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Une drag queen philippine se bat pour que les LGBT+ puissent exprimer leur foi
Amadeus Fernando Pagente, dont le nom de travesti est Pura Luka Vega, se produisant dans un bar de Taguig, dans l'agglomération de Manille. Lorsque le drag queen philippin Amadeus Fernando Pagente s'est déguisé en Jésus-Christ et a chanté le Notre Père lors d'un spectacle à Manille, il a considéré qu'il s'agissait d'une expression de sa foi catholique. Mais une vidéo de la performance est devenue virale en juillet 2023 et a suscité l'indignation (Photo JAM STA ROSA / AFP)
Lorsqu'Amadeus Fernando Pagente s'est déguisé en Jésus-Christ et a chanté le Notre Père lors d'un spectacle de drag queen à Manille, il ne s'attendait pas à susciter des attaques d'une telle violence ni à être poursuivi en justice.
Une vidéo virale de juillet 2023 a déclenché l'indignation dans les très catholiques Philippines, où beaucoup ont jugé son numéro blasphématoire et méritant la prison ou même la mort.
Le Philippin, dont le nom de scène est Pura Luka Vega (PLV), a été accusé de "doctrines immorales, publication et exhibition obscènes et spectacle indécent", de nature à "offenser toute race ou religion". Il risque jusqu'à 12 ans de prison s'il est reconnu coupable.
Cet homme barbu de 33 ans a également été déclaré persona non grata dans plusieurs villes et a reçu des centaines de messages de haine ou des menaces de mort sur les réseaux sociaux.
Même si les Philippines ont la réputation d'être accueillantes pour la communauté LGBT+, le pays reste profondément conservateur. Près de 80% de la population est catholique.
Le mariage entre personnes de même sexe, l'avortement et le divorce sont interdits et les militants se battent depuis des décennies pour faire adopter une loi qui protègerait les personnes LGBT+ de la discrimination.
Amadeus Fernando Pagente, qui se présente comme pansexuel et fervent catholique, dit que la réaction à son spectacle l'a secoué, mais pas surpris, dans un entretien avec l'AFP.
La haine envers les personnes LGBT+ "a toujours été là", estime-t-il, et son incarnation d'un personnage sacré a donné aux critiques "une excuse pour l'exprimer".
Il explique qu'il voulait, avec le Notre Père, raviver la foi des personnes LGBT+, qui se sentent rejetées par l'Église.
- Sept plaintes -
Pour de nombreux Philippins cependant, voir Jésus-Christ chanter une prière dans un spectacle de drag queens est offensant.
Sept plaintes ont été déposées contre l'artiste, dont deux émanant de groupes chrétiens, débouchant sur une inculpation.
Pour Harry Serrano, de l'alliance LGBT UP Babaylan, le tollé est clairement dû au fait que l'artiste est queer.
"Nous avons vu des cas où des hétérosexuels imitent des personnalités religieuses et ne se font pas critiquer. Mais parce que PLV est queer, il suscite de la haine", dit-il.
Aux Philippines, il faut choisir: "Soit vous êtes queer, soit vous êtes pieux".
Le pape François a déclaré à plusieurs reprises que l’Église devait être ouverte à tous, y compris aux croyants LGBT+. Mais il a clairement indiqué qu'il pensait que l'homosexualité était un péché.
Selon le père Jérôme Secillano, de la Conférence des évêques catholiques des Philippines, l'Église a critiqué le numéro de l'artiste parce qu'il était "irrespectueux" de la foi. "Je n'ai aucun problème avec le fait qu'il soit gay, je n'ai aucun problème avec son homosexualité", affirme-t-il à l'AFP.
Pour Carlos Conde, de Human Rights Watch, l'Église catholique des Philippines est "plutôt libérale" par rapport à d'autres pays.
Mais si les personnes LGBT+ ne peuvent s'exprimer librement sans craindre d'être blessées ou menacées, "alors je pense que nous avons un problème", note-t-il.
Il estime que les lois protégeant les sentiments religieux devraient être révisées pour garantir qu'elles ne "nuisent pas à la liberté d'expression".
Au cours des dernières décennies, la communauté LGBTQ est devenue de plus en plus visible en public et sur les écrans de télévision aux Philippines. Et les marches annuelles de la Gay Pride attirent des milliers de personnes.
Mais la communauté est toujours "confrontée à la discrimination au quotidien", estime Harry Serrano.
Quelque 79% des Philippins estiment que "les gays ou les lesbiennes sont tout aussi dignes de confiance que n'importe quel autre Philippin", selon un sondage de l'institut local Social Weather Stations de 2023.
Mais 40% déclarent qu'ils aimeraient qu'un éventuel membre de leur famille homosexuel redevienne hétérosexuel. Et 26% pensent qu'être gay ou lesbienne est "contagieux", selon cette étude.
Tout en se battant pour éviter la prison, Amadeus Fernando Pagente continue de se produire dans des spectacles de drag queens et persiste à vouloir se déguiser en Jésus-Christ.
"Personne ne peut me dire ce que je peux et ne peux pas faire pour exprimer ma foi ou mon homosexualité", affirme-t-il. "Personne n'est propriétaire exclusif du concept de Jésus."