Parler sans ?couter, c?est s?parer la parole de sa ch?re moiti?, c?est pr?f?rer sa conqu?te ? sa qu?te, c?est la ch?trer de sa qui?tude qui fait, ? la fois, sa pl?nitude et son infinitude.
Dans toute communication, int?rieure ou ext?rieure, intime ou publique, individuelle ou collective, terrestre ou c?leste, horizontale ou verticale, savoir parler sans savoir ?couter, c?est priver la communication de sa f?licit?, c?est tromper sa pi?t? et tronquer sa tranquillit?.
Ce que je reproche aux sciences de l?information et de la communication, c?est de n?gliger?
la communion avec Dieu, cette relation verticale
?et spirituelle, de ne pas pr?ter assez l?oreille ?
la communication libre, cette relation immat?rielle et non mercantile, celle ? laquelle on se donne ? c?ur joie, celle de la foi et celle de soi, celle o? on ne se centre pas sur la communication marchande, sur la communication int?ress?e, exig?e et oblig?e, qui peut-?tre d?nu?e de transparence et de sinc?rit?, qu?elle soit commerciale, publicitaire, religieuse, politique ou id?ologique, mais plut?t sur la communication de la v?rit?, des id?aux universels et reconnus par tous.
Depuis les d?buts de la communication, indissociables de la cr?ation d?Adam et d??ve, du troc et du commerce, ou de la codification de la communication avec la classification aristot?licienne des fleurs rh?toriques et le tout premier mod?le de la communication d?
Aristote,?son c?l?bre triangle des trois instances oratoires, des trois p?les de la rh?torique?:
Logos, ?thos et Pathos,?il y a de cela quelques vingt-quatre si?cles, la communication n?a jamais cess? de signifier ?change, r?ciprocit?, ?loquence, verve, faconde, information , relation, image, logique, raisonnement, argumentation, persuasion, transformation et? manipulation.
La rh?torique, partie essentielle de la communication, qui est d?abord l?art de bien-dire, de parler en public, de convaincre, a ?t? reprise et critiqu?e ? toutes les ?poques, entre autres par?
Platon?et?
Socrate, par?
Cic?ron?et?
Quintilien, en t?moigne la querelle antique des grecs et des latins sur la conception de la rh?torique, et par ses plus grands d?tracteurs?: notamment
Moli?re?avec?les pr?cieuses ridicules?et les romantiques dont?
Hugo.
Mais tout ce beau monde, qui lui reprochait de confiner la pens?e dans des moules pr?existants, d??tre l?effet de la pr?ciosit? et de la p?danterie, et d?avoir pour finalit?, la persuasion des masses, ne s?est pourtant pas emp?ch? d?en user. Une ??nouvelle rh?torique??, th?orie de l?argumentation, est propos?e par l??cole contemporaine, de Cha?m Perelman, qui renoue avec la rh?torique grecque.
Aussi n?a-t-on ?pas cess?, avec les th?ories techniques et sociales de la communication (?tudes du XXe s. s?int?grant dans le cadre des SIC), de faire une fixation sur ses proc?d?s et techniques, les d?non?ant ? la fois et les perfectionnant, s?interrogeant, chemin faisant, sur son ?thique et sa morale, ce qui est bon en soi, mais toujours n?gligeant la communication comme moyen d??panouissement, d?ouverture et d??l?vation, de transfiguration et de transcendance, de d?veloppement personnel et d?am?lioration continue, en dehors de tout gain financier.
Or, aucune communication ext?rieure ne peut vraiment commencer sans prise de conscience, sans recueillement, sans renoncement, sans d?vouement, ni qu?te communicationnelle int?rieure, des efforts r?p?titifs, intensifs et durables, afin de trouver un ?quilibre communicant et communicatif, une structure et un syst?me communicationnels, non seulement susceptibles de r?sister aux hostilit?s et aux animosit?s, mais capables de mettre ? l?aise les diverses parties et de faire rayonner la paix et le bonheur, par leur seule pr?sence.
Il est urgent -et logique- de communiquer avec soi, avant que de chercher ? communiquer avec quiconque. Car comment r?ussir ? mettre, en commun, ce qu?on ne poss?de pas?? Mettre en commun, ?tant le sens ?tymologique de communiquer, issu du grec ??communicare??. Comment inspirer aux autres, ce qu?on ne respire pas?? Comment convaincre l?autre de ce dont on n?est pas convaincu, soi-m?me??
