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Avis sur la polygamie, le mariage des mineures et l’action en reconnaissance de mariage - Par Bilal TALIDI
D’après les statistiques, il ressort donc que le mariage des mineures constitue un sérieux défi (5% de l’ensemble des mariages !), contre seulement 1,77 % pour la polygamie.
L’action en reconnaissance de mariage mérite réflexion avant toute décision. C’est un sujet ne concerne plus un territoire, les us et coutumes d’une zone spécifique ou des conjoints dans l’incapacité d’authentifier leur mariage, pour des raisons exceptionnelles.
Cette question pose un sérieux problème du fait qu’elle sert d’échappatoire procédurale qui permet de contourner d’autres textes juridiques qui ne répondent pas à une demande sociale, en lien notamment avec le mariage des mineures et la polygamie. Pour contourner l’interdiction de ces deux derniers cas, certains recourent au mariage coutumier pour authentifier leur union et ensuite ester en justice une action en reconnaissance de mariage.
D’aucuns pourraient arguer que tout recours à la justice et irrecevable après l’expiration de la date transitoire fixée à cet effet. Il n’empêche, des délais ont été dépassés, mais rouverts à nouveau dans bien des cas en lien avec la reconnaissance de mariage. En 2022, la Cour de cassation a entériné une décision du tribunal de la famille à Marrakech ayant accepté l’authentification du mariage d’un couple au-delà des délais fixés, sur la base de l’article 400 du Code la famille, qui renvoie, en l’absence de texte, aux prescriptions du rite Malékite et/ou aux conclusions de l’effort jurisprudentiel (Ijtihad).
D’autres appellent précisément à l’abrogation pure et simple de l’article 400 qui mettrait fin, selon eux, aux actions en reconnaissance de mariage via le recours à l’effort juridictionnel dévolu aux magistrats. Ils ne réalisent pas à mon avis la gravité de ce plaidoyer qui risque de fermer totalement la voie à tout effort juridictionnel en lien avec des questions non-réglementées par un texte et de transformer, ce faisant, la Moudawana en un texte hermétiquement fermé, rigide et incapable de répondre aux nouveautés.
La survenue de problèmes de cette nature implique l’examen du rapport entre la règle juridique et la réalité sociale. Il faut se demander si le phénomène constaté est un acte frauduleux séparé qui requiert un ajustement technique et limité du texte juridique -(en vue de prévenir une migration collective vers l’action en reconnaissance de mariage pour justifier le mariage des mineures et la polygamie)-, ou s’il exprime une demande sociale bien plus profonde exigeant une refonte du texte juridique?
Pour mieux saisir l’ampleur du problème, il serait intéressant de considérer les données fournies par le rapport du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CPJS) sur les tribunaux de la famille entre 2017 et 2020.
Le rapport observe que les demandes en lien avec le mariage des mineures ont constitué 11% de l’ensemble des demandes d’authentification de mariage déposées devant les juridictions du Royaume, soit une moyenne annuelle de 25.879 demandes.
Les tribunaux ont accepté 46% des demandes en lien avec le mariage des mineures, soit 5% de l’ensemble des mariages dans le pays.
Le même document révèle que, durant la même période, les tribunaux marocains ont accepté près de 49% des 20 mille demandes de polygamie présentées, en majorité au cours de l’année 2021.
D’après les statistiques, il ressort donc que le mariage des mineures constitue un sérieux défi (5% de l’ensemble des mariages !), contre seulement 1,77 % pour la polygamie.
Les données analytiques du même rapport, indiquent que les raisons de la polygamie différent de celle du mariage des mineures Pour les premières, il évoque des raisons objectives, allant de l’état de santé de la première épouse (stérilité, invalidité...), au refus d’une épouse établie à l’étranger de regagner le giron conjugal, en passant par le remariage avec l’épouse divorcée dans l’intérêt des enfants, avec le consentement de la nouvelle épouse. Mais le mariage des mineures est attribué, selon le document, à des considérations socioéconomiques ayant induit une instabilité familiale ou un décrochage scolaire précoce, les deux principales raisons qui poussent les mineures (ou leurs familles) à voir dans le mariage une issue à leur situation.
