‘’Bonnes notes contre sexe’’ : Où en est et où va l’université marocaine – Par le Pr El Houcine Errami

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La crise de l’université ne peut être réduite à des comportements pathologiques communément désignés par la presse «sexe contre bonnes notes», scandale qui a éclaté dans certains sites universitaires à cause d’attitudes ignobles émanant de personnes censées servir de modèle. Elles sont plus le symptôme que la mal.

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Par El Houcine Errami - Professeur de droit public, Université Ibn Zohr

Parler de la situation de l’université marocaine dans le sillage des articles de presse colportés récemment appelle à mettre sur le tapis une série d’interrogations dont on ne saurait, en si peu d’espace, couvrir toute l’étendue et la complexité. 

L’on tentera tout au plus de contribuer au débat avec la présentation de quelques éléments de réponse, et de soulever certaines problématiques qui interpellent les décideurs, l’université, les parties concernées et les médias, le but étant d’appréhender ces questions avec la profondeur requise en vue d’élucider les faits dans toute leur plénitude et de cerner ce qui est nécessaire à l’avenir d’une université digne de ce pays. Les questions qui s’imposent ainsi à nous s’articulent autour de quatre axes :

1- Pourquoi le changement de la situation de l’université est-il à la fois une responsabilité collective et sociétale, et une nécessité impérieuse, voire une responsabilité individuelle qui incombe à l’ensemble des acteurs, particulièrement l’acteur universitaire (enseignants, étudiants et administrateurs) ?

2- A quand un changement de la situation de l’université de manière à ce qu’elle reflète le sens de la responsabilité civilisationnelle et humaine axé sur les préoccupations profondes d’une nation qui aspire à l’évolution et au développement au lieu de rester un environnement dominé par des approches administratives et techniques marquées par le souci du court terme et la routine? 

3- Comment changer la situation de l’université et que faut-il changer dans cet espace pour que n’y pullulent plus des pratiques et des méthodes souvent sources de plaies et de défaillances, afin que l’université retrouve sa vocation de plateforme ouverte sur le savoir et la formation d’élites capables d’aborder le changement nécessaire à la construction d’un édifice social adossé aux valeurs humaines et universelles ?

4- Quelles seront les conséquences d’un échec ou de tout retard dans le changement des conditions dans lesquelles évolue l’université, particulièrement au regard de l’ampleur des problématiques et des phénomènes pathologiques étranges qui la rongent et poussent de larges franges sociales au doute et à la suspicion ?

Le symptôme au lieu de la cause

L’on tentera ici d’apporter des éléments de réponse à la première question, dans l’espoir de revenir ultérieurement aux autres. A commencer par préciser que plusieurs raisons militent pour exiger une remise à plat totale de la situation de l’université qui ne saurait se contenter d’une simple réforme.

La prolifération de comportements et pratiques hautement condamnables qui, même réduits et isolés, constituent un déshonneur pour tous les acteurs, y compris les tribunes qui ont actionné leur machine médiatique pour porter atteinte à l’université et aux universitaires et aux missions nobles et aux responsabilités énormes qu’ils assument.

La cabale médiatique inédite visant l’université et les universitaires, qui dissimule mal des visées tendancieuses et biaisées. La crise de l’université ne peut être réduite à des comportements pathologiques communément désignés par la presse «sexe contre bonnes notes», scandale qui a éclaté dans certains sites universitaires à cause d’attitudes ignobles émanant de personnes censées servir de modèle. Elles sont plus le symptôme que la mal. 

L’université se débat dans nombre de problèmes endémiques   qui ont servi de terreau à la prolifération de ces pratiques maladives, et qui ne peuvent en aucun cas escamoter les phénomènes de la violence physique et morale, les comportements voyous, et le torpillage des activités scientifiques dans les amphithéâtres, les salles de conférence et de réunions. Ces phénomènes, eux-mêmes ne peuvent être isolés des autres pratiques liées à la gestion des évaluations, des examens, des opérations de recrutement, et de sélection des candidats aux concours du Master et des études doctorantes. Dans l’ensemble, ces pratiques qui ont fait couler beaucoup d’encre et fait les choux gras de nombre de sites électroniques et de tribunes médiatiques n’ont fait l’objet d’aucun examen approfondi pouvant éclairer sur la réalité des problèmes de nos campus , ou conduire à l’application des procédures et des sanctions sur la base de la reddition des comptes.

Les vrais problèmes

La fragilité du système de gouvernance universitaire largement englué dans des dysfonctionnements structurels et fonctionnels - horizontalement et verticalement – rendent caducs et sans effets les slogans de la transparence, de l’intégrité, de la responsabilité, de la participation et de l’ouverture. La situation ainsi décrite est d’autant plus compliquée qu’elle est accompagnée d’absence totale de congruence entre le discours et les actes de ceux-là même qui s’érigent en défenseurs de la bonne gouvernance, des valeurs et de la déontologie.

