Culture
Cinéma, mon amour de Driss Chouika : SOULEYMANE CISSÉ LE PIONNIER LE PLUS VISIONNAIRE DU CINÉMA AFRICAIN
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…Puis, toujours en soif, je me suis arrangé avec le projectionniste de l’une des salles pour voir YEELEN une 3ème fois, tout seul, tôt le matin ! Là, une lumière jaillit, éclaira mon champ de vision et me révéla l’immensité et la profondeur de ce vrai moment de cinéma créé par Cissé. (Driss Chouika)
« Ma façon de vivre, c'est de croire en l'avenir ; si j'étais fataliste, je ne serais pas cinéaste. Rien ne me poussait à faire du cinéma. C'est moi qui l'ai choisi. Je voulais voir les choses et les faire voir ».
Souleymane Cissé.
A la fois réalisateur, scénariste et producteur, Souleymane Cissé a consacré sa vie à raconter des histoires qui reflètent les réalités sociales, culturelles et politiques de l’Afrique.
J’ai connu Souleymane Cissé, décédé le 19 février 2025, grâce à la Fédération Nationale des Ciné-Clubs au Maroc (FNCCM), à l’occasion de la 2ème édition des Rencontres du Cinéma Africain de Khouribga de 1983 (Festival du Cinéma Africain de Khouribga depuis la 5ème édition de 1994) au cours de laquelle les cinéphiles marocains avaient découvert son film “Baara (le travail)“, après que certains d’entre eux avaient découvert son premier film “Den Muso (La jeune fille)“ lors de la 1ère édition de 1977. Ses rapports avec les cinéphiles marocains s’étaient consolidés depuis, surtout après avoir rejoint, sur proposition de feu Noureddine Sail, le Comité de Soutien des Rencontres du Cinéma Africain de Khouribga, transformé lors de l’édition de 1983 en Comité d’Administration, suite à un accord entre la FNCCM, l’organisatrice, et le Conseil Municipal de la ville, soutien principal des rencontres, et qui comprenait, entre autres, Paulin Soumanou Vieyra, Gaston Kabore, Tahar Cheriaa, Farid Boughedir... Ainsi, mon devoir de mémoire envers un ami, un maître et un soutien toujours généreusement disponible -il le fut d’ailleurs pour tous les cinéphiles marocains et pour le Maroc en général qu’il adorait- j’ai décidé de lui consacrer cette chronique. J'aimerais aussi rappeler que j’avais déjà consacré le 3ème numéro de cette chronique, du 06/05/2022, à son film “Yeelen (La lumière)“, sous le titre : « YEELEN » OU LA LUMIÈRE DE LA RENAISSANCE DU MONDE.
Lire aussi : Cinéma, mon amour ! de Driss Chouika: ''YEELEN'' OU LA LUMIERE DE LA RENAISSANCE DU MONDE
Souleymane Cissé a grandi dans un Mali en pleine mutation, marqué par la fin de la colonisation française et les espoirs de l’indépendance. Après ses études au VGIK, il retourne au pays avec une vision claire : utiliser le cinéma comme un outil d’éducation et de transformation sociale.
LE PLUS VISIONNAIRE DES CINÉASTES AFRICAINS
Khouribga 1990 : de G à D : Souleymane Cissé, Gaston Kabore, réalisateur burkinabé, Mohamed Barakate ex-président du conseil minicipal de la ville et Nour Eddine Sail
Né le 21 avril 1940 à Bamako et mort le 19 avril dans la même ville, Souleymane Cissé a été très jeune attiré par le monde du cinéma. Dès 1960 il avait commencé à organiser des séances de ciné-club dans des maisons de jeunes à Bamako, avant de suivre une formation de projectionniste puis une bourse pour rejoindre en 1963 le fameux Institut des Hautes Etudes Etudes Cinématographiques de Moscou : VGIK.