Les données du rapport, tout comme celles fournies par l’étude d’un échantillon menée également par le CSPJ sur la reconnaissance de mariage, font ressortir une mixe de ‘’motifs de force majeure’’ qui entravent l’authentification du mariage, et des actes contournement de la loi pour légaliser un mariage avec une mineure ou acter une polygamie.
L’expiration du délai d’acceptation des actions de reconnaissance de mariage a sensiblement affecté la courbe des données. Les demandes sont ainsi passées de 14.431 en 2017 à 3 925 en 2019.
Et s’il est vrai que l’année 2020 n’a enregistré que 388 demandes dans ce sens, on ne peut la retenir comme une référence puisque le contexte de la pandémie du Covid-19 a impacté toutes les demandes de mariages quelle qu’en soit la nature. Pour revoir les demandes de reconnaissance de mariage repartir à la hausse dès début 2021 avec un total de 469 demandes, et le trend haussier s’est poursuivi au cours des années suivantes, dans le sillage de l’Ijtihad jurisprudentiel ayant ouvert une brèche d’interprétation de l’article 400 du Code de la famille.
L’analyse de ces données renvoie à un sérieux problème indiquant que le mariage des mineures est d’abord une question de politiques publiques sans rapport avec la pertinence du texte juridique ou la prédominance d’une culture conservatrice rétive au changement. C’est pour cette raison que la conception d’un texte juridique interdisant le mariage des mineures, sans règlement en amont au développement réel des zones rurales, parait infaisable. Tant que les indicateurs du développement social qui permettrait aux jeunes filles rurales et à leurs familles de résoudre leurs problèmes, ne sont pas améliorés, il serait illusoire de croire par la seule loi, on amènerait les petites filles rurales à la situation celle en zones urbaines où les familles refusent de marier leurs filles avant d’avoir terminé leur scolarité (généralement 25 ans en moyenne).
La polygamie, avec à peine 2%, ne semble pas, de son coté, poser un défi majeur au Maroc, motivée la plupart du temps par des raisons de force majeure sans lien aucun avec un quelconque esprit phallocratique.
Les férus de statistiques se concentrent seulement sur les réponses favorables au mariage des mineures et polygames, mais ils ne s’interrogent jamais sur le nombre de cas rejetés et les subterfuges empruntés par les déboutés. Auraient-ils renoncé au mariage ou ont-ils trouvé d’autres alternatives ? Et si c’est le cas, quel impact leur contournement a-t-il eu sur la cellule familiale et la stabilité de la société dans son ensemble ?
Les statistiques indiquent qu’en cinq ans plus de 72 mille demandes de mariage de mineures et de polygamie ont été refusées ; un chiffre effrayant qui révèle une tendance sociale que l’on ne pourrait aborder par la simple interdiction brutale de la loi. Dans l’autre sens, deux indicateurs majeurs corroborent cette conclusion : le premier est que les juridictions marocaines, sous la pression sociale, ont été obligées d’accepter, particulièrement entre 2019 et 2021, des demandes de polygamie allant au-delà du quota annuel de 4 000 cas, à raison de 4 259 en 2019 et 4 854 en 2021. Le second se rapporte au recours à l’action en reconnaissance de mariage, comme subterfuge procédural permettant de résoudre les empêchements juridiques au mariage des mineures et à la polygamie.
Un débat approfondi de ces questions ne devrait pas placer la règle juridique aux antipodes de l’évolution de la société et de ses transformations, notamment dans les milieux où la loi serait non seulement inopérationnelle, mais rejetée, particulièrement dans des zones où s’entremêlent des considérations économiques et sociales spécifiques.
L’idéal serait, mariage des mineures, de limiter à 16 ans l’âge minimum, en adjoignant à la demande un contrôle judiciaire pour s’assurer de la véracité et de la justesse des raisons évoquées. La polygamie appelle elle une certaine flexibilité en attendant que les conditions socioéconomiques s’y prêtent, en limiter le recours par des conditions qui assurent la vie digne et la stabilité des familles polygames.
En ce qui concerne la régularisation du mariage, l'administration sera, en raison du tremblement de terre à Al Haouz, contrainte d'ouvrir une nouvelle période pour officialiser les mariages après que les documents des sinistrés se soient perdus sous les décombres.