Madrid, Paris, pays du Sahel, la diplomatie algérienne dans le désordre - Par Bilal TALIDI

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Le président Abdelmadjid Tebboune a-t-il fini par désespérer Emmanuel Macron qui a pourtant beaucoup misé sur lui

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La semaine dernière a été porteuse dans la région maghrébo-sahélienne d’une actualité d’une densité particulière dans la compétition entre Rabat et Alger, la gestion du conflit entre les deux parties étant visiblement sortie du jeu traditionnel pour passer à une vitesse supérieure.

La première de cette actualité s’est manifestée dans le report de la visite à Alger du ministre espagnol des Affaires étrangères José Manuel Albares, sur une décision des autorités algériennes qui n’en ont pas précisé les raisons. Citant des responsables algériens, des sources médiatiques locales ont toutefois attribué ce report à des divergences sur des questions qui devaient figurer à l’ordre du jour de ce déplacement.

La deuxième se rapporte au dénouement imminent des différends entre Rabat et Paris, sur fond d’une déclaration du ministre français des Affaires étrangères Stéphane Séjourné dans laquelle il s’est engagé à œuvrer, sur instruction du président Emmanuel Macron, au « rapprochement entre les deux pays ». Le chef de la diplomatie française avait antérieurement déclaré qu’« il était temps pour les deux pays d’avancer », en allusion à un changement de position que la France s’apprêterait à opérer au sujet du Sahara marocain, à l’instar de l’Espagne. Une orientation de l’ambassadeur de Paris à Rabat, Christophe Lecourtier a soutenue en déclarant qu’il faut "prendre en compte les préoccupations majeures" du Royaume sur la reconnaissance de la marocanité du Sahara et qu'il serait "illusoire, irrespectueux et stupide" d'espérer construire de nouvelles relations, avec une ambition affirmée, sans "clarifier ce sujet". Quoi qu’il en soit, la présence sur instruction royale, des Princesses Lalla Meryem, Lalla Asmae Lalla Hasnaa à déjeuner, ce lundi, à l’Elysée, à l’invitation de Madame Brigitte Macron, confirme que de ce coté aussi on assiste à des développements sérieux.

La troisième actualité de la semaine porte sur la visite à Rabat du Premier ministre nigérien Ali Mahamane Lamine Zeine, porteur d’un message du général Abdourrahman Tiani, Président du Conseil national pour la sauvegarde de la Patrie. Lors de cette visite, le responsable nigérien était accompagné d’une délégation de haut niveau, venue examiner l’approfondissement de la coopération sécuritaire et militaire entre les deux pays et la mise en œuvre de l’initiative atlantique proposée par le Maroc.

Le quatrième enfin concerne l’annonce faite par le président algérien Abdelmajid Tebboune portant sur la création de zones franches avec cinq pays africains (Mauritanie, Mali, Niger, Tunisie et Libye) en vue de renforcer les échanges commerciaux entre les pays du voisinage, … à l’exception du Maroc.

Ces indicateurs peuvent paraître disparates, mais ils sont tissés ensemble par un seul fil d’ariane : le conflit régional entre Rabat et Alger et les cartes que chaque partie déploie au mieux pour clore à son avantage le différend autour de la question du Sahara marocain. 

Le ministère algérien des AE doit avoir réalisé la nécessité de normaliser immédiatement ses relations avec l’Espagne, suite aux tensions ayant suivi le soutien de Madrid au plan marocain d’autonomie, en mars 2022. Les vociférations de l’Algérie et sa décision de convoquer son ambassadeur à Madrid n’ont nullement dissuadé le Royaume ibérique, qui s’est plutôt investi avec force dans l’élargissement de ses relations stratégiques avec le Maroc. 

Pris au piège de sa propre intempestivité, l’Algérie était obligée de jouer l’apaisement, avant de se résoudre à la normalisation avec Madrid. On retiendra qu’un délégation gouvernementale espagnole s’était rendue à Alger, à la veille de la visite de M. Albares, laquelle a été brusquement reportée sans que la partie espagnole ne soit préalablement avisée de ce report intervenu alors que les préparatifs de la visite allaient bon train.

Le comportement algérien peut s’expliquer par les désaccords entre les factions au pouvoir, particulièrement son aile la plus importante. Selon des médias locaux, les raisons du report seraient en relation avec la question du Sahara marocain, la partie espagnole ayant refusé de faire une quelconque déclaration abrogeant ou révisant la décision stratégique que Madrid a prise en mars 2022.

