Lettre à mon ami algérien, il se reconaitra

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Toi à Alger, moi à Rabat, c’est une poigné de minutes qui nous sépare à vol d’oiseau. Alors pourquoi je te sens si loin, si distant tout en feignant la proximité ?

Cher ami, je ne sais si je dois vous tutoyer ou te vouvoyer. Depuis le temps qu’on ne s’est pas vus. En fait, depuis que les frontières de l’Algérie avec le Maroc ont été fermées. Pour l’affection que j’ai encore pour toi, je vais faire comme si ce temps n’est pas passé. Toi à Alger, moi à Rabat, c’est une poigné de minutes qui nous sépare à vol d’oiseau. Alors pourquoi je te sens si loin, si distant tout en feignant la proximité ? Je ne sais pas si tu t’en souviens, on était à la place de la poste, c’est du moins comme ça qu’on la désignait, lorsque je t’avais dit qu’arrivé à Rabat à l’âge de six ans, j’ai eu à découvrir une manifestation, un brouhaha qui m’arrivait de la rue. Surpris et apeuré, je me suis penché de la fenêtre pour voir des centaines (des milliers ?) de gens scander : « Ben Bella ou sahabou, f’janna itsabou » : Ben Bella et ses compagnons, au paradis nous les retrouverons. C’était mon premier contact avec la glorieuse révolution algérienne. Je ne savais pas encore que j’allais en souper jusqu’à la lie. Cet osmose précoce avec ce qui allait devenir le million, le million et demi, les deux millions, peu importe, de martyres t’avais empli d’orgueil, je l’ai vu dans tes yeux. Du non tac au tac, tu m’avais répliqué que les Marocains sentaient de la fierté à épouser une algérienne. Ce saut du coq à l’âne avait une logique et je t’avais répondu, oui, c’était pour nous à l’époque une façon d’avoir le sentiment de monter dans l’échelle sociale en devenant deuxième francisse par alliance. Ça, par contre, tu avais moins apprécié, je comprends.

Juste après le coup d’Etat des « janvièristes » contre les urnes qui ont failli porter les islamistes au pouvoir, c’était en 1992, et la déposition de Chadli Benjedid par le général Nezzar, celui qui n’était encore que colonel, Médiene alias Toufiq et les autres galonnés, tu avais dit comme si tu parlais à toi-même, « il est temps pour nous de devenir un peuple comme les autres ». Une réflexion qui m’a frappé et que j’ai soumise à la sémiologie de Barthes, à la psychanalyse de Lacan et la psychiatrie de Freud pour en comprendre toutes les implications. Je savais mon ami que la propagande des généraux et du parti unique vous a inculqué l’idée d’être sortis non pas de la cuisse de la France ou de Jupiter, mais que vous êtiez Jupiter et Zeus en personne et à la fois. Là je découvris que j’étais loin de la vérité. Vous êtes des gens uniques et vous le resterez pour toujours. Semblables à vous, nulle part vous ne les rencontrerez. J’admirais la haute idée que vous avez de vous-mêmes, votre sens de la fierté et de l’orgueil. Nif comme vous dites. Jusqu’au jour où j’ai lu que le secrétaire général du FLN Djamel Ould Abbes proposait Abdelaziz Bouteflika pour un cinquième mandat en même temps que celui-ci effectuait une sortie dans les conditions habituelles pour inaugurer une station de métro. Aux yeux du président de votre Assemblée populaire nationale, Saïd Bouhadja, cette sortie traduisait le « grand attachement » du président à suivre sur le terrain la réalisation des projets devant « concrétiser l'essor de développement escompté ». Eberlué par cette déclaration, je me suis dit qu’irrémédiablement vos dirigeants n’ont pas la même idée de vous que celle que vous avez de vous-mêmes.