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Malgré le drame de Meriem, la légalisation de l'IVG reste lointaine
Photo prise le 28 septembre 2022, des militants marocains manifestent dans la capitale Rabat, après le décès de Meriem, 14 ans, à la suite d'un avortement secret non sécurisé. Le débat sur le droit à l'avortement s'est enflammé au Maroc à la suite de ce décès, puis est retombé. (Photo de Fadel SENNA / AFP)
"Si j'ose défendre devant mes frères le droit à l'avortement, je risque ma vie". Issue d'une famille "moderne", Leïla résume abusivement l'état d'esprit de la société marocaine, où la revendication de la dépénalisation de l'IVG, portée par des organisations des droits de l’homme et des associations féministes, se heurte à des tabous et un manque de volonté politique.
Amal, 22 ans, une autre étudiante rencontrée par l'AFP près de l'Université de Rabat, abonde: "Si je prononce le mot ‘’avortement’’ en famille, je serai pointée du doigt et rejetée, même par mes parents".
Le débat a été remis sur la table après le décès, début septembre, de Meriem, une adolescente de 14 ans, après une IVG (interruption volontaire de grossesse) clandestine pratiquée dans une zone rurale du centre du pays, en présence de sa propre mère.
"L'avortement s'est déroulé au domicile d'un jeune homme qui exploitait sexuellement la victime", selon "Printemps de la dignité", une coalition de 25 associations féministes.
Au Maroc, une femme qui avorte est passible de six mois à deux ans de prison, et les personnes qui ont pratiqué l'IVG d'un à cinq ans d'emprisonnement. Seule exception: en cas de danger pour la santé de la mère.
Malgré les lourdes peines encourues, entre 600 et 800 avortements clandestins seraient pratiqués chaque jour dans le pays, dans des conditions sanitaires souvent désastreuses, selon des ONG nationales.
Absence de volonté politique
Une commission, mise en place par le Roi Mohammed VI, avait pourtant recommandé en 2015 que l'avortement soit autorisé dans "certains cas de force majeure" comme le viol, l'inceste, la malformation fœtale et le handicap mental.
Mais "sept ans sont déjà passés et rien n'a été fait! Il n'y a que le silence, ce dossier n'est pas prioritaire", regrette le docteur Chafik Chraïbi, gynécologue engagé pour la légalisation de l'IVG.
Fondateur de l'Association marocaine de lutte contre l'avortement clandestin (AMLAC), il déplore une absence de volonté politique pour modifier une "loi archaïque" remontant à 1963.
Un projet a bien été soumis à deux reprises au Parlement puis retiré sans explication officielle.
En séance plénière à la mi-octobre, la ministre de la Famille, Aawatif Hayar, a assuré que la révision du code pénal faisait l'objet d'un "intérêt sérieux du gouvernement".
Mais, a-t-elle souligné, les propositions des ONG et des partis doivent "respecter la charia et être acceptées dans la société marocaine".
Pour le docteur Chraïbi, ce sont "le pouvoir religieux et le conservatisme des Marocains" qui "bloquent la dépénalisation de l'avortement" alors que "rien ne l'interdit dans la religion".
Dépénalisation
Une journée de deuil en mémoire à Meriem a été observée sur les réseaux sociaux à l'initiative du collectif féministe "Hors la loi" pour sensibiliser la société. Des dizaines de militantes ont aussi manifesté devant le Parlement fin septembre contre "une loi qui tue".
"La pénalisation est une restriction de la liberté de la femme de disposer de son corps et une volonté de l'astreindre à garder un foetus contre son plein gré", fustige Faouzia Yassine, de "Printemps de la dignité", dénonçant "une violence juridique et sociale contre la femme".
L'ONG prône l'inscription d'une IVG médicalisée dans le code de santé publique, encadrée selon les normes de l'OMS.
Pour Mme Yassine, il faut une "réforme radicale du code pénal du point de vue de sa philosophie (...) et de ses dispositions discriminatoires pour l'harmoniser avec la Constitution et les conventions internationales ratifiées par le Maroc".
Dans le Maghreb, l'IVG est légale uniquement en Tunisie, depuis 1973, sous l'impulsion du président Habib Bourguiba, et ne fait pas débat, même si les femmes qui avortent gardent le plus souvent le secret.
En Algérie, l'avortement est puni de 2 ans de prison pour la mère et 5 ans pour les médecins ou personnes le pratiquant. Un débat avait précédé le vote en 2018 d'une loi autorisant "l'interruption thérapeutique de grossesse".
En Libye, l'IVG est strictement interdite, sauf en cas de danger mortel pour la mère. Elle est punie de 6 mois à plusieurs années de prison pour la mère ou toute autre personne. Les peines sont cependant réduites de moitié pour les IVG pratiquées au nom de l'honneur de la famille. (Quid avec AFP)