'arrêt dans cinq quotidiens.
Le porte-parole du parti de Sonko, Ousseynou Ly, ainsi que des partisans qui s'exprimaient sur les réseaux sociaux ont considéré que la condamnation empêcherait M. Sonko de concourir en 2024 si elle était confirmée.
"C'est clair et net : Macky (Sall, le président) et sa mackystrature viennent d'écarter PROS", le président Ousmane Sonko, a écrit Ousseynou Ly dans un message.
Pour sa part, la coalition d'opposition Yewwi Askan Wi (libérer le peuple en wolof) dont Sonko est l'un des leaders, a appelé mardi à la mobilisation contre la menace d'inéligibilité pesant sur Ousmane Sonko, pour la présidentielle de 2024 à la suite de sa condamnation, lundi à 6 mois avec sursis par la Cour d'appel de Dakar.
"J'appelle tout le monde pour contester la condamnation lourde d’Ousmane Sonko. Personne ne peut être d’accord sur cette décision pour éliminer un troisième potentiel candidat", a déclaré lors d'une conférence de presse à Dakar l'un des chefs de file de la coalition, Khalifa Sall, ancien maire de Dakar.
Khalifa Sall et d'autres chefs de Yewwi Askan Wi ont appelé les Sénégalais à se mobiliser à l'occasion d'une marche déjà prévue vendredi, et une nouvelle annoncée pour le 19 mai.
"Il ne faut pas qu'il y ait une troisième victime... , on en a connu deux", a dit Khalifa Sall, faisant référence à lui-même et à celui de Karim Wade fils de l'ancien président Abdoulaye Wade .
Les deux ont été empêchés de concourir à la présidentielle de 2019 contre l'actuel chef de l'Etat Macky Sall en raison de condamnations antérieures, respectivement pour "escroquerie sur les deniers publics" et "enrichissement illicite".
Quant à la Task Force républicaine, une instance de l'Alliance pour la République (APR), le parti politique de Macky Sall, elle "se réjouit du triomphe du droit sur la politique, dans l’affaire qui oppose le ministre Mame Mbaye Niang à Ousmane Sonko".
"La magistrature de notre pays vient de le montrer […] la justice rend toujours son verdict en mettant en avant les principes sacro-saints de la balance, signe de l’équité", a-t-elle dit dans une déclaration publiée mardi.
"Par ce verdict, les juges montrent clairement que les hommes politiques, quel que soit leur bord, ne sauraient être au-dessus des lois. Le nombre de renvois et le verdict en première instance prouvent […] l’indépendance de la justice, sans laquelle il n’y a pas de démocratie", ajoute la Task Force républicaine de l’APR.
Ousmane Sonko , qui se voit menacé d'être éligible au scrutin du 25 février en vertu de cette peine, a, quant à lui, appelé à manifester contre ce verdict soulignant: "A part la volonté divine, il n’ y a pas une créature qui peut m’empêcher d’être candidat".
Il a, dans une déclaration faite mardi soir sur sa page officielle Facebook, invité les Sénégalais à prendre part à la manifestation pacifique prévue le vendredi 12 mai à la place de l’obélisque de Dakar.
A signaler que depuis 2021, les convocations de Ousmane Sonko par la justice, ont suscité des affrontements avec les forces de l'ordre. Au moins 12 personnes ont été tuées en 2021 lors de plusieurs jours d'émeutes, les troubles les plus graves connus depuis plusieurs années dans le pays.