A la fois réalisateur, scénariste et producteur, Souleymane Cissé a consacré sa vie à raconter des histoires qui reflètent les réalités sociales, culturelles et politiques de l’Afrique. Son œuvre, marquée par un profond humanisme et une esthétique visuelle alerte, a ouvert de nouvelles voies pour le cinéma du continent africain, contribuant efficacement à la représentation de l’Afrique sur les écrans du monde à travers les plus prestigieux festivals.
Son premier court métrage, « Cinq jours d’une vie » et son premier long métrage « Den Muso » reflètent déjà son engagement envers les questions sociales. « Den Muso », qui raconte l’histoire d’une jeune femme muette violée et rejetée par sa famille, a été interdit au Mali pour son traitement audacieux de sujets alors tabous. Cissé avait dit à ce propos : "Je voulais montrer les injustices que subissent les femmes dans notre société. Le cinéma doit être un miroir, même si ce miroir dérange".
Le style de Souleymane Cissé est difficile à catégoriser. Il puise dans les traditions narratives africaines tout en adoptant des techniques cinématographiques modernes. Ses films sont souvent caractérisés par un rythme contemplatif, des plans larges qui capturent la beauté des paysages africains, et une utilisation symbolique bien intelligente de la lumière et des couleurs. Tout au long de sa carrière, il a utilisé le cinéma pour aborder des questions politiques et sociales pressantes. Ses films dénoncent la corruption, l’oppression des femmes, et les conséquences du colonialisme. Cependant, contrairement à d’autres cinéastes engagés, Cissé évite le didactisme. Ses messages sont toujours enveloppés dans des récits riches et complexes, qui invitent le spectateur à réfléchir plutôt qu’à adopter une position prédéfinie.
ENTRE TRADITION ET MODERNITÉ
Lors des échanges, toujours hautement fructueux, Souleymane Cissé aimait souvent préciser et rappeler cette idée qui l’habitait toujours : « En faisant des films, je ne crée pas, mais je participe à quelque chose en allant récolter la poésie de la nature et de l’homme ». Et c’est bien « Yeelen » qui a constitué le pic de son style créatif, alliant tradition et modernité. Ce film qui a remporté, entre autres, le Prix du Jury au Festival de Cannes, est une œuvre magistrale qui mêle mythologie bambara, spiritualité et critique sociale. « Yeelen » (qui signifie "la lumière" en bambara) raconte l’histoire d’un jeune homme doté de pouvoirs magiques qui affronte son père, détenteur d’un savoir ancestral corrompu par le pouvoir (voir ma chronique du 22/05/2022).
Le film, qui a valu à Cissé une reconnaissance internationale, est une exploration visuelle et narrative de la tradition africaine, mais aussi une critique des structures de pouvoir et des abus d’autorité. Comme l’a noté le critique de cinéma Manthia Diawara : "Yeelen est un film qui transcende les frontières culturelles. Il nous plonge dans un univers à la fois familier et étranger, où la lumière et l’obscurité s’affrontent dans une danse hypnotique. Effectivement, dans ce film, il va jusqu’à utiliser des images oniriques et des séquences quasi abstraites pour explorer les thèmes de la connaissance et du pouvoir. Son approche visuelle est à la fois poétique et politique. Il confirme d’ailleurs qu’il cherche toujours à "créer des images qui parlent à l’âme, mais qui ne perdent jamais de vue les réalités sociales".
Finalement, Souleymane Cissé aura été bien plus qu’un réalisateur, mais bien un visionnaire qui a transformé le cinéma africain en une forme d’art respectée et admirée dans le monde entier. Ses films, à la fois poétiques et politiques, offrent une fenêtre sur les réalités complexes de l’Afrique tout en explorant des thèmes universels comme la quête de liberté, la lutte contre l’oppression, et la recherche de la vérité.
FILMOGRAPHIE DE SOULEYMANE CISSÉ (LM)
« La jeune fille (Den Muso) » (1975) ; « Le travail (Baara) » (1978) ; « Le vent (Finyé) » (1982) ; « La lumière (Yeelen) » (1987) ; « Le temps (Waati) » (1995) ; « Dis-moi qui tu es ? (Min Yé) » (2009) ; « O Ka » (2015).