LES JUIFS DE CRETEIL CELEBRENT LEUR MAROCANITE - PAR MUSTAPHA SAHA

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Célia et Haïm Zefrani (photo offerte par leur fils Serge)

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Paris. Jeudi, 2 mars 2023. Mon ami Léo Haziza, président de l’Association Culturelle Universitaire et Sociale France – Israël – Maroc m’annonce la tenue de la Semaine judéomarocaine à Créteil. La ville de 92 000 habitants compte la plus importante communauté juive de la région parisienne, 22 000 expatriés du Maghreb. Une oasis marocaine.

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Mustapha Sahara et Serge Haïm fils unique de Célia et Haïm

Des marocains juifs d’indéfectible attachement à la terre ancestrale. La mémoire blessée se délivre des traumatismes de l’arrachement, revivifie ses rhizomes, imprime son devenir dans la continuité des générations. Les sépharades appartiennent à la branche maghrébine, andalouse, méditerranéenne. Ils sont les acteurs inlassables de préservation, de perpétuation, de transmission d’un patrimoine musical, poétique, linguistique, artisanal exceptionnel. Haïm Zafrani (1922 – 2004) me dit un jour : « La mémoire juive est une nappe phréatique, invisible en temps de crise, prodigue de mille sources en temps de paix ». Dans les villages isolés du Rif, du Moyen Atlas, du Haut Atlas, de l’Anti-Atlas, du Sahara, ont vécu des marocains juifs qui pratiquaient leur religion en hébreu et parlaient exclusivement des langues amazighes, des berbères convertis au judaïsme deux mille cinq cents auparavant par des rabbins voyageurs accompagnant les explorateurs phéniciens. La culture judéo-berbéro-arabe s’est constituée par des implications anthropologiques, linguistiques, pratiques réciproques. La juifs exilés après la Seconde guerre mondiale parlent toujours le judéomarocain, mixture savoureuse d’arabe vernaculaire, d’amazigh, d’hébreu, d’espagnol, de français. Une langue pittoresque, avec ses expressions, ses locutions, ses  tournures singulières,  immortalisée par  Jacques Cheret, dans Imma Hbiba, Dictionnaire français-judéomarocain, 2021. Une judaïcité, une anagogique, une allégorique, une cabalistique, une mystique forgées par le terroir marocain.

Jacques Cheret, président de la Fédération Sépharade du Canada, né à Casablanca en 1941, est l’exemple typique des juifs marocains de la diaspora. Il est ingénieur. Il a vécu dans plusieurs pays d’Amérique du Nord et d’Asie, avant de s’établir en Belgique. Il prend le temps de replonger dans sa langue maternelle, le judéomarocain. Il choisit comme titre Imma Hbiba, traduisible par maman chérie, surnom de sa grand-mère. Pendant le protectorat français de quarante-quatre ans, les juifs marocains se tournent vers l’Occident, s’accrochent à la langue française, symbole  idéologique de liberté, d’égalité, de modernité. Jacques Cheret, comme beaucoup de ses condisciples, formés par l’Alliance Israélite Universelle, quitte le Maroc à vingt ans pour poursuivre ses études à Paris. La jeunesse dormante se réveille pendant la retraite. Les souvenirs affluent par vagues entières. Le retour sur la terre des aïeuls se fait remèdes des nostalgies inconsolables. La Maroc, terre des saints. Le Maroc, terre des marabouts communs, vénérés par les juifs et les musulmans. Les pèlerinages deviennent d’année en année des investissements humains, des réinstallations durables.

