From Morocco in New York – Par Seddik Maâninou

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Seddik Maâninou devant la Bibliothèque publique de New York

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Le Présent - Par Seddik MAANINOU

Après sept heures de vol, l’avion atterrit à l’aéroport John Kennedy à New York. Le début d’un séjour familial à l’occasion des vacances scolaires.

Passeports

Je suis entré aux Etats-Unis avec deux passeports. Le premier dont la validité est expirée porte le visa d’accès en territoire américain. Le second, valide, pour quitter le pays et accéder à d’autres pays étrangers. J’ai été agréablement surpris par la fluidité et la facilité du contrôle de police et des douanes aux frontières. Personne ne nous a demandé, comme c’est d’usage, la raison de notre voyage. Ni notre adresse de résidence. Ni la somme d’argent en notre possession. Nous n’avions pas à nous délester de nos chaussures ou de nos montres. On ne nous a pas pris de photos comme si nous étions des criminels. Quelque chose en Amérique a changé, s’est décontracté, contre une crispation palpable aux frontières du territoire français.

Un taxi jaune

Nous avons aisément trouvé un taxi. Le conducteur est d’origine africaine. J’ai échangé avec lui. L’homme travaillait comme sapeur-pompier avant de se convertir en taximan. Lui disant que j’étais de «Morocco», il a esquissé un sourire : «Vous avez une excellente équipe de hackers. Les gars de notre quartier viennent de découvrir un pays appelé Morocco. Nous ne savons pas où il se trouve exactement, mais je suis sûr qu’il est en Afrique. Lorsque vous avez battu le Canada, nous avons senti que vous êtes une équipe coriace. Les jeunes de notre quartier sont parmi vos supporters. Ils sont contents qu’un petit pays dispose d’un rival autrement plus grand...» 

Moins 7°C 

J’ai payé la course de taxi à 86 dollars (près de 1000 DH). A l’entrée de l’hôtel, le réceptionniste m’a surpris, en exigeant le paiement de taxes supplémentaires dues à la ville de New York (450 USD) et d’une caution de 500 dollars. Nous avions beau lui expliquer avoir tout réglé à l’agence de voyage à Rabat, sa réponse demeurait ferme : «Payez ou quittez les lieux». Nous nous sommes réunis dans hall de l’hôtel pour délibérer et évaluer la situation. Au bout du compte, nous n’avions qu’à obtempérer. Chacun a puisé dans ses réserves selon un quota convenu de commun accord. Lorsque nous lui avons remis la somme exigée, il a refusé de prendre l’argent en espèces. «Nous ne tenons pas de caisse et nous n’acceptons pas de billets de banques. Il faut régler par carte bancaire», nous a-t-il informés. Ne disposant pas du sésame exigé, il nous a conseillé de déguerpir.

Nous étions exténués. Dehors, il faisait un froid de canard avec des températures de 7° au-dessous de zéro. Les petits étaient de plus en plus tendus. Nous avons appelé Rabat pour partager nos tracas. Là-bas, décalage horaire oblige, il était 01h du matin passé. Mais c’est finalement de Washington que le salut nous est parvenu, grâce à un ami qui a réglé le problème avec sa carte bancaire. Aux alentours de 03h00 du matin, nous avons reçu los clés magnétiques de nos chambres.

La geôle

Pour la première fois de ma vie, je devais passer la nuit dans une chambre de 11m2. Le lit escamotable, une fois étalé, réduit drastiquement cet espace et rend pratiquement tout mouvement impossible. Dans cette chambre, tout est miniature. Des toilettes sans porte, la salle de bain pouvait à peine accueillir les petits ou à des mannequins anorexiques. A bout de force, nous nous sommes tout de même vite livrés aux bras de Morphée. Les valises sont restées fermées et on a dû les superposer pour gagner un semblant d’espace. Nous étions convenus d’un protocole de cohabitation dans cette exiguïté. Avec le sentiment d’étouffement qui nous gagnait, on commençait à déprimer.

Bengale

Après une longue attente sous la pluie par un froid glacial, un taxi est enfin arrivé. A l’intérieur, je suivais pensif une musique que j’ai prise pour hindoue. Le chauffeur m’a corrigé sur un ton ferme : «Je suis du Bengladesh». En apprenant que j’étais de «Morocco», l’homme a sursauté : «Vous avez une équipe forte. Ma mère, la seule à disposer d’un téléviseur, le plaçait dans la fenêtre qui donne sur la cour où s’agglutinent les férus de football. Chez nous, les gens aiment votre équipe parce qu’elle joue bien. Mais aussi et surtout parce que vous êtres des musulmans et que vous avez réussi à battre les chrétiens occupants. Lorsque les joueurs se prosternaient, les gens criaient Allah Akbar ! Les oulémas chez nous ont appelé les gens à prier Allah pour accorder victoire au Maroc». 

Le pouvoir du football vu sous cet angle me laissa songeur !

