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La cité du détroit met Casablanca en Tanger - Par Seddik MAANINOU
Visiter Tanger c’est se rendre dans sa Kasbah et à Bab Bhar, siroter l’imposant verre de thé à la menthe dans le mythique Café Al Hafa, savourer le bol de bissara assaisonné d’huile d’olive et de piments. Quiconque n’a pas cédé à ce rituel doit refaire son pèlerinage à Tanger
J’ai passé les vacances de Aïd Al Fitr à Tanger. Une avalanche de souvenirs me submerge chaque fois que je m’y rends. Je revois distinctement ses anciens quartiers et ses monuments qui en font une cité racée et plurielle. Mais Tanger est, aujourd’hui, une ville qui construit l’avenir avec détermination et beaucoup d’espoir. Des fenêtres de mon hôtel, on peut voir la corniche et ses vastes espaces. Une corniche plus gracieuse que celles de Rabat ou encore de Casablanca.
L’entrée de la ville est une voie expresse de plusieurs kilomètres bordée d’arbres, de verdure et de lumières. C’est un accès qui ferait pâlir de jalousie des Impériales comme Fès et Meknès, ou encore une ville comme El Jadida. Ici, les immeubles sont imposants, des dizaines et des dizaines ‘édifices de plus d’une vingtaine d’étages. Un privilège interdit à des villes comme Agadir, Marrakech et Oujda.
La zone industrielle, la plus grande et la mieux organisée du pays, fournit plus de 280 mille emplois. A quelques encablures, se dresse majestueusement Tanger-Med, un des plus grands ports de la Méditerranée. Tout autour s’affaire une fourmilière d’industries, la plus célèbre étant la construction automobile. Il s’agit du plus grand parc automobile d’Afrique d’où partent annuellement des centaines de milliers de véhicules tous types confondus.
Tanger veille la nuit et prend le temps de croquer la vie à pleines dents. A ce train, elle finira bien par détrôner la capitale économique. Avec ses défis, sa fougue et son dynamisme, Tanger est assurément l’une des révélations majeures du règne de Mohammed VI.
Jours d’antan
Je revois mon Tanger d’antan quand, tout petit, j’accompagnais mon oncle maternel vers sa boutique, à Oued Ahardane dans la kissariat de l’ancienne médina. Je passais mes journées entre Souk Dakhil et Souk Barra. Le premier renfermait des boutiques, des banques et des cafés de luxe. Le second, extra-muros, proposait des bottes d’oignon et d’ail, du fromage de terroir, et des tonnes de charbon de bois. Deux univers qui se jouxtent, mais séparés par d’immenses locaux commerciaux qui importent et exportent des centaines de tonnes de marchandises en tous genres. Les jours de repos, je prenais plaisir à m’attabler, à côté de mon oncle, au Café Paris, un des meilleurs de la ville où se réunissait l’élite de Tanger, des intellectuels, des bourgeois et des négociants.
Sour Al Maâgazine
Mais Tanger est aussi une vieille ville, si ce n’est la doyenne de toutes les cités du Maroc. Depuis ses remparts élevés, elle se laisse nonchalamment bercer les pieds dans l’écume de la Méditerranée. Visiter Tanger c’est se rendre dans sa casbah et à Bab Bhar (prononcez P’har), siroter l’imposant verre de thé à la menthe dans le mythique Café Al Hafa, savourer le bol de bissara assaisonné d’huile d’olive et de piments. C’est ressentir l’admiration et la peur devant le ressac des vagues lorsqu’elles viennent se briser contre les parois de la Grotte d’Hercule, manger du poisson frais dans le restaurant Soussi, se perdre dans les dédales sinueuses du souk municipal, prendre des photos avec les canons de Sour Al Maâgazine (littéralement, la Terrasse des paresseux). Tanger évoque également le souvenir des nombreux écrivains, oulémas et artistes qui ont succombé à ses charmes, depuis Abdellah Guennoune à Mohamed Choukri, en passant par Paul Bowles, Eugène Delacroix et Henri Matisse, sans oublier Ibn Battouta et Sidi Bouaârraqia.
Quiconque n’a pas cédé à ce rituel doit refaire son pèlerinage à Tanger.
Tanger n’en reste pas moins le gardien loyal et fidèle du détroit de Gibraltar d’où, le soir naissant, on peut voir scintiller de l’autre rive les lumières du littoral espagnol. A ses pieds se confrontent sans se faire de mal dans une confluence mythique les eaux de la Méditerranée et de l’Atlantique sous la vigilance bienveillante de Cap Spartel. Tanger est aussi le siège de la première légation des Etats-Unis hors de leur territoire, un don du sultan marocain Moulay Slimane en 1821.
Journaliste et espion
C’est dans cette ville qu’a vécu, pendant plus de 40 ans, Sir John Hay (1816/1893), le doyen des consuls anglais, qui cherchait désespérément à faire don de l’empire chérifien au trône britannique.
Tanger abrite aujourd’hui un musée à la mémoire du journaliste britannique Walter Harris, qui a accompagné les sultans Moulay Abdelaziz et Moulay Hafid lorsqu’ils furent au pouvoir et lorsqu’ils vécurent exilés à Tanger. Ce journaliste trublion a consigné ses mémoires dans un livre intitulé «Le Maroc au temps des sultans». Correspondant du journal «Times», il a servi d’espion au gouvernement de son pays, mais il était aussi un ami du Maroc. C’est à Tanger qu’il a vécu et où il a été inhumé à sa mort en 1933. Ce n’est pas loin de cette cité qu’il a été fait otage par Abdelkrim Raissouni qui le libérera au terme d’une hospitalité bienveillante de trois semaines. Dans son livre, il revient sur les dernières années de l’indépendance du Maroc, les difficultés de l’empire chérifien et les convoitises des puissances étrangères depuis le règne de Hassan Ier jusqu’à l’occupation. Mais de ce passé, Tanger s’en défait sans égarer en cours de route sa nostalgie. Elle presse le pas ; elle a rendez-vous avec l’avenir !