Pour ne rien changer ou pour ne rien arranger, la faiblesse des mécanismes de contrôle, d’évaluation, de suivi et de reddition des comptes à tous les niveaux, induit la dilapidation des deniers publics dans des opérations sans impact sur la situation de l’université. Il suffit de rappeler ici les fortunes dépensées sans évaluation ni contrôle pour la mise en œuvre des réformes contenues dans le programme d’urgence et les rapports accablants publiés à ce sujet par des institutions nationales, sans parler de la vision 2015/2030 dont les contours se trouvent toujours dans les limbes six ans après. Pourtant, pour enrayer les pratiques douteuses, la simple mise en œuvre du principe de la reddition des comptes, dans l’application stricte et impartiale de la loi, suffirait.

La faiblesse des infrastructures d’accueil et des équipements et de leur inadéquation avec les effectifs sans cesse croissants des étudiants, produit une surpopulation jamais égalée dans les établissements à accès ouvert, plus particulièrement dans la filière des sciences juridiques. En témoignent d’ailleurs la carte universitaire et la répartition des étudiants sur les différents établissements. A titre d’exemple seulement, l’Université Ibn Zohr d’Agadir couvre quatre régions du Royaume, et la faculté des sciences juridiques, économiques et sociales d’Agadir compte à elle seule 41 mille étudiants, dont 25 mille pour la seule filière des sciences juridiques, pour un établissement d’une capacité d’accueil ne dépassant guère les 6000 étudiants.

C’est dans la même veine que s’inscrit la faiblesse du taux d’encadrement pédagogique et administratif, quantitativement et qualitativement. Il en découle une surcharge de travail intenable pour le corps administratif et pédagogique. Pour nous en tenir à la faculté de droit d’Agadir, le nombre global du corps pédagogique ne dépasse guère les 140 enseignants et 41 agents administratifs.

Il en est ainsi également pour les programmes de formation (faibles), et des méthodes (inefficientes) adoptées dans les processus d’enseignement et d’apprentissage. Car, le souci majeur des responsables du milieu universitaire se limite à assurer la continuité pédagogique et des évaluations de manière à ne pas impacter le fonctionnement normal de l’institution et d’augmenter le nombre des diplômés que l’on considère comme un gage de succès et de distinction sans égard pour le contenu et les méthodes utilisées, ou encore de la logique des objectifs et des résultats. 

L’orientation de plus en plus prononcée vers la privatisation de l’enseignement supérieur, le désintérêt pour les problèmes réels de l’université publique, voire une dévalorisation du travail de l’acteur universitaire qui honore, sans compter et sans rémunération conséquente, son métier et assume sa responsabilité à l’intérieur comme à l’extérieur de l’université aggravent la détérioration de la situation de l’université marocaine. Lecture des mémoires, élaboration des rapports sur les thèses, organisation et contribution aux conférences, participation aux commissions de recrutement, aux soutenances, aux réunions des structures universitaires, outre la coordination des cycles et des branches s’inscrivent de cette manière dans le registre de l’action bénévole.

Le peu d’intérêt pour la qualité de la formation et de la recherche en faveur de démarches privilégiant la quantité, c’est ce qui impacte négativement la productivité interne et externe de l’université. Dès lors, il apparait clairement que l’on ne peut parler de la qualité de la formation sans faire appel aux approches susceptibles de garantir la qualité recherchée qui, elle-même, passe immanquablement par la création des conditions nécessaires permettant au corps pédagogique d’assumer ses missions dans un cadre respectant les normes de qualité. Il s’agit essentiellement d’assurer le recrutement et la formation selon des normes scientifiques, l’adoption d’une politique incitative efficiente permettant d’attirer les compétences capables d’adhérer à la dynamique de l’université publique citoyenne. Cette démarche exige aussi la mise en place de programmes et de cursus adéquats pouvant assurer une formation solide, de nature à faire de l’université une force motrice pour le développement de la société dans son intégralité et un acteur réel dans la construction sociétale.

Le rôle universel des universités

Si l’examen de ces interrogations, problématiques et défaillances, est indissociable du contexte actuel marqué par la remise en cause de l’université et des universitaires avec la volonté insidieuse de les jeter en pâture, il ne manque pas d’interpeller par un curieux jeu de miroirs sur les rôles, les missions et les responsabilités qu’assument les universités dans les pays industrialisés. Nul en fait ne peut nier le statut qu’occupe le monde universitaire aux Etats-Unis, en Europe, au Japon, et dans bien d’autres pays développés. Ce statut, les universités de ces pays l’ont gagné, non par le changement des programmes, des structures, des édifices et des équipements, en dépit de leur importance, mais surtout grâce à la révision profonde des visions, des idées, des valeurs et des stratégies. Cette place de choix a permis à ces universités d’être pionnières dans les domaines de la formation, de la recherche et du développement, et de drainer des millions d’étudiants de par le monde qui y trouvent un havre d’épanouissement et de sécurité après avoir été rejetés par leurs propres pays.

Ces universités ont su surmonter les défis de la mondialisation, ses challenges, ses contraintes et ses problèmes, en consolidant leur capacité à transcender les frontières, à exporter leurs programmes et cursus, et à vendre leurs services dans les quatre coins du globe.

Quand et comment cette transformation qualitative s’est-elle opérée dans l’histoire des universités occidentales et de leurs paires dans le monde développé, comment aborder le changement de la situation de l’université marocaine et améliorer ses conditions dans un contexte compliqué et fluctuant qu’il importe de mettre à profit pour bâtir une université digne du pays est un vaste programme qui fera l’objet d’un texte à venir.

 

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