N’est plus - Par Naïm Kamal

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Hassan II annonçant La Marche Verte, une superproduction que même Hollywood n’a pas imaginée

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Les colleuses - Par Naïm Kamal

On l’avait presque oublié, emporté par le tintamarre de la fast-music, à consommer rapidement ou à emporter dans un emballage.

A l’heure d’un tacos vite fait mal fait, de la fibre optique, et inchallah bientôt au Maroc, de la 5G, à un instant où tout se mesure en giga et maintenant en ter, il faut croire qu’il n’y a plus de temps pour languir au crépuscule avec Rahila de Mohammed El Hyani ou savourer collé à son Jox box pendant une ou deux heures dans un bar malfamé les mélopées d’une Oum Kaltoum intarissable et inusable.

Rarement en mal d’inspiration   

Combien sommes-nous encore à entendre résonner dans nos oreilles les réminiscences des complaintes de Dar lihnak chantée par Abdelouahab Doukkali ou les refrains de Hada hali par Naima Samih qui ont fusionné si intensément avec leurs chansons que l’on n’a plus rien retenu de leur auteur ? On pourra épiloguer longtemps sur ce qui fait le succès d’une chanson, les paroles, la composition ou le chanteur pour conclure que c’est une alchimie des trois, mais je resterai convaincu qu’au début fut le mot, qui construit les paroles, et les circonstances qui le rendent possible, même lorsque l’on croit qu’un air les a précédés.

Rarement en mal d’inspiration, Samira Bensaid lui doit Faitli chaftak, et Latifa Raâfate, dernière des mohicans, sa mise en orbite avec Ana faârk ya imma, Achrat lahbab et Maghyara. Depuis l’aube qu’il est, ce N’est-plus n’a fait qu’écrire. Il a écrit pour Mohamed Mazgaldi, il a écrit pour Abdelhay Skalli, il a écrit pour Ismail Ahmed, il a écrit pour Mahmoud Idrissi et Lahbib homonyme, il a écrit pour… pour qui il n’a pas écrit ?

La chanson du siècle

16 octobre 1975. Sur le Maroc règne l’ambiance de l’attente angoissée dans un temps qui a suspendu son vol, quand l’image du Roi Hassan II, apparait sur les petits écrans et sa voix résonne jusqu’aux dernières chaumières du Royaume. Son air grave laisse comprendre que l’heure l’est tout autant. Après un long préambule sur les péripéties du dossier du Sahara dans les dédales du droit et de la Cour international de justice, le souverain lâche : Il est donc devenu pour nous impératif, inéluctable et même un devoir religieux […] d’honorer nos responsabilités et d’aller rejoindre notre peuple au Sahara [… et] ne nous reste, cher peuple, qu’à entreprendre une marche pacifique […] pour nous rendre au Sahara et renouer avec nos frères. » Ce sera la Marche Verte.

Trente millions de Marocains se lancent comme ‘’un seul homme’’, l’expression est de Hassan II, dans un branle-bas de marches qui frôle l’extase. Toutes les villes marocaines ne sont plus que meetings et manifestations. Des files interminables de volontaires pour la Grande Marche marocaine se forment devant les Arrondissements de quartier. Les Marocains du levée de jour sur l’indépendance n’ont pas vu ça depuis le retour d’exil de Mohammed V. L’effervescence populaire et la création artistique entrent dans une féconde relation de réciprocité rarement égalée.

Devant sa télévision, celui qu’on a presque oublié est tout aussi saisi par la solennité et la gravité de l’histoire en train d’entrer dans les annales. En un quart d’heure, racontera-t-il plus tard, il en a écrit les paroles, en une nuit Abdallah Issami la compose, les répétitions commencèrent le lendemain. Soupçonnaient-ils qu’ils mettaient au monde la Chanson de la Marche Verte ? La chanson du siècle ? Sans doute pas.

Ainsi naissent les chefs-d’œuvre, dans un instant rare et sublime d’inspiration. Nida’e Al Hassan (L’Appel de Hassan II) sera sur toutes les lèvres, chantée partout et à toute occasion, elle seule, avec Laayoune ainya de Jil Jilala, survivra à l’intense production inspirée par cette muse inégalable que peut être une épopée. Certains demanderont même qu’on la substitue à Manbita al-ahrar (Terre des Hommes Libres), l’hymne national. Elle seule, 31 ans après, sera entonnée au défilé militaire du cinquantenaire de l'Indépendance. Mais, fera remarquer un confrère, on avait omis de convier ses auteurs à la tribune des invités.

Samedi 3 septembre 2022, à trois ans près le cinquantenaire de Nida’e Al Hassan. Sous mes yeux une dépêche : Fathallah Lmghari n’est plus Point. Un prénom, un nom et trois mots. Quelques lignes compriment sa vie, compressent jusqu’à l’étouffement sa production en deux ou trois paragraphes. Ce N’est plus est effrayant et effroyable. Pour quelqu’un de convaincu que rien ne se perd, qui croit que s’il n’y a pas le paradis et l’enfer, on reviendra fut- ce sous forme de nutriments pour nourrir le cycle de la vie, ce ‘’N’est plus’’ est anéantissant et attentatoire à la dignité de la nature. Du pouce et de l’index je le surligne et du même index je clique rageusement sur Supprimer. A son tour ce N’est plus rejoint le royaume des disparus. Je le remplace par ‘’ Fathallah Lmaghari nous a quittés’’. Pour où ? Allez savoir.

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