Habous

Omar, un quinquagénaire, travaille trois jours par semaine comme chauffeur, un métier qu’il enchaîne avec un autre job le reste de la semaine. Apprenant que nous sommes marocains, il m’a confié : «Je suis du quartier Habous à Casablanca, c’est là où j’ai grandi au milieu des librairies. Entre une librairie et une librairie, se trouvait une librairie. J’ai fait des études de droit et j’ai décroché une licence. J’ai poursuivi mes études et j’ai eu mon Master. Je rêvais d’être magistrat, officier de police ou inspecteur de la Police judiciaire. Je n’y suis pas parvenu faute de ‘’petit coup de pouce nécessaire’’. On m’avait demandé ce qui représentait pour moi une fortune en échange. Le destin en a donc décidé autrement et je me suis retrouvé aux Etats-Unis. J’ai suivi les matchs du Maroc. Les gars nous ont fait honneur. Dans notre quartier, il y a beaucoup d’équipes. Mon fils, Ali, joue pour l’une d’entre elles. Il est gardien de but et es Américains le surnomment désormais Bounou».

Les Américains, dit-il encore, sont analphabètes en matière d’histoire et de géographie. «Ils sont incapables de situer un pays, comme la Croatie par exemple, sur une mappemonde. Et ne savent pas où se trouve le Maroc. Ce qui n’empêche pas que Morocco est désormais omniprésent et il a des fans». Son «fils est fier d’être from Morocco», ajoute-t-il. 

Hailä Silassé

Sur le chemin vers la bibliothèque publique de New York, le chauffeur m’a raconté comment sa famille a quitté l’Ethiopie après la chute de Hailä Silassé, abandonnant derrière eux maisons et économies. «Nous nous sommes provisoirement établis au Soudan, mais les communistes kidnappaient les gens et les ramenaient en Ethiopie. A notre arrivée aux Etats-Unis, nous avons dû repartir de zéro. J’ai étudié pendant de nombreuses années, mais à la mort de mon père j’ai dû assumer la responsabilité de la famille».

Apprenant que je suis from Morocco, mon interlocuteur s’est écrié : «Pour la première fois, l’Afrique va en demi-finale. Les Ethiopiens soutiennent votre équipe, je suis moi-même un fan d’un joueur appelé Boufal. Il peut évoluer dans une équipe d’Amérique Latine, il a une capacité phénoménale à dribbler. Chez nous, les gens sont à vos côtés et nous devons fournir bien des efforts pour atteindre votre niveau. Vous avez rendu l’Afrique fière. A l’avenir, on peut rêver de célébrer la Coupe du monde dans les rues d’Addis-Abeba. C’est désormais possible ! »

Dima Raja

En quittant la gare ferroviaire, j’étais anxieux. Le trajet de New York à Washington coûte près de 250 dollars par personne. C’est inconcevable. Alors que j’échangeais des propos plutôt tendus avec un membre de ma famille, un homme, qu’on apprendra s’appeler Sidi Mohamed, s’est approché de nous. C’était curieux qu’ont les gens de là-bas de s’annoncer tout de go, mais sympathique, mais probablement aussi l’envie d’exprimer une nostalgie : «Je suis de Casablanca, vous êtes Marocains sans doute ?», a-t-il lancé, avant de poursuivre : «Je suis venu au Etats-Unis il y a un quart de siècle. J’ai alterné les boulots dans plusieurs endroits et je supervise actuellement le nettoyage de ce quartier».

Tout sourire, il a ajouté non sans fierté : «Je suis Rajaoui, Dima Raja. A l’instar des habitants de Hay El Oulfa, le quartier de ma naissance et de ma petite enfance».

«Je suis connu par tous les camionneurs de la place», a-t-il enchaîné. «Ils sont impressionnés par l’équipe nationale. Et ce merveilleux joueur numéro 8 ! Ah, Si Regragui avait aligné les joueurs du Raja, il aurait certainement remporté la Coupe. Passez mes salutations au bled, Hay El Oulfa me manque atrocement. Je ne l’ai pas revu depuis 15 ans. En tout cas, Dima Raja». Puis, un autre grand sourire : «Si j’avais les moyens, j’aurais acheté Ziyech pour le Raja...»

Morocco

Je n’ai jamais imaginé que la fièvre du Mondial pouvait s’emparer autant de l’Amérique dont la découverte de la magie du football est récente. Le Maroc a réalisé des victoires grandioses et profondes auxquelles s’identifient les peuples déshérités. L’équipe nationale a insufflé un esprit de résilience et ouvert grand les portes de l’espoir, permettant ainsi aux démunis de rêver de la Coupe du monde. Le terme impossible semble s’estomper de leur vocabulaire, les Marocains ayant inauguré une nouvelle ère. Mais les Etats Unis d’Amérique, leur presse ?

C’est que la Coupe du monde incarne un cantique qui réverbère aux quatre coins du globe et rend l’écho de voix qui chantent en chœur justice, liberté et dignité. 

Morocco est devenu une marque déposée planétaire, non pas en tant que brand commercial, mais en tant que vecteur de valeurs humaines. Morocco est synonyme d’audace, de défi et de réussite.

 

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