Le judéomarocain reste essentiellement une langue parlée, transmise oralement, avec des variations importantes de vocabulaire, de prononciation d’une région à l’autre, même si des documents, des contrats commerciaux,  des actes de mariage, kétouboth ou des textes religieux comme la Haggada de Pessah, sont retranscrits en caractères hébreux. L’exagération, l’emphase, l’exorbitance, l’hyperbole, la démesure, le débordement sont parties prenantes du judéomarocain. La mère dit à son fieu : « Je t’aime, mon fils. Je me suis sacrifiée pour toi ». La détestation s’exprime sans management : « Que la terre s’entrouvre et que tu tombes dans son abîme ». Haïm Zafrani note que l’humour juif ravageur n’épargne ni profane ni sacré : « La parodie dans la littérature judéo-arabe imite et travestit les écrits les plus sérieux. Rien n’est épargné, depuis la Bible, le Talmud, le Midräs, le Zöhar, les Responsa, les codes, les contrats de mariage et de divorce, jusqu’aux formules d’anathèmes et aux inscriptions magiques des amulettes et des talismans » (Haïm Zafrani, La parodie dans la littérature judéo-arabe et le folklore du Pourim, revue des études juives, 1969). La fête du Pourim commémore des événements relatés dans Le Livre d’Esther, la délivrance des juifs d’un grand massacre dans l’Empire perse sous le règne de Xerxès 1er. S’y associent des coutumes culinaires et des manifestations carnavalesques avec recours aux crécelles à l’évocation du nom de Haman, l’ordonnateur du complot avorté. La dérision du monde se réconforte d’autodérision.

Les marocains juifs et musulmans partagent leurs fêtes et leurs repas. La Mimouna, célébrée le dernier jour de la Pessah, est une fête juive spécifiquement marocaine. Elle coïncide avec l’anniversaire de la mort de Maïmoun Ben Youssef, père de Moïse ben Maïmoun, Maïmonide, qui vivait à Fès au douzième siècle. Pendant la Mimouna, les juifs ne mangent ni viande ni hametz, pain levé. Ils s’alimentent surtout de produits laitiers et de biscuits. Ils s’échangent des visites avec les amis et les voisins. Le premier pain après la période d’abstinence est offert par des voisins musulmans. L’antique Isrou ‘Hag dont la Mimouna s’inspire prescrit de clore les pèlerinages par un festin. Ils arpentent les champs, les parcs, les plages, les cimetières, loin des tintamarres urbains. Les juifs marocains de Paris ont fêté la Mimouna pour la première fois en 2006.

La culture judéomarocaine, par bonheur, renaît de ses décombres, se revigore, se revitalise. La résonance du passé sur le présent ouvre l’avenir. Les cimetières désertés se restaurent. Les synagogues abandonnées se rénovent. Les lieux de mémoire se réhabilitent. Le mellah de Marrakech retrouve ses couleurs et ses animations. Ses ruelles récupèrent leurs appellations d’origine. Casablanca compte désormais deux musées, le Musée du Judaïsme Marocain fondé par Simon Levy et le Musée El Mellah jouxtant la synagogue Ettedgui restaurée. Le Musée du Judaïsme Marocain dans le quartier oasis se trouve dans l’ancien Home d’enfants Murdock Benjio, un orphelinat juif édifié en 1948 par Madame Célia Benjio à la mémoire de son époux. L’établissement présente des habits, des bijoux, des robes de mariage de différentes régions, des œuvres  artisanales, des enregistrements de chanteurs juifs, des films documentaires, des manuscrits. Les objets ont une âme.

Bayt Dakira, La Maison de la Mémoire, inaugurée en 2020, intégrée à la synagogue Simon Attia, réactive le passé judéo-musulman  d’Essaouira, rappelle les relations fraternelles entre deux communautés solidaires, habitants les mêmes quartiers populaires, parlant la même langue. Le Musée de la culture juive de Fès, financé par des fonds publics, situé au coeur de la capitale spirituelle, non loin du mellah et du cimetière juif, se donne l’ambition de raconter l’histoire des juifs marocains depuis l’époque romaine. Il abritera des pièces archéologiques, ethnographiques, artistiques. Reconstitutions de puzzles culturels dont Haïm Zafrani a légué la méthodologie. 

