Aux Etats-Unis, l'Oregon explore le pouvoir des champignons ''magiques'' aux effets psychédéliques.

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Des autocollants décoratifs sont en vente à High Desert Spores, un magasin qui vend du matériel pour cultiver des champignons hallucinogènes et gastronomiques, à Portland, dans l'Oregon, le 10 mai 2023. Depuis le 1er janvier, l'Oregon a légalisé l'usage adulte de la psilocybine, le composant hallucinogène actif des champignons magiques. (Photo de Robyn Beck / AFP)

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Dans un laboratoire de Portland, Tori Armbrust sort 250 grammes de champignons hallucinogènes d'un simple cabas pour faire tester leur puissance: partout ailleurs aux Etats-Unis, "j'aurais de gros ennuis pour ça, à 1000%", rit la trentenaire.

Mais dans le nord-ouest du pays, en Oregon où leur usage est légal depuis le 1er janvier, cette productrice ne fait que son travail. Avec sa licence récemment obtenue, elle va pouvoir vendre ce que les Aztèques appelaient la "chair des dieux" à des centres proposant des sessions de "thérapie psychédélique".

Ces champignons ont longtemps été associés aux frasques de la contre-culture américaine. Mais leur ingrédient actif, la psilocybine, bénéficie d'un regain d'intérêt de la recherche : la substance semble prometteuse pour traiter les dépressions sévères, certaines addictions ou le stress post-traumatique.

Pionnier dans le pays, l'Oregon brave l'interdiction fédérale toujours en vigueur aux Etats-Unis. Les personnes de plus de 21 ans peuvent dorénavant accéder aux champignons "magiques" sans ordonnance médicale, mais devront obligatoirement les ingérer sous le contrôle d'un superviseur certifié.

Le "trip" dure environ six heures et doit être suivi d'au moins une séance d'introspection avec ce "facilitateur".

Ouvert à toute personne dotée du bac et s'acquittant d'un apprentissage de 160 heures, ce nouveau métier attire notamment certains professionnels de la santé mentale, comme Tyler Case.

Alternative

Le thérapeute de 44 ans vient de débourser presque 10.000 dollars pour se former, avec l'espoir de proposer une alternative à ses nombreux patients atteints de troubles de la personnalité, souvent jugés incurables.

La psilocybine "est un outil qui peut aider les personnes (...) qui n'ont trouvé d'aide nulle part ailleurs", explique-t-il à l'AFP. "Nous utilisons des médicaments psychotropes puissants tout le temps, nous faisons des choses qui modifient le fonctionnement du cerveau des gens. Pourquoi ne pas essayer ça aussi ?"

Les scientifiques étudient encore son fonctionnement et peu de choses sont connues sur son usage à long terme. Mais les recherches suggèrent que la psilocybine, ainsi que d'autres psychédéliques comme le LSD ou la MDMA, augmente les connexions neuronales et permet un reformatage du cerveau, qui favorise l'adoption de nouveaux comportements face à des problèmes de longue date.

Grâce à elle, Tobias Shea s'est sorti d'une profonde dépression.

Après deux déploiements en Afghanistan, où il a perdu certains camarades, ce vétéran de l'armée américaine souffrait d'hyper vigilance et d'anxiété, parfois au point d'être incapable de sortir au supermarché.

La psychothérapie et les antidépresseurs "n'étaient pas efficaces", raconte le quadragénaire, qui a finalement essayé les champignons hallucinogènes.

De ses deux prises en 2011 et 2013, cet entraîneur de jiu-jitsu retient ses visions "arc-en-ciel" et son "sentiment d'émerveillement devant l'immensité et la complexité de l'univers".

Assisté par des guides, il a déballé "le contenu effrayant dans (sa) tête". Avec à la clé, une leçon qui l'a remis en selle: "oui, j'ai vécu une expérience traumatisante, mais cela ne doit pas définir la façon dont je continue d'exister."

- Enjeux éthiques -

En légalisant, l'Oregon pose aussi un cadre pour tenter d'endiguer les dérives - abus sexuels ou de pouvoir - de certains "gourous" opérant dans ce milieu opaque.

La responsabilité des praticiens devant la loi est "un facteur clé", souligne Elizabeth Nielson, psychologue et fondatrice de Fluence, l'une des entreprises agréées pour former les nouveaux superviseurs.

L'usage de la psilocybine est autorisé dans une poignée de pays comme le Brésil, le Népal ou les Bahamas, mais ce cadre réglementaire "n'existe pas (...) ailleurs dans le monde", insiste-t-elle.

Dans ses ateliers, les formateurs insistent sur "l'extrême vulnérabilité" des patients lors de leurs voyages transcendantaux.

Les étudiants apprennent notamment à intervenir le moins possible pour ne pas les influencer et à passer un contrat éthique définissant quelles parties du corps toucher, pour rassurer en cas de "bad trip". Donner la main, la poser sur l'épaule: tout doit être scrupuleusement défini à l'avance.

L'expérience semble déjà faire des émules. En novembre, les électeurs du Colorado ont voté pour décriminaliser les champignons hallucinogènes et créer des "centre de soins". Une douzaine d'autres Etats, dont celui de New York et la Californie, envisagent des mesures similaires.

Mais au-delà des promesses thérapeutiques, une autre question se pose: qui aura les moyens de s'offrir ce genre de services?

Les sessions à 3.500 dollars proposées par le premier centre licencié d'Oregon, qui vient à peine d'ouvrir, scandalisent certains locaux comme Don, patron d'une boutique de fungiculture à Portland.

"On peut en cultiver soi-même pour 40 dollars", s'indigne ce quadragénaire, qui refuse de donner son patronyme. "J'ai l'impression que ça va être principalement pour les touristes."

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