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CENTRES COMMERCIAUX : LA SOCIETE DU ''PARAÎTRE'' – Par Mustapha Sehimi
A n'en pas douter, l'on a affaire à un fait de société nouveau. Il faut y voir une forme d’"occidentalisation" des modes de vie. Mais plus encore : l'insertion d'une partie de la population urbaine dans une société de consommation.
A première vue, la société serait traditionnelle, conservatirce, passablement rétive au changement ; en somme, le Maroc millénaire, tel qu'en lui-même. Pourtant par-delà ce socle socioculturel, des mutations significatives la caractérisent. Elles seraient liées à une plus forte exposition à la mondialisation et à l'ouverture grandissante notamment par suite des voyages et des médias.
A preuve, cette nouvelle génération de centres commerciaux inspirés d'Europe et des Etats-Unis. A Rabat, à Casablanca, ailleurs aussi c'est la formule du Méga Mal1 avec des variantes régionales.
"Occidentalisation" d'un mode de vie
A n'en pas douter, l'on a affaire à un fait de société nouveau. Il faut y voir une forme d’"occidentalisation" des modes de vie. Mais plus encore : l'insertion d'une partie de la population urbaine dans une société de consommation. Le public ? Il n'est pas homogène, tant s'en faut, mais hétérogène. Il mêle les familles, les jeunes - filles et garçons -les femmes, etc. Du shopping ? Oui, au passage, à l'occasion. Le divertissement, aussi. Pour autre chose encore : déambuler le long des galeries, voir ... et être vu. Un nouveau code comportemental. Une sociabilité se conjuguant avec une urbanité - un phénomène sociétal qui s'est bien installé et qui paraît se consolider durablement. Les souks traditionnels sont toujours là, les kissariat aussi : ils résistent cependant face à ces nouveaux espaces de commerce moderne. En termes de marketing, les promoteurs visaient plutôt une clientèle de jeunes bien sûr mais surtout certaines catégories sociales aisées à fort pouvoir d'achat. De fait, cette cible a vu se rajouter d'autres plus modestes. La fréquentation est importante en fin de semaine, à l'occasion des soldes et d'activités culturelles aussi; les jeunes couples sont assidus en fin d'après- midi dans les restaurants et les cafés; le mercredi après -midi, c'est un autre rush avec les femmes accompagnant leurs enfants.
Des usages sociaux ont ainsi fait leur place. Les promoteurs tablaient sur des activités commerciales, mais voilà que des usages non marchands dans les galeries s'y distinguent (lieux de rencontres, déambulation, flânerie,...).
De quoi rappeler des pratiques traditionnelles, elles, dans de grandes villes (Rabat, Fès, Tanger, Casablanca, etc.) dans les dernières décennies du siècle écoulé. Au fond, c'est un lieu de rencontre, une détente, un espace de repos et de découverte ou plutôt d'exploration des lieux. Ces espaces-là font pratiquement l'objet d'une forme d'appropriation sociale alors qu'à l'origine ils avaient été conçus pour l'achat et l'apprivoisement. Ce qui a frappé tel auteur, Tarik Harroud, c'est que "les formes de solidarité à la fois juvéniles et féminines occupent une place importante". De grandes marques nationales et internationales se caractérisent par un large éventail d'offres allant au-devant des attentes et des aspirations de cette clientèle particulière. Celle-ci s'y retrouve : elle tient à s'accrocher à des images, à des valeurs et à des codes. La présence de femmes retient également l'intérêt comme si ces centres commerciaux offraient plus de liberté d'affichage social. A la différence de l'espace public ou tant de pesanteurs existent encore à leur endroit, tel n'est pas le cas dans ces malls, comme s'y prévalait un "code de bonne conduite". Pas de critique ni de harcèlement masculins comme ailleurs : une femme est vue mais sans être mal vue... Les jeunes, eux, par instinct grégaire se sont réservé des "coins" où ils se retrouvent. Et se reconnaissent.
Etre bien vu: parades et défilés
Pas étonnant d'ailleurs que ce soit le lieu d'un certain affichage corporel nourri par l'anonymat, une ambiance: "l'apparence physique et vestimentaire devient, alors, la principale information qui s'impose au regard des passants pour juger, catégoriser et entrer en contact avec autrui". Paraître donc ? C'est nécessaire pour s'intégrer et être éligibles, dira-t-on, à ces centres. Il y a sans doute une dose d'exhibition, un souci de mettre en avant une singularité individuelle, d'"être vu", pour commencer pour ensuite "être bien vu". D'où une circulation déambulatoire s'apparentant à des "parades" et à des "défilés". Du spectacle. En termes sociologiques, bien des phénomènes s'en suivent: un autre rapport à la ville, un déplacement et une localisation d'une centralité désormais élargie, au-delà de l'espace public. Une nouvelle forme d'urbanité se construit et s'affirme. Une société en mouvement. En marche donc, émergente qui garde son âme avec un "mix" d'appropriation et de sociabilisé soutenu par de fortes images.