Entre l?impossibilit? de communiquer et celle de ne pas communiquer, celle de vouloir communiquer et de ne pouvoir le faire, celle de refuser de communiquer et de ne pouvoir s?en emp?cher, r?side le handicap de la communication et s??tend le champ de ses incertitudes, de ses incoh?rences et de ses injustices. Qu?est-ce que la captivit? ou la mort, si ce n?est l?inexistence de la communication -ou l?illusion de son?abstinence- puisque m?me les silences et les absences, au-del? des paroles, communiquent et m?ta communiquent ?
Il est certain qu?on ne peut penser la communication sans penser le langage, ses moyens, ses cibles, ses finalit?s... Sauf que la communication est incommensurable avec le seul verbe, les mots, qui, contrairement ? ce qu?on croit, n?en repr?sentent qu?une infime partie.
En effet, les professionnels nous apprennent que la communication verbale (orale et ?crite) ne constitue que 7 % de notre communication et que les 93 % restants, qui heureusement ne peuvent qu?exceptionnellement mentir, sont r?serv?s ? la communication non verbale, avec 55 % (le faci?s dont les mimiques, le regard et le sourire, la gestuelle, la disposition de l?espace, les attitudes, les comportements?), et para verbale, avec 38 % (le volume de la voix, le ton, le d?bit, l?accent, l?articulation?).
Mais toujours au dire des sp?cialistes, la totalit? de notre communication apparente, celle qui est consciente, ne constitue que la partie visible de l?iceberg, c?est-?-dire son dixi?me, alors que la partie submerg?e par l?eau, la communication inconsciente, repr?sente tout le reste. Autant dire que la mani?re de dire a plus d?impact et d?influence que le ??dire?? lui-m?me, que l?expression a plus de port?e que le contenu.
Autrement dit, ce qui est cach? de la communication, ce qui en est inconscient, ce qui en est ignor?, ce qui en est inhib?, est nettement plus important que ce qui en est dit, vu, su ou per?u. Comment parvenir, dans ce cas, ? communiquer sans risques ni peur, sans reste ni perte?? Comment r?ussir cette synergie myst?rieuse, cette irr?prochable r?ciprocit?, cet ?change prodigieux entre les diff?rents communicateurs?: individus, groupes, soci?t?s, entit?s, cultures, religions, disciplines, c?urs, esprits, ?mes?Ciel et terre??
Parce que les sentiments, les ?motions, les attentes, les aspirations, les d?sirs, les besoins, les peurs, les craintes, ? l?instar des id?es, des principes, de l??ge, des exp?riences, des comp?tences, des perceptions, des opinions, des croyances, des r?ussites, des ?checs, des r?alisations, du milieu, de l?h?r?dit?, des habitudes, des sens, de la culture, de l?instruction, de l??ducation, de l?identit?, de l?appartenance, de la confession, font tous partie de notre?
cadre de r?f?rence, auquel on fait constamment appel pour comprendre, appr?cier ou d?pr?cier, interpr?ter et juger tout ce qui nous entoure. C?est une fen?tre par laquelle on se penche, pour voir le monde, ou derri?re laquelle on se cache, pour le fuir.
Pour certains, c?est un seuil qu?on franchit pour partir ? la d?couverte du monde, ? la rencontre de l?autre et de soi, et non ? leur encontre. Pour d?autres, c?est une cachette o? on se tapit ? l?ombre de son pass?, pour se sentir en s?curit? et en confiance, pour se mouvoir dans le confort?des id?es re?ues, dans l?assurance des partis-pris et des pr?jug?s. C?est une prison o? on s?enferme, consciemment ou non, de crainte du changement et de ses contraintes.
D?o? la n?cessit? de se d?placer ou de d?placer la r?alit?, de la faire migrer, de la d?tourner pour l?examiner sous toutes les coutures, de chausser d?autres lunettes, afin de la voir avec d?autres yeux, nouveaux et ?trangers, dans d?autres lieux, et sous d?autres cieux. C?est le
??
recadrage??, dont parle Watzlavick, le c?l?bre anthropologue am?ricain, une notion qui produit des miracles dans le monde de la communication, tels les regrets, les repentirs, les r?demptions, les conversions?ou encore les d?couvertes, les innovations, les inventions et les r?inventions.
