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Policy Paper: La stratégie du Maroc face au Covid-19
Onze éminents chercheurs* de Policy center For The New South se sont penchés, dans une réflexion collective, sur La stratégie du Maroc face au Covid-19. Le Quid.ma livre la présentation et le lien de ce document de 37 pages rédigé à onze mains par Abdelaaziz Ait Ali, Abdelhak Bassou, M’hammed Dryef, Karim El Aynaoui, Rachid El Houdaigui, Youssef El Jai, Faiçal Hossaini, Larabi Jaidi, Mohamed Loulichki, El Mostafa Rezrazi et Abdallah Saaf
Face à la pandémie du Covid-19, la stratégie marocaine, qui fait l’objet d’un Policy Paper produit par le Policy Center for the New South, se base sur un plan d’action autour de trois axes : santé, économie et ordre social. Dans chacun de ces champs, le concours des institutions publiques, du secteur privé et de la société civile a permis jusque-là de limiter les conséquences de la crise et d’avoir un certain contrôle sur la pandémie. Devant l’ampleur de l’impact humain et économique de la pandémie chez ses voisins européens, le Maroc a tenu à déployer une riposte rapide et efficace. La réussite des expériences chinoises et sud-coréennes à contenir la progression du virus a incité le Maroc à privilégier la prévention et l’anticipation dans l’action. Au 29 avril 2020, on compte 4321 cas positifs et 28 609 cas négatifs.
Sur le plan sanitaire, l’intervention vise une maîtrise de la progression de la maladie pour une meilleure absorption des flux par le système de santé, dont les moyens sont limités et inégalement répartis sur le territoire national. La priorité est donnée à l’augmentation de l’offre en infrastructure sanitaire. A partir du Fonds spécial de gestion de la pandémie, doté de l’équivalent de 3.2 milliards de dollars soit 3% du PIB.
Des relais sont également apportés par la société civile et le secteur privé, avec des établissements hôteliers qui ont mis plus de 12 000 chambres à la disposition du personnel soignant mobilisé face à la pandémie et des personnes convalescentes.
Ce processus se fonde sur une politique de communication crédible de la part du Ministère de la Santé, qui diffuse sur son compte Twitter et sur un site dédié à la pandémie deux fois par jour le bilan d’évolution de la maladie et des recommandations d’hygiène.
Mutualisation des risques
Face une conjoncture économique nationale et internationale incertaine, un « Fonds spécial pour la gestion de la pandémie du coronavirus » a été créé, auquel ont contribué l’Etat (33%), les entreprises publiques (22%), les banques (10%), le secteur privé (13%) ainsi que des particuliers. Ce fonds est pensé comme un mécanisme de mutualisation des risques. Il témoigne d’une prise de conscience de l’interdépendance des différents secteurs, qui seront tous affectés, directement ou indirectement par la pandémie.
La batterie de mesures adoptées par le conseil de veille économique se conforme à la nature multiforme du choc qui touche à la fois à l’offre et à la demande, sur le marché domestique et sur le marché international. Ainsi, les aides distribuées aux ménages dans une situation précaire et les aides apportées aux entreprises visent un même objectif : aplanir la courbe de la récession. Le recours au financement externe obéit également à cette approche globale qui vise à prémunir l’économie contre le choc externe qui affecte au premier chef les secteurs exposés sur le marché international et le tourisme. Il s'agit aussi de préserver les équilibres externes en compensant une partie du recul des IDE et des transferts courants. Enfin, la politique monétaire (baisse des taux directeurs de 2,25 % à 2 % par la Banque centrale, triplement des capacités de refinancement) vient apporter une réponse transversale en facilitant l’accès au financement pour accompagner les entreprises avec des problèmes de trésorerie et soutenir la demande à travers le report des échéances de crédit.
Les mesures prises visent également la préservation de l’ordre social. Le tableau social du Maroc, caractérisé par un chômage élevé notamment chez les jeunes, indique que la situation des franges sociales précaires et des salariés ayant perdu leur travail risque de se détériorer sous l’effet de la crise. L’intervention vise alors à minimiser cet impact à travers des aides sociales ciblées. Dans cet effort, l’identification des bénéficiaires est un enjeu de taille, compte tenu du manque de données couvrant ces populations. D'ores et déjà, début avril, 810 000 employés du secteur formel, soit le tiers des affiliés à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), ont perçu des indemnités équivalentes à 75 % du Smig pour les 15 derniers jours de mars. Un filet de protection s'est déployé à destination des travailleurs du secteur informel, via le Ramed, et même au-delà, avec un appel aux non-Ramédistes à s'inscrire pour bénéficier des aides aux ménages précaires.
L’autre défi est la continuité de certains services à la communauté, notamment les services publics. L’éducation s’adapte aux évolutions technologiques à l’heure du coronavirus, avec la mise en place du e-learning et de la mobilisation des médias publics pour la diffusion des cours. La situation de confinement a aussi des conséquences psychologiques auxquelles il convient de répondre. Dans ce combat, la société civile est mobilisée pour apporter un soutien moral et psychologique aux plus vulnérables, pour mieux les aider à s’adapter à ce changement abrupt des routines du quotidien. Cela est d’autant plus important que la préservation de l’ordre public en dépend.
L’ensemble des corps de l’Etat ont été mobilisés pour répondre à la crise. Grâce au large maillage administratif couvrant tout le territoire, l’information nécessaire au maintien de l’ordre et aux besoins des citoyens transite de manière fluide. Aux walis et gouverneurs revient la tâche d’application du décret sur l’Etat d’urgence sanitaire et dans cette mission, la bienveillance des citoyens et leur attachement historique à la stabilité sont de mise. Aussi, une répartition claire des tâches est établie pour atteindre trois objectifs : santé, quiétude et sécurité.
Par ailleurs, les forces armées royales (FAR) contribuent également à l’effort de réponse à la pandémie. Sur le volet sanitaire, l’armée met à la disposition du système de santé son infrastructure et son équipement, et apporte son expertise de terrain sur la gestion de catastrophes naturelles. Sur le volet de l’ordre public, elle soutient les autres corps de l’administration dans la mission de maintien d’ordre public et à l’activité de sensibilisation des citoyens à travers le dispositif AllôYakada. Les services chargés de d’ordre public s’acquittent convenablement de leur mission même si leurs interventions, qui se sont soldées par des interpellations de contrevenants, n’ont pas toujours pas été sans défauts. Certains débordements ont été remarqués et appellent à plus de retenue pour assurer la réussite la mission.
En somme, l’action des autorités marocaines est teintée de lucidité et les réponses apportées apparaissent en adéquation avec les enjeux que pose cette crise sanitaire. La capacité à mobiliser des solutions digitales pour répondre à la détresse sociale est porteuse d'espoir, quant à la capacité de transformation de l’administration. Le recours du secteur privé aux nouvelles technologies pour assurer la continuité du service d’éducation révèle l’appropriation croissante des nouvelles technologies numérique par la société marocaine. Cela est de bon augure pour préparer l’avenir, accélérer le train des réformes et relancer la croissance avec une plus grande inclusivité.
Lien vers la publication : La stratégie du Maroc face au Covid-19
*Les auteurs
Lancé en 2014 à Rabat avec plus de 40 chercheurs associés du Sud comme du Nord, le Policy Center for the New South offre une perspective du Sud sur les enjeux des pays en développement. Il vise à faciliter les décisions stratégiques et les politiques publiques relevant de ses quatre principaux programmes : agriculture, environnement et sécurité alimentaire ; économie et développement social ; matières premières et finance ; géopolitique et relations internationales.