A Rabat, Sidi Fateh, la rue des marabouts

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Passage couvert à Sidi Fateh ou se situe la belle mosquée Sid El Mekki au minaret octogonale. A l’intérieur de trouve la sépulture de son père Sidi Mohamed Ben Touhami El Ouazzani, de la descendance de Moulay Touhami de Ouazzane.

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La rue des marabouts porte bien son nom : Sidi Fateh, parallèle à celle d’Elgza, prolongement de l’Avenue Mohammed V dans la Médina de Rabat. La sépulture du personnage dont elle porte le nom, venue d’Andalousie au 18ème siècle, occupe l’angle du croisement de la rue avec l’Avenue Laâlou. Comparée aux sépultures de Sidi Mekki ben Mohamed ou l’antenne de la zaouia Kadiria, celle de Sidi Fateh est étrangement petite et discrète.  Rue peuplée de marabouts, un peu celle de mon enfance en passage choisi pour rejoindre mon chez moi au quartier l’Océan. Ce n’est donc pas sans un frémissement d’émotion que j’ai découvert le récit concis que lui est réservé dans Rabat Magique, ouvrage que l’Agence Magheb Arabe Presse a consacré à la capitale du Royaume. Un peu plus de 70 pages qui nous apprennent (à peu près) tout ce que l’on voudrait savoir de Rabat, de sa cuisine, de ses monuments, de ses ruelles, de ses murailles et aussi un peu de ses entrailles. Rabat lui semblait la plus mal aimée des villes du Royaume avait écrit un jour Abdejlil Lahjomri Secrétaire Perpétuel de l’Académie du Royaume dans une chronique dans Quid.ma et reprise dans l’ouvrage Rabat, une histoire qui reste à écrire… coédité par l’Académie et Quid. C’est ce mal amour qu’explique un peu Khalil Hachimi Idrissi (KHI) dans son introduction de l’ouvrage Rabat Magique au titre poétique, La parabole des Cigognes. KHI est un casablancais de souche, un digne enfant de Derb Soltane, poète dans l’art et dans l’âme, et comme tout casablancais qui se respecte il appréhendait la capitale réduite à ce qu’elle semble être et non pas à ce qu’elle est : un ensemble d’administrations et de tracas administratifs pour tous ceux qui y viennent de l’extérieur. Et de la même manière qu’un R’bati perçoit Casablanca comme une ville de fracas et d’agitation, Khalil le casablancais voit Rabat à travers le prisme de son apparence indolente. Mais le voilà condamné à y vivre, nommé pour présider aux destinées de la MAP. Progressivement il s’ouvre à Rabat, découvre les charmes discrets de la capitale et la magie de la plus impériale des villes impériales du Royaume finit par le prendre. C’est ce qu’il raconte de son Rabat dans ce beau texte introductif de l’ouvrage - NK :

Lire aussi :  Rabat, mon bel amour, les rbatis existent-ils ? Par Abdejlil Lahjomri 

La parabole des cigognes

La conviction d'un destin partagé – Par Khalil Hachimi Idrissi

Ce qui est étrange à Rabat c’est que l’on ne trouve pas de Rbatis de souche. Ou presque pas. Si on excepte les quelques familles morisques, arrivées d’Andalousie il y a fort longtemps, qui forment le substratum culturel de la ville, toutes les autres familles sont des Rbaties d’adoption. En fait, tout le monde est adopté, y compris les morisques ; ce qui fait la différence, c’est la date d’adoption. Plus ou moins lointaine. 

Rabat, donc, est un creuset culturel qui a absorbé de multiples apports au cours de son histoire. Dans un processus quasi géologique, des strates se sont accumulées, solidifiées, sédimentées et ont donné naissance à une identité singulière. 

La fonction de capitale politique de la ville, la présence du Palais Royal en son sein, du Mechouar adossé au quartier des Touargas en son sein, de la mosquée « Ahl Fès » et sa vocation makhzénienne multiséculaire, lui ont donné une patine qui enveloppe toute la population d’une espèce de « sacralité » urbaine qui rendrait profane toutes les agglomérations du pays sauf, naturellement, les villes impériales de l’Empire chérifien. Et pourtant. 

Les autres, qui ne sont pas initiés aux mystères multiples de la ville de Rabat, la considèrent sous le prisme unique de sa fonction administrative voire bureaucratique. Tous les problèmes, de tout le royaume, montent à Rabat et n’y trouvent pas forcément tous une solution. Les arbitrages qui s’y font ne sont pas toujours, non plus, à la mesure des espoirs des plaignants usés par un voyage souvent éreintant et des attentes parfois terribles. 

Avec le temps et le cumul des expériences, l’image de Rabat chez les Marocains étaient toujours un peu chahutée par des frustrations ou des incompréhensions liées à sa fonction. Rabat n’étant assimilée ni à un lieu de plaisir ni à un lieu de villégiature. Des générations entières de Marocains ont grandi avec cette perception. 

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Couverture de l’ouvrage Rabat Magique en hommage au tapis r’bati 

Témoignage d’un Rbati d’adoption, -j’y vis depuis 12 ans venant de ma ville native de Casablanca- les choses ont véritablement changé. J’ai été pris dans une forme d’indolence que secrète cette ville et qui n’est pas désagréable. Et j’ai, petit à petit, commencé à ouvrir les yeux sur mon environnement. 