Entre d?construction, deuil et reconstruction, entre conflits et r?conciliation ou s?paration, entre ce qui est stimul? et ce qui est engendr?, ce qui est sous-entendu et ce qui est dit, ce qui est vis? et ce qui est exprim?, ce qui est arriv? et ce qui est rapport?, figure la diversit? de la communication, sa richesse et sa complexit?, qui sont ? l?exemple de celles de l??tre humain, dans sa g?n?ralit?, sa singularit? et son unicit?.? Entre ce qu?on veut dire, ce qu?on dit, ce qu?on entend et ce qu?on comprend, r?side l??tendue des malentendus, des griefs, des ressentiments et des ranc?urs.
Cela pose le probl?me de la relation comme charpente de toute communication, bas?e sur l?image et la confiance qu?elle inspire, sur le rapport interpersonnel ou ??inter groupal??, primant sur le contenu ou l?information v?hicul?e, car c?est la relation qui englobe le message et le cerne, d?finissant le niveau de langue choisi, recherch? ou rel?ch? (argotique, familier, courant ou soutenu) et d?terminant ainsi les attitudes et les comportements adopt?s.
Le langage, verbal ou non, change effectivement, selon la cible ? laquelle s?adresse le message et l?objectif de la communication, celui de l??metteur et du r?cepteur, d?o? le r?le important de la r?troaction (le feed-back) et de la m?ta communication (la communication au sujet de la communication), pour ?claircir une m?sentente, r?soudre un conflit, ponctuer une relation, l?entretenir de mani?re p?p?re, ou l?envenimer et la rompre.
Mais entre communication et non communication, m?ta communication et non m?ta communication, on ne sait vraiment pour quel type de communication opter, ni quel style adopter, moins encore, quel degr? investir ni quelle dose. Toutes les relations se nourrissant de communication, on a peine ? croire que certaines non communications comme l?indiff?rence, le refus, le silence, le d?saccord, l?agressivit? et l?aversion, ce que pourtant la psychologie et la psychanalyse nous certifient, peuvent ?tre des moyens cach?s, des invitations d?tourn?es, des tentatives d?sesp?r?es de communiquer.
Car une bonne communication n?est pas ais?e, en plus du temps et de l??nergie qui lui sont inh?rents, du contexte qui devrait lui ?tre convenable, des cinq C qu?elle requiert?: confiance, consid?ration, concentration, clart? et cr?ativit?, elle exige de la pr?cision, de la m?moire, de l?anticipation, du bien-?tre, de la conscience, de la sinc?rit?, de la ponctuation, de la correction, du suivi? Rien que cela?! On comprend mieux, tout cela n??tant pas de tout repos, pourquoi tant de visions s?embrouillent et tant de relations se brouillent.
Il est inutile de dire combien il est important de faire sonner sa communication?: avec des sons utiles, cibl?s et bien choisis, sans redondance ni carence. Sonner, c?est communiquer deux fois, c?est matraquer sans bruit, marteler sans nuisance, sans perturbation, ni d?sordre. Sonner, c?est rythmer ses ??ou?r?? -??audire??, ?tymologiquement - et ses dires, c?est se m?fier des ou?-dire (rumeurs, bruits et ragots), c?est entendre d?autres sons de cloche, tout en faisant entendre le sien.
Mais pour ce faire, il est essentiel de se diriger vers soi, car la cloche de soi ne sonne qu?une fois l??quilibre de la communication atteint, une communication libre et choisie, quoi qu?exig?e, une communication volontaire et consciente, quoi qu?exigeante, puisque corporelle et spirituelle, humaine, ? la fois, et divine.
Ceci n?est pas sans rappeler la parole du soufi qu?on a cherch? vainement ? menacer et ? apeurer?: ??que pourraient mes ennemis contre moi????, r?pond ce mystique, en toute s?r?nit?, mais non sans sinc?rit??: ??mon paradis est dans mon c?ur, si on m?incarc?re, ma prison serait mon lieu de r?clusion, de recueillement et de contemplation, ?al-khalwah??, si on m?exile, mon bannissement serait du tourisme, ??as-siy?hah??, et si on me tue, ma mort serait ??ach-chah?dah??, je serai martyr?de la foi ?. C?est l?une des innombrables sagesses conf?r?es par le bonheur en Dieu et par ??az-zohd??, l?asc?tisme et l?ermitage, loin de tout sybaritisme ou anachor?tisme, d?nuement ou luxe.
