chroniques
Abdelkader RETNANI: Adieu l'ami... - Par Mustapha SEHIMI
En 1993 d'une jeune maison d'édition "La Croisée des Chemins", trentenaire aujourd'hui. Elle est la première et la plus importante dans le Royaume. Une belle réussite. Une aventure
Il a rendu l'âme dans la nuit du lundi au mardi. Une longue maladie a non fini par l'emporter. Abdelkader Retnani nous a donc quittés. Une grande tristesse. Une vie. Un parcours. Une aventure.
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Après une scolarité à Casablanca, des études de sciences économiques à l'étranger, de retour, le voilà qui intègre une grande administration durant quatre ans. Il aurait pu, comme tant d'autres, y faire une longue carrière où ses qualités et son potentiel auraient porté leurs fruits. Il franchit le pas et décide alors de se lancer dans le commercial. Avec sa jeune épouse, Amina, avocate et passionnée de livres, il crée en 1981 avec un tour de table d'amis la maison d'édition "EDDIF". L'entreprise marche fort, avec des bureaux à Paris et dans plusieurs pays africains. L'équipe commerciale se renforce et dépasse les 70 membres.
Le livre, le Maroc, les Marocains
Mais le feu sacré de l'édition le happe : il s'engage alors pleinement dans ce secteur. S'il continue encore à diffuser, le basculement se fait avec le rachat en 1993 d'une jeune maison d'édition "La Croisée des Chemins", trentenaire aujourd'hui. Elle est la première et la plus importante dans le Royaume. Une belle réussite. Une aventure... A ce jour, il a édité quelque 1.800 romans et essais ; il faut y ajouter une collection de 200 "Beaux-livres" sur le patrimoine les villes, les régions, les arts et les traditions et tant d'autres périmètres. Il en parle toujours avec "fierté": à ses yeux, elle entre au premier plan dans son cahier de charges éditorial. Il estimait qu'il avait là une sorte de mission de service public : d'un côté, la publication de tout ce qui pouvait faire bouger la société marocaine ; de l'autre la valorisation et la mise en exergue de la richesse et de la diversité du legs immatériel des siècles, le patrimoine dans tous ses versants. En même temps, il lui arrivait de céder à des "coups de cœur", soit pour des auteurs marocains, soit pour d'autres étrangers. Son équipe, d'une vingtaine de membres, était professionnelle; son bureau ouvert à tous, et nul doute que sa maison d'édition était stimulée par une culture d'entreprise particulière servie par son leadership personnel, un comité de lecture exigeant et sourcilleux, sans oublier un noyau éditorial dans le premier cercle.
S'il fallait résumer l'élan vital et professionnel qui l’a caractérisé depuis plus de trois décennies, ce serait ce triptyque : "1e livre, le Maroc, les Marocains". Depuis des lustres, il n'a pas épuisé sa capacité d'interpellation des pouvoirs publics et des collectivités territoriales à propos de l'insuffisance des financements dans la promotion du live et de la lecture. Il a été un aiguillon infatigable à cet égard en œuvrant en même temps à structurer ce secteur du livre. Il a été ainsi président fondateur de l'Association marocaine des professionnels du livre (AMPL); il est également vice-président de la Fédération des industries culturelles et créatives de la CGEM avec à sa tête Naila Tazi.
Une longue marche
Comment élargir le panorama éditorial au Maroc ? Par l'organisation de nombreux salons au Maroc, en Afrique et ailleurs; par la participation à d’autres en Europe, en Tunisie, au Liban, aux Émirats arabes unis, (sharjah International Book Fair (SIBF); par une politique de diffusion du livre partout au Maroc et pas seulement dans les grandes métropoles-Rabat, Casablanca, Marrakech et Tanger. Il insiste toujours sur la place et le rôle des librairies dans toute la chaîne du livre en se désolant que ni les régions ni les municipalités ne paraissent s'en préoccuper. Son crédo final tel qu'il l'a précisé dans une interview à Qitab /Tel Quel, voici trois ans est le suivant : "Continuer à lire, à croire dans la lecture, dans la culture, dans la formidable richesse dont regorgent les livres et la littérature, nationale internationale". Une longue marche : celle de la lecture.
Sa sociabilité est, pour finir, particulière. Amateur de sport, il a présidé le Raja de Casablanca (1985/1989) où il était à l'aise avec la gouaille des "Bedawa", leurs élans et leur ferveur parfois éruptive. Il était aussi très impliqué dans des réseaux associatifs, partageant avec eux son relationnel, ses réseaux et son engagement pour des projets et des actions. Il pouvait être parfois rugueux -un corollaire de son parler vrai, "cash". Mais les uns et les autres appréciaient ses qualités personnelles. Son éthique. Et le référentiel de ses valeurs culturelles et patriotiques. Un socle.
"Nous sommes à Dieu et à Lui nous retournons".