Au commencement, il y a un bruit. France3, du groupe France t?l?visions, aurait dans ses cartons un documentaire choc sur Mohamed VI, le roi du Maroc. Distill? par des murmures, plus d?un mois ? l?avance, cette m?thode r?pond ? une strat?gie de communication lucif?rienne. On met ? contribution, ? peu de frais, le t?l?phone arabe, seule invention brevet?e des b?douins. La rumeur parle d?une promesse d?un voyage in?dit ?de l?autre c?t? du miroir des beaux clich?s du Royaume. ? Et d?un zoom sur les zones d?ombre de ce roi aux facettes multiples. La rumeur vagabonde. Elle embrase l?attente, cultive l?impatience et la curiosit?, ce satan? vice des voyeurs.

Hier. Jour J. Bien que tr?s tardive pour des Fran?ais qui bossent le lendemain, ou qui ont d?autres chats ? fouetter que de regarder France3, ? 23h30, l?heure est loin d??tre dissuasive pour beaucoup de Marocains de France et immanquablement du Maroc. Le document dure 65 mn. On en sort ?prouv?s. Non pas par le r?quisitoire monomaniaque. Mais par l?arrogance et l?outrage o? l?ind?cence le dispute ? la malhonn?tet?. On reste, cependant sur sa faim. Rien de nouveau sous le soleil. Le document peut tromper un Fran?ais. Pas les Marocains. Et voil? pourquoi.

D?abord, le documentaire est un docu-menteur. Ce n?est pas qu?il ment. C?est qu?on n?y trouve rarement quelqu?un qui d?ment. Il a une th?se. Elle est ? sens unique, t?tue et unidimensionnelle. Elle tient en trois phrases?: les Marocains ne sont pas des citoyens. Ils ne sont m?me pas des sujets. Ils ne sont d?sormais que les clients d?un roi affairiste.

Le documentaire est surtout corporatiste. Il est fait par des journalistes, avec des journalistes pour d?fendre une certaine conception du journalisme. Pas celui de la carte de presse. Plut?t celui qui fait de la pression une carte. Le temps d?une soir?e, France3 devint une pouliche de Troie, enceinte de chevaux de retour. Ils ont tous pris un coup de vieux. Mais la hargne est intacte. Toujours les m?mes. ??Rebellocrates?? depuis 16 ans, ils d?versent le m?me fiel bileux. Ce sont les m?mes qui ont trust? des ann?es durant, au Maroc et non pas dans une ile d?serte, la toge de l?ind?pendance alors qu?ils ?taient ? la t?te d?entreprises priv?es et prosp?res, qu?ils ont vendues, pour certains d?entre eux, pour une fortune. Les m?mes dont certains orbitaient dans le sillage de l?actuel Roi, alors qu?il ?tait prince h?ritier, chagrin?s probablement par les pr?bendes qui ne sont pas venues, avec le changement de r?gne. Les m?mes qui ont pr?f?r? le confort douillet, non pas de l?exil, mais d?une ?migration qui en France, qui ? Barcelone ou ? Stanford. Les m?mes qui gravitent autour du prince rouge qui renifle vainement le grand soir qui tarde ? venir. Que le Maroc ait paisiblement enjamb? ??le printemps arabe?? est pour eux une contrari?t? insoutenable. Un sort ? la libyenne ou ? la syrienne aurait eu leurs faveurs. Haine de soi ! Quand tu nous tiens.

C?est aussi un documentaire de l?entre-soi. La muse et l??g?rie de la production n?est autre que Catherine Graciet. Si ce n?est pas le comble de l'impudence, il est au moins celui du cynisme. L?ancienne collaboratrice salari?e des ??journaux ind?pendants?? et amie de toute la galerie des interview?s, dont elle a certainement dress? la liste, est une d?linquante. Le documentaire est d?ailleurs pour elle l?occasion de faire un mea culpa, ? peu de frais. Elle assume ses vingt minutes d??garement enivr?e par les effluves de l?argent, qui pour l?occasion ? une odeur de stupre. ?Elle est compromise dans un odieux chantage, elle et ?ric Laurent, son co-auteur d?un livre dont le documentaire n?est que la version film?e. Bien entendu qu?Ignace Dalle ne pouvait, pour tout l?or du monde, manquer le festin. Et puis Gilles Perrault. Ah?! Gilles Perrault, l?arbitre des ?l?gances. Il le beau r?le du pionnier qui donne une fess? de d?ontologie ? ceux qui ont vendu leur ?me pour le flouze du makhzen.

C?est enfin un documentaire ? charge. Pas de voix dissonante. Si ce n?est ce pauvre Jacques Lang qui ? beau s??gosiller et Jean Peyrelevade de relativiser. Leurs t?moignages servent ? alterner le chaud et le froid. La promesse tourne toutefois court. Rien de nouveau ? se mettre sous la dent. Du ressass? ? sati?t?. Du faisand? r?chauff?. Le rassis et un go?t de moisi?: Les ex?g?ses ? la Hugo Chavez d?un milliardaire casablancais. L?histoire d?un militaire d?froqu?. La rocambolesque histoire d?un champion d?un sport de combat pour initi?s, dont la parole devient ?gale, si ce n?est plus, ? celle d?un grand commis de l?Etat qui lui m?ne de vrais combats, dont celui contre le terrorisme n?est pas le moindre. Voil? les belles affaires de la d?cennie. Celle de l?apr?s Instance et R?conciliation. C?en est m?me ind?cent. Naus?eux. D?penser autant de moyens pour si peu, il n?y a que l?argent du service public qui peut permettre une telle odyss?e.

Le Roi du Maroc est riche. Immens?ment riche. Et alors?? O? est le crime?? Que l?investisseur marocain se d?fende face ? la puissante et richissime famille Mulliez, patron d?Auchan, o? est l?entorse?? Que la centrale laiti?re discute, pied ? pied, avec Antoine Riboud, patron de Danone, o? est le forfait??

Par petites gouttes, la t?l?vision publique fran?aise verse, ces derniers temps, de la cire chaude sur le Maroc. Passe encore qu?on fasse d?une marocaine, Zineb El Ghazoui, l?h?ro?ne la plus prot?g?e de France. L?ancienne franc-tireuse de Mali est devenue la coqueluche de tous les plateaux de t?l? o? elle s??panche sur sa vision du monde. Passe encore qu?on instrumentalise la pauvre Abidar, exhib?e au C?sar ou ? Cannes comme un ph?nom?ne de foire. Elle est devenue la nouvelle Nabila, en plus m?diocre. Les gens, par charit? chr?tienne, rient d?elle en cachette. Au passage, merci donc monsieur El Khalfi, ministre de la non communication, pour ce cadeau devenu le ventriloque de nos ignorances. Mais le documentaire France3, par son parti-pris v?h?ment et son impartialit? revancharde ne passe pas. Il a de quoi rendre parano?aque. Cherche-t-on ? d?stabiliser le Maroc??