SPOLIATION FONCIERE : RIEN N'EST ENCORE RÉGLÉ ! Par Mustapha Sehimi

5437685854_d630fceaff_b-

Siège de la Conservation Foncière çà Rabat - Le Souverain, qui reste l'unique espoir pour les victimes de spoliation, avait donné, voici plus de cinq ans, une ferme orientation au ministre de la Justice et au gouvernement. A la fin 2021, la commission ad hoc a dressé un bilan provisoire. La législation actuelle présente bien des carences et des lacunes. Des amendements doivent être apportés en même temps au Code des droits réels, au Code pénal, au Code de procédure pénale et au Droit des obligat

1
Partager :

Voici cinq ans et demi, SM le Roi avait adressé une lettre, le 30 décembre 2016, au ministre PJD de la Justice, El Mostafa Ramid. Elle appelait instamment les autorités à prendre des mesures conséquentes et opératoires pour faire face et mettre fin à la spoliation immobilière.

Il y a des victimes qui sont des propriétaires ou des ayants droit qui n'arrivent pas en effet à obtenir des décisions de justice frappant des réseaux - pratiquement une "mafia" - prospérant depuis des lustres dans ce marché de la spoliation.

Dysfonctionnements

Pourquoi un tel phénomène s'est-il donc développé ? Et comment ? L'actualité judiciaire s'est souvent polarisée, en différentes circonstances, sur des "affaires" devant relever des annales. L'on y retrouve généralement une association de fait d'escrocs avec l'implication de notaires, d’avocats et /ou des fonctionnaires du cadastre. La spoliation vise un marché spécifique : celui des biens en déshérence appartenant à des étrangers anciens résidents au Maroc. 

Les uns sont décédés ; d'autres sont à l'étranger. L'Association Droit et Justice au Maroc regroupe quelque 400 plaignants. A ce jour, une seule victime a pu récupérer son titre foncier et son bien. Le modus operandi est le suivant :

Les personnes spoliées sont de toutes origines : des Marocains du Maroc, des Marocains du monde, des Français, des Espagnols, des Italiens,… De toutes confessions aussi : musulmanes, chrétiennes, juives. Le conseiller juridique de cette association (ADJM), Moussa El Khal, s'est dernièrement expliqué sur la "panne " de la justice. Il a ainsi précisé que malgré des jugements faisant droit à leur requête, les plaignants n'ont pas encore pu récupérer leur bien, à l'exception de l'une d'entre elles. Il compte d'ailleurs s'adresser au Roi, "protecteur de tous les Marocains" et qui reste "l'unique espoir pour ces victimes".

Des dysfonctionnements majeurs entravent une bonne administration de la justice. Tel plaignant qui a engagé une procédure depuis… 2009 s'insurge qu'après une bonne dizaine d'années d'instruction désormais achevée, aucune audience n'ait été fixée. Tel autre qui a eu gain de cause est dans une situation kafkaïenne: le titre est hypothéqué par une banque et au surplus saisi par les impôts - des créances dues par l'ancien "propriétaire" spoliateur... Autres situations tout aussi cauchemardesques : celle de ce Casablancais qui a découvert que le bien hérité de son père avait été enregistré sous le nom d'un nouveau "propriétaire" assurant l'avoir acquis de l’"héritier" avec une décote de la moitié du prix réel - un procès interminable finalement sanctionné par la condamnation du trio ( "héritier", notaire et un cadre de l'Agence nationale de la conservation foncière) à des peines de prison de sept à dix ans; ou encore celui de la villa "Rêve de crabe" à Ain-Diab qui a conduit à la condamnation d'un notaire et d'un avocat à des peines jusqu'à 12 ans de prison pour "escroquerie" et "constitution de bande mafieuse". Ce jugement en 2017 a fait l'objet d'un pourvoi en cassation pour "vice de forme" : une faute d'orthographe dans un procès- verbal. Celui aussi de ce pharmacien de Casablanca qui a engagé une procédure en 2009 contre un escroc qui avait falsifié sa carte nationale d'identité pour s'approprier son terrain et le revendre. Une bonne dizaine d'années après, le dossier est toujours "en cours d'instruction". Spécialisé dans ces dossiers de spoliation immobilière, Me. Messaoud Leghlimi, regrette que ces affaires "aboutissent rarement à cause du pouvoir d'influence des mafias de la spoliation et de leurs complices, notamment les notaires". Ce qui a conduit l'ordre national des notaires, par la voix de son président Abdellatif Yagou, à cette réplique : " Les notaires eux-mêmes sont victimes de falsification, nous sommes confrontés à des bandes expérimentées...". La justice prend son temps mettant en cause surtout ce qui se passe à la cour d'appel de Casablanca et qui nourrit bien des interrogations...