Mon premier choc, c’était au printemps. J’ai découvert que la plupart des arbres d’alignement de la ville étaient - outre les ficus - des jacarandas. Une couverture pourpre a, en quelques jours, enveloppé la ville d’un manteau papal. Il faut du temps pour réaliser que cette couleur, noble et si rare, peut habiller promptement une ville, ses rues, ses venelles. C’est absolument féérique. 

Le deuxième choc c’est quand mon chemin a commencé à croiser des cigognes. Je ne croyais pas mes yeux. Pas une cigogne, mais des communautés de cigognes avec leurs nids et leurs petits, déjà si élégants et apprenant maladroitement à voler. Elles ont en partie jeté leur dévolu sur Chellah et sur la route des Zaers – aujourd’hui boulevard Mohammed VI- qu’elles colonisent de bout en bout et Dieu sait si ce boulevard est long. De la muraille adossée à l’état -major des FAR, aux confins de Romani. Une vérité scolaire, apprise autrefois, d’un instituteur, probablement alsacien, me taraudait l’esprit : « Là où vivent les cigognes, il ne peut y avoir de pollution ». Cette vérité est devenue limpide à Rabat. Plus vrai encore dans la nécropole de Chellah où les cigognes blanches résident, sédentaires, depuis des décennies. 

L’autre chose, sérieuse, qui a attiré mon attention c’est que la ville avait une ceinture verte. Son existence s’apparentait à un miracle. Je trouvais cela anecdotique, au début. Et pourquoi pas une forêt urbaine pendant que l’on y est. La forêt urbaine existe, aussi. Pour une ville qui a choisi très tôt de tourner le dos à la mer, ses atouts naturels sont époustouflants. Une ville verte, dit-on aujourd’hui, pour rattraper ou compenser une anarchie urbaine que l’on a du mal à discipliner. Non, à Rabat la ville, protégée par sa vertueuse ceinture, est vraiment verte. 

C’est comme cela que le charme de cette ville, d’emblée mal aimée, opère. C’est une sorte d’ivresse écologique qui vous prend, qui vous habite, surtout si vous avez grandi dans un milieu urbain saturé et à la violence latente et à fleur de peau. Une ville que la nature respecte et qui respecte la nature ne peut pas ressembler à sa caricature : Froide, distante, peu hospitalière et aux habitants qu’un tropisme « endogamique » a rendu méfiants. 

Rabat révèle alors son identité cachée avec ses marchés joyeux, sa médina heureuse et protégée, ses souks colorés, ses parcs et jardins religieusement entretenus comme ses murailles d’ailleurs. Pour ajouter à ce tableau véritablement idyllique, pour une bonne part des Africains, notamment de l’Ouest, Rabat est une ville sainte. 

C’est là où gît Sidi Larbi Ben Sayeh, - aux côtés de son épouse, bien aimée et vertueuse, Lalla Aicha Al Hafyanya, - 

*un pôle de la zaouïa Tijania dans la lignée de Sidi Ahmed Tijani. Chez les Tidjanes africains, le pèlerinage de Fès ne s’accomplit qu’avec une étape spirituelle aussi intense à Rabat pour recueillir les bénédictions de Sidi Larbi Ben Sayeh. 

Mais ce qui va faire basculer, définitivement, cette ville c’est l’intérêt que lui porte SM le Roi Mohammed VI. Un intérêt assidu certainement affectif, car c’est la ville de son enfance, mais, plus que cela, il a imaginé un véritable projet urbain qui s’appuie sur des réalisations d’excellence qui vont projeter cette ville dans une dimension jamais égalée.  Ecologie, modernité et authenticité. La scansion de ces trois thèmes prolonge la ville dans un état de grâce. 

Une marina sublimissime surplombe le grand théâtre de Rabat qui insère cette ville dans le circuit culturel mondial des grands opéras. Une nouvelle gare routière hyper fonctionnelle qui accueille les voyageurs dans un écrin de modernité. Des gares formidables et audacieuses. Un aéroport de référence. Un tramway utile qui serpente Rabat et Salé unies pour la première fois dans un même confort de mobilité. De nouveaux quartiers de Hay Riad à l’Orangeraie offrent une qualité de vie unique à une classe moyenne de plus en plus large. Le musée Mohammed VI des arts modernes et contemporains donne désormais à Rabat une centralité culturelle nationale voire continentale. Le Festival Mawazine de Rabat est un des premiers au monde. 

Le pari urbain de la ville est, à l’évidence, en train d’être gagné. Il reste le chantier culturel, sur lequel le Souverain veille en personne. Rabat sera une capitale culturelle sans coup férir. Tous les ingrédients sont là et la volonté n’est pas en reste. L’on voit bien que les touristes internationaux, amateurs de tourisme culturel, viennent de plus en plus nombreux à Rabat. Une ville patrimoniale où les musées sont légion. C’est comme la parabole des cigognes, là où il y a des touristes, il y a la tolérance, le vivre-ensemble, la joie de vivre et la quiétude. 

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