Rabat ne s’est pas contenté de capitaliser sur ses relations avec son voisin du nord, mais il a réagi positivement aux déclarations du ministre français des AE, scrutant de près l’évolution de la position française, attendant de Paris une proclamation similaire à la position espagnole au sujet du Sahara marocain. Et vraisemblablement, la présidence française a réalisé qu’elle a beaucoup perdu en s’aliénant un allié stratégique historique comme le Maroc et qu’elle n’a, en contrepartie, pas gagné grand-chose à tout miser sur l’Algérie. D’où l’orientation donnée au Quai d’Orsay de bouger en direction du Maroc. 

Sur ce terrain, le conflit entre Rabat et Alger au sujet de la question du Sahara marocain ne se limite pas ou aux deux acteurs influents de l’UE, l’Espagne et la France, mais le sujet s’est vite invitée et avec force dans la zone sahélo-saharienne. Le Maroc, qui entretient  une bonne présence en Afrique de l’ouest et de bonnes relations avec le Mali, a proposé son projet de façade atlantique pour attirer les pays du Sahel à son initiative qui aurait pu intéresser l’Algérie. Mais comme à son habitude, sa réaction a été  d’essayer de contrecarrer l’ouverture marocaine sur les pays enclavés, en jouant tantôt sur l’apaisement avec le Niger, tantôt sur les zones franches avec les pays du voisinage pour les éloigner de l’initiative atlantique du Royaume.

Ce n’est toutefois pas de la première fois que le président Tebboune a appelé de ses vœux à la création d’une zone de libre-échange avec les pays du Sahel, l’Algérie ayant déjà promulgué, en décembre 2020, son adhésion à la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF), qui devait entrer en exercice en janvier 2021. L’Algérie avait également décidé, en juillet 2023, la création de zones de libre-échange avec les pays du voisinage, dont les pays de la zone sahélo-saharienne. Mais pour de multiples raisons, rien de précis et de concret ne s’est fait à ce jour. D’abord, la situation sécuritaire dans cet espace à laquelle Alger n’est pas étrangère, puis la tension de plus en plus forte avec le Mali, et sourde avec le Niger, sans parler de l’absence d’un réseau bancaire algérien dans ces pays, réduisaient les ambitions algériennes à des vœux pieux. Sans parler du système bancaire et monétaire algérien qui souffre d’une palette de handicaps bureaucratiques qui l’empêchent d’étendre un maillage conséquent dans son prolongement africain. La croissance du commerce de troc entre l’Algérie et ces pays révèle au grand jour cette crise et n’augure pas de perspectives prometteuses pour ces zones franches.

Concrètement, il serait difficile d’évaluer la force des cartes dont dispose l’une ou l’autre partie dans ce duel, quoique la nature des rapports des uns et des autres avec les crises de la région se révèle un élément déterminant. L’Algérie, qui couve une tension sérieuse avec le Niger et entretien des rapport publiquement exécrables avec le Mali, sans parler des autres pays avec lesquels elle a de frontières communes, est plus dans la réaction,  souvent intempestive, que dans l’initiative, prisonnière qu’elle d’une logique diplomatique périmée. Quatre ans sont passés sans qu’elle réussisse à donner un début de corps à la zone de libre-échange avec les pays de la région. 

Pendant ce temps, le Maroc construit avec le Mali et le Niger des relations sérieuses et croissantes, claires et mutuellement bénéfiques, qui ont été couronnées par leur adhésion à l’initiative atlantique du Royaume. Constant dans son approche et sûr de sa démarche, le Maroc a amené l’Espagne à annoncer publiquement son soutien au plan d’autonomie en mars 2022 et continue, sur la même lancée, à gagner l’adhésion de la France à son initiative, comme le laissent présager, on l’a vu, les déclarations de son nouveau ministre des AE. 

En définitive, il ne reste dans ce duel que le chaînon de la Mauritanie, pays avec lequel le Maroc s’efforce d’approfondir les relations et de l’arrimer au carré de l’intégration économique, via l’implication du partenaire espagnol, au moment où l’Algérie s’emploie par tous les moyens de l’associer à son agenda où, du moins, l’empêcher de consolider plus ses relations avec Rabat.