Spoliation : modes d'emploi...

Les méthodes de spoliation présentent différentes formes: faux testaments, fausses procurations et usurpation d'identité. Les victimes sont souvent les personnes étrangères, propriétaires de biens au Maroc et les MRE. Pour cette dernière communauté, quand la propriété n'est pas titrée. Avec le régime foncier traditionnel, bien des "opportunités " sont saisies et exploitées par les spoliateurs en veille : absence de publicité des droits prétendus, méconnaissance des ayants droit de la propriété, imprécision de sa localisation exacte ainsi que de son bornage et du périmètre des droits". Autant de facteurs ne pouvant que faciliter la tâche aux spoliateurs. Par ailleurs, selon un recensement fait par l'administration, pas moins de 8.000 biens appartenant en majorité à des MRE et à des juifs marocains sont pratiquement en déshérence : un marché prioritaire pour les spoliateurs. Une situation qui a conduit les spoliateurs à user et à abuser des dispositions de l'article 2 de la loi 39-08 qui limite à quatre ans la recevabilité d'une plainte contre un nouveau prétendu propriétaire incriminé pour falsification ou faux et usage de faux.

Sécuriser la propriété foncière : voilà la priorité. En septembre 2017, la loi 69-19 est venue compléter les dispositions de l'article 4 de la loi 39-08 sur la règlementation des procurations qui sont désormais soumises à la même procédure que les actes de transfert de propriété. Acte authentique par notaire ou adoul, ou acte à date certaine par avocat agréé près La Cour de cassation. 

Le nouveau gouvernement paraît se préoccuper de la lutte contre la spéculation foncière. La commission de suivi mise sur pied après la Lettre Royale du 30 décembre 2016 avait ainsi tenu plusieurs réunions : sans grande portée d'ailleurs. A ce jour, seules 22 affaires de spoliation immobilière sont actuellement devant la justice, sur la base des chiffres disponibles d'avril 2021. Pourtant, le Souverain, voici plus de cinq ans, avait donné une ferme orientation au ministre de la Justice et au gouvernement : "La spoliation immobilière, phénomène dangereux, sévit de façon spectaculaire et nécessite une réponse ferme rapide et ferme afin d'éviter ses répercussions négatives sur l'état et l'efficacité de la loi dans le maintien des droits".

Une commission, et après ?

La commission ad hoc précitée s'est réunie à la fin décembre 2021. Le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, a annoncé qu'un rapport global sera soumis au Souverain. Il proposera de "délimiter les dysfonctionnements et les solutions pour les dépasser". Des amendements législatifs sont également proposés pour accorder des garanties supplémentaires à la propriété immobilière. D'autres, de nature réglementaire, y seront liés, tels de nouveaux décrets (mise en place d'un registre national des droits réels, fixation des modalités du dépôt électronique, archivage des contrats).

 A la fin 2021, la commission a dressé un bilan provisoire de 42 affaires en instance de jugement, 14 en appel et 8 devant la Cour de cassation. Quant à l'inventaire des biens immobiliers sous la menace de spoliation, il donne plus de 4.000 biens titrés sur les 8.000 identifiés. La législation actuelle présente bien des carences et des lacunes. Des amendements doivent être apportés en même temps au Code des droits réels, au Code pénal, au Code de procédure pénale et au Droit des obligations et contrats (DOC). Un signe fort d'une réelle volonté d'assurer la sécurisation de la propriété immobilière et plus globalement la consolidation de l'Etat de droit. En attendant, les victimes vivent encore un cauchemar qui n'a que trop duré...