chroniques
In memoriam : Khalil HACHIMI IDRISSI, ADIEU L'AMI... Par Mustapha Sehimi
Khalil Hachimi Idrissiau Siel 2022 signe l'ouvrage "MAP, une certaine histoire du Maroc 1959-2020" à Mustapha Sehimi (centre) et (à gauche) l’éditeur Abdelkader Retanani (La Croisée des Chemin)
De la tristesse, bien sûr. Khalil nous a quittés le samedi 8 avril. Depuis plus de six mois, nous étions inquiets à propos de sa santé. Des hospitalisations successives à Paris puis à Rabat laissaient entrevoir une rémission. L'on y croyait, l'on voulait y croire. Lui-même était sans doute dans cette disposition d’esprit : en tout cas, il faisait face. Nous n'avions de ses nouvelles que de manière ponctuelle, régulière, grâce à son frère Azdine, peintre casablancais, et à l'un de ses très proches, Naïm Kamal. Il savait combien nous étions attentifs au suivi de son traitement. Un décret divin a mis fin à cette longue maladie.
Khalil ? C'est un parcours - une vie ou plutôt des vies. La première a été celle de son long séjour à Paris. Le quartier latin, la Sorbonne - où il a décroché un 3 ème cycle en géographie- et puis tout l'environnement. Il a ainsi évolué au sein de la communauté marocaine, celle des réseaux associatifs, s'activant avec d'autres dans les cercles et réseaux médiatiques et culturels. Il était un aiguillon, un meneur, dans plusieurs radios locales, nourrissant les rencontres et les débats.
De retour au Maroc, il débarque à Maroc Hebdo, sur recommandation de Chakib Laroussi, alors directeur du bureau parisien de la MAP- veste noire en cuir, jean et sac au dos. Il y a trouvé légitimement sa place, Mohamed Selhami, le promouvant rédacteur en chef. Durant une dizaine d'années, il s'y distingue avec sa chronique "Billet bleu" et d'autres contributions. Une nouvelle étape suivra avec la création et la direction du quotidien "Aujourd'hui le Maroc" - un journal ouvert à des profils divers. La conjoncture se prêtait à l'ouverture et au pluralisme avec les premières années du nouveau Règne. Il a veillé à une ligne éditoriale de "première ligne", soutenant le train des réformes, répliquant aux uns, polémiquant avec d'autres- il aimait comme je lui rappelais souvent "sortir en patrouille"... Des procès, des controverses : pas de quoi l’ébranler - il mettait cela sur le compte des frais généraux d'une construction démocratique brouillonne qu'il fallait cependant accompagner consolider. Il ne faisait pas dans la dentelle ni dans la nuance ; il forçait souvent le trait sans doute pour compenser l’état de frilosité d'autres. Il n'a pas manqué de sagacité et de sévérité à l'endroit de la mouvance islamiste qui a fini par accéder à la tête du gouvernement en 2011. A ses yeux, le débat devait porter au-delà des résultats électoraux sur la problématique du référentiel. Des valeurs. Et du projet de société.
Appelé à diriger la MAP en 2011, c'est un vaste chantier qu'il a alors entrepris à marche forcée. La professionnalisation, l'innovation, le multimédia et tant d'autres réformes : la "vieille dame " ronronnante y a gagné une nouvelle jeunesse ; une crédibilité aussi. Une pièce maîtresse dans le dispositif d'un "Made in Morocco" en marche.
Khalil ? C'est aussi un autre versant. Le journalisme, oui, il y avait plongé depuis longtemps. Mais avec son style : du mordant, de l'incisif, de la réplique, du débusquage à l’occasion ; une intuition et une fine intelligence des situations que ce soit celles des spasmes de la politique intérieure, du pays voisin de l'est, ou d'ailleurs. Il était toujours en veille, avec une bonne dose de réactivité, parce qu'il mesurait combien était nécessaire une bonne communication. L'écriture pour appréhender l'écume des jours et l'histoire immédiate, mais aussi au plus profond de sa personnalité autre chose : la culture.
Il m'avait demandé de préfacer son livre "Le Maroc face au printemps arabe: Chronique du mouvement du 20 février" (éd. La Croisée des Chemins, Casablanca, 2018).
Il a publié aussi un recueil poétique et d'autres ouvrages : "Billets bleus, chroniques marocaines 1994-2000", "L'intuition et la Preuve - Subterfuges», «A la conquête de rien", "Une conversation marocaine", "La fin n'est convoquée que les jours de fête",
Au fond, sans pouvoir le prouver, je crois que c'était là, au fil des décennies, son jardin préféré, son Eden de repli et de bonheur.
« Nous sommes à Dieu et à Lui nous retournons ».