Ce qui est ?poustouflant, c?est que ce paradis est non seulement ?ternel, puisqu?il n?attend nullement l?au-del? pour d?buter, commen?ant depuis la terre, mais ?galement mobile, donc facile ? emporter, puisqu?il suit le c?nobite o? il va, puisqu?ils ne se quittent jamais, c?est un jardin ancr?, d?finitivement, en lui, un ?den dont personne ne peut le priver, et dont personne d?autre, que lui, ne peut disposer ni tenir les r?nes, gr?ce ? sa foi in?branlable, ce d?lice et cette euphorie, dont il jouit.
Une foi due, en premier lieu, ? une communication ininterrompue avec Dieu, ce qui lui donne cette force enti?re et implacable, cette placidit? et cette conviction intraitables, coul?es dans une douceur et une indulgence imparables, et due, en second lieu, ? une communication int?rieure qui cr?e un lien indestructible, une union extatique, une fusion et des affinit?s avec le monde ext?rieur, c?est la symphonie naturelle et cosmique de la m?ditation, une communaut? d?id?es, de pens?es et de sentiments.
Cet accord parfait entre l?intellect et l?affect, constitue ??al haq?qah??, la v?rit? int?rieure, un ?quilibre ? toute ?preuve, pr?c?dant, accompagnant et suivant toute vraie communication, r?v?lation ou illumination. Lesquelles ne sauraient se faire sans la parole ni l??coute de soi, pr?alables ? la parole et ? l??coute de l?autre, et du monde.
La communication, dans sa compl?tude et son harmonie, sa coh?rence et son homog?n?it?, devrait s?amorcer par l?id?al du non attachement aux choses terrestres, le d?veloppement perp?tuel et d?vou? des vertus et le combat continuel et acharn? contre les vices, n?cessit?s absolues, pour l?appr?hension du monde, sa compr?hension et sa communication.
Ce paradis terrestre ??le paradis, c?est mon c?ur??, quoi que le paradis et l?enfer sur terre, soient des affaires subjectives et pendantes, serait un peu le pendant de la parole, ? grand retentissement, de?
Sartre?: ? l?enfer, c?est?les autres ?. N?est-ce pas le pinacle de la ma?trise de soi, que de ne remettre les cl?s de son c?ur, et partant de son paradis, de son bonheur ou de son malheur, de sa souffrance ou de son ?merveillement, qu?? soi (et ? personne d?autre), ou plut?t de ne laisser d?emprise sur son c?ur et sur son amour, qu?? Leur Cr?ateur.
Communiquer une seule fois, avec Dieu, c?est communiquer mille fois avec Sa nature et Ses cr?atures car l?apprentissage, ici, est divin. Communiquer une seule fois avec soi, c?est communiquer cent fois, avec l?autre, car le sondage, ici, est profond,?m?me s?il est humain ; en se centrant sur Dieu, on communique mieux avec le monde?; en se concentrant sur ses faiblesses, on comprend mieux celles d?autrui, et en se d?centrant de ses forces, on reconna?t et on d?veloppe plus les siennes et celles des autres.
Dans un monde hyper-communicatif et ??sur-communiqu頻, on devrait, m?me si on la rate, tenter la perfection de la communication, qui n?est autre que sa mesure et sa gravit?, susceptibles d??pouser son authenticit?, sinon son int?gralit?, et d?effleurer son exhaustivit?. Une communication qui part du ??dedans?? pour irradier le ??dehors??, une communication qui foisonne et fusionne dans toutes les directions parce que fusant de tous les c?t?s, une communication qui d?borde sur le monde et l?inonde.
Aussi sera-t-on s?r d?avoir la r?compense de la tentative, ? d?faut d?avoir celle de la r?ussite, et ? raison d?avoir celle de la tentation. La tentation de se rendre, de ne pas r?sister, de ne pas se battre, de ne pas chercher ? s?am?liorer et de succomber aux sir?nes de la facilit? de la communication. C?est un succ?s qui n?est, certes pas garanti, mais de le fr?ler, l?est.