Le Forum sur les juifs marocains et la mémoire collective, tenu à Tétouan le 11 janvier 2023, organisé par la commune de  Tétouan et l’université Abdelmalek Essaâdi, a lancé le Centre de recherches et d’études sur l’histoire des juifs du Nord du Maroc. Une interactivité s’organise entre le fonds d’archives juives détenues par la ville de Tétouan, la Maison de la mémoire et le Centre international de Haïm et Célia Zafrani sur l’histoire des relations entre le judaïsme et l’islam d’Essaouira, le Centre d’études et de recherches sur le droit hébraïque au Maroc, la Chaire de droit hébraïque de l’Université Mohammed V de Rabat. S’inaugure, à cette occasion, la Galerie de la Mémoire documentaire au siège historique Al Azhar avec des archives rares sur les juifs de Tétouan.En août 2022 s’est ouvert, dans la vieille ville de Tanger,  le Musée de la mémoire juive, Bait Yehuda, après un vaste chantier de restauration de la synagogue Al-Sayagh édifiée au dix-neuvième siècle. La synagogue, abandonnée pendant soixante ans, menaçait de s’effondrer. La rénovation respecte les structures et les composantes du site historique et religieux.

Le projet Roh El Mellah, l’Âme du Mellah, financé par l’Agence américaine pour le développement international, implémenté par la Fédération Sépharade américaine et  l’Association Mimouna, entend promouvoir et transmettre les savoirs-faires ancestraux, dans des designs liés à l’art juif, à travers des cycles de formation d’artisans. Des candidats de Rabat, de Salé, de Fès, de Sefrou, de Meknès, de Safi, d’Essaouira ont déjà bénéficié de ces initiations. Le suivi de l’initiative est assuré par trois femmes,  l’architecte marocaine Meriam Ghandi, la designeure new-yorkaise d’origine mexicaine Devorah Michael, la conservatrice du musée du judaïsme marocain de Casablanca Zhor Rhihel. Une exposition itinérante présente depuis juin 2022 les œuvres réalisées. Mimouna est une association à but non lucratif créée, à Ifrane en 2007, par des étudiants musulmans désireux de perpétuer l’héritage juif.

Les juifs marocains sont définitivement incorporés à la Constitution du 1er juillet 2011, adoptée par référendum. Le Royaume se prévaut de « son unité, forgée par la convergence de ses composantes arabo-islamiques, amazigh, saharo-hassani, africain, andalou, hébraïque, méditerranéen ». Les juifs de la diaspora et leurs descendants sont de plus nombreux à revenir sur leur terre ancestrale. Les sanctuaires délaissés, noyés sous végétation sauvage, ressuscitent aux visites inopinées. Simone Bitton, native de Rabat, a filmé dans un road movie documentaire, intitulé Ziyara, pèlerinage, sorti en décembre 2022 dans les salles françaises, les gardiens musulmans des mausolées, les conservateurs autochtones des traces juives. La réalisatrice retrouve pendant son expédition la pratique de la darija, le dialecte marocain qu’elle pensait avoir complétement oublié. Les tombes sont toujours présentes. Inébranlables. Inamovibles. La Hiloula, visite aux tombeaux des tsaddikim, des justes, le jour anniversaire de leur mort, reprend un nouvel élan. 650 sépulcres de saints juifs au Maroc. 150 pèlerinages communs des juifs et des musulmans. Au cours de la Hiloula, les pérégrins séjournent parfois plusieurs jours auprès de la sépulture, lisent des Psaumes, chantent, dansent, banquètent, festinent. Une fête qui se prolonge ailleurs comme à Créteil.

Evénement :

La Semaine Judéomarocaine se déroule à Créteil du 12 au 19 mars 2023 avec des conférences, des tables rondes, des expositions, des projections de films, des spectacles.

Références :

- Haïm Zafrani, Deux mille ans de vie juive au Maroc, éditions Maisonneuve & Larose, Paris, 1999. 

- Mustapha Saha, Haïm Zafrani, Penseur de la diversité, éditions Hémisphères / éditions Maisonneuve & Larose, Paris, 2020.

- Simon Levy, Essais d’histoire et de civilisation judéo-marocaines, éditions Centre Tarik Ibn Zyad, Rabat, 2001. 

 

C:UserspcPicturesHAÏM ZAFRANI. PENSEUR DE LA DIVERSITE. PAR MUSTAPHA SAHA. EDITIONS HEMISPHERES. EDITIONS MAISONNEUVE & LAROSE. NB 01.jpg

Haïm Zafrani. Penseur de la diversité de Mustapha Saha.

Editions Hémisphères / Editions Maisonneuve & Larose.

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