A Samarcande, aux pieds du professeur… Par Samir Belahsen

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Timour, dit Tamerlan (1336-1405), était un conquérant turco-mongol et le fondateur de l'Empire timuride en Asie centrale. Né dans la région de Kesh (aujourd'hui Shahrisabz en Ouzbékistan), il se considérait comme l'héritier de Gengis Khan et chercha à restaurer l'empire mongol.

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« Histoire : mot français désignant dans tous les pays du monde une justification d’apparence scientifique des intérêts d’un groupe humain donné par le récit ordonné et interprété de faits antérieurs »

Louis Aragon (1963).

« L’histoire est le produit le plus dangereux que la chimie de l’intellect ait élaboré... Il fait rêver, il enivre les peuples, leur engendre de faux souvenirs, exagère leurs réflexes, entretient leurs vieilles plaies, les tourmente dans leur repos, les conduit au délire des grandeurs ou à celui de la persécution, et rend les nations amères, superbes, insupportables et vaines…»

Paul Valéry1933.

Timour, connu sous le nom de Tamerlan, est né vers 1320 en Ouzbékistan. Il a fondé l'Empire timouride et a mené des campagnes militaires à travers l'Asie, atteignant un territoire immense. Tamerlan est célèbre pour sa brutalité et son ambition, mais aussi, je viens de le voir, pour son respect envers son professeur.

Il a demandé à être enterré à ses pieds après sa mort en 1405. Son empire avait bien prospéré culturellement, notamment à Samarcande, mais a rapidement décliné après sa mort à cause de luttes internes et de pressions extérieures.

Tamerlan, que les Ouzbeks d’aujourd’hui préfèrent appeler Emir Timour, a fondé l'Empire timouride en consolidant son pouvoir à travers une série de conquêtes militaires et de stratégies politiques. Après avoir vaincu les descendants de Gengis Khan en Transoxiane, il a élargi son empire en s'attaquant à des puissances régionales bien installées à l’époque comme le sultanat de Delhi et l'Empire ottoman. Sa légitimité était renforcée par des alliances matrimoniales et des références à la lignée mongole. Tamerlan a également encouragé les arts, faisant de Samarcande un centre culturel majeur.

Pourquoi en réécrivant après l'indépendance en 1991 son récit national, l'Ouzbékistan a choisi Timour  comme mythe fondateur ?

Après l'indépendance de l'Ouzbékistan en 1991, le récit national a été réécrit pour renforcer l'identité nationale et la cohésion. L’Emir Timour, figure emblématique et conquérant, a été choisi comme référence pour symboliser la grandeur historique et culturelle du pays. Son héritage, notamment à Samarcande, est mis en avant pour promouvoir un sentiment de fierté nationale et d'unité face à un passé colonial et soviétique largement perçu ici comme oppressif. 

Encourageant les arts et la culture, il a transformé Samarcande, qui avait déjà une certaine importance en tant que carrefour commercial sur la route de la soie et en tant que centre culturel islamique dans la région de Transoxian, en un centre de la civilisation islamique. Son héritage est complexe, mêlant destruction massive, cruauté et épanouissement culturel. Elle inspirera le titre et le roman historique de l'écrivain franco-libanais Amine Maalouf, publié en 1988. Le livre raconte l'histoire du célèbre poète persan Omar Khayyam et de son manuscrit des Rubaiyat (quatrains) en une parallèle curieusement croisée avec le destin de Hassan Sabbah, une figure historique et mystique du XIe siècle, célèbre pour avoir fondé la secte des dite des « Assassins », une branche extrémiste des Ismaéliens chiites. 

Né en Perse, Sabbah est devenu un maître de la stratégie et du mysticisme, utilisant la forteresse d'Alamut comme base pour diriger ses opérations. Lui et ses adeptes étaient connus pour leurs tactiques d'assassinat ciblé contre les ennemis politiques, utilisant la terreur comme moyen de contrôle. Son héritage est entouré de mystère, mêlant réalité historique et légendes. Pour les besoins du roman, c’est à lui que l’actuel secrétaire perpétuel de l’Académie française attribue l’apparition du « premier homme-suicide ».

Une figure emblématique

La réappropriation de l’Emir par l’Ouzbékistan, six siècles après vise à inspirer un renouveau culturel et national. Timour est utilisé pour promouvoir la fierté nationale et l'unité, en tant que figure emblématique qui transcende les divisions ethniques et historique.

Alors une fois qu’on a déboulonné les statues de Marx et de Lénine, trois statues à son effigie ont vu le jour. Une équestre à Tachkent, la deuxième à Samarcande (sa ville de cœur selon mon guide) où il est assis royalement et une troisième dans sa ville natale Chakhrisabz où il est représenté debout.

Comment expliquer le profond respect de Timour, connu et reconnu pour sa brutalité et son ambition démesurée, envers son professeur ?

Malgré son côté conquérant, Tamerlan semble avoir accordé une grande valeur à l'éducation et au savoir. Son professeur a du jouer un rôle clé dans sa formation intellectuelle et sa vision du monde, ce qui peut expliquer son estime. 

Les dirigeants ont toujours eu besoin de conseillers éclairés pour guider leurs décisions.

Les mentors, comme les professeurs, peuvent avoir une influence durable sur leurs élèves, même quand il. s’agit des figures aussi puissantes que Timour. 

Un bon professeur sait inspirer le respect et la loyauté de ses étudiants les plus brillants. Cette relation maître-élève transcende le simple cadre scolaire.

Le professeur d'Émir Timour, était Sayyid Baraka. Il était un éminent érudit soufi et un mystique qui a grandement influencé Timour. Il lui a transmis à ses connaissances spirituelles et religieuses, tout en jouant un rôle important en tant que conseiller spirituel si ce n’est de demiurge. La relation entre Timour et son professeur, selon les récits, était marquée par un profond respect, et Sayyid Baraka a contribué à façonner la vision religieuse et la stratégie politique de Timour au cours de sa carrière militaire et impériale. Il était en. 

Enfin dans la culture mongole, il était courant d'honorer les maîtres et les ancêtres. 

Tamerlan, le turc, était bien imprégné de cette tradition. Demander à être enterré aux pieds de son professeur était donc un geste symbolique fort dans ce contexte culturel.

Ainsi, même un conquérant qui a fait couler des flots de sang, pouvait avoir une profonde estime pour son professeur, l'éducation et le savoir.

Cela montre, si besoin est, que les êtres humains sont rarement unidimensionnels, même les plus grands guerriers...

                                                      ( Samarcande, le 11 Aout 2024)