Culture
Abdeljlil Lahjomri retrace le parcours de Chakib Benmoussa et esquisse le profil de l’académicien idéal
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La séance solennelle d’investiture de Chakib Benmoussa, membre de l’Académie du Royaume du Maroc par Abdeljlil Lahjomri, secrétaire perpétuel de l’Académie
Mercredi, l’Académie du Royaume du Maroc a connu la séance solennelle d’investiture de l’un de ses membres éminent, Chakib Benmoussa. Dans son discours d’accueil et d’investiture de celui qui est aujourd’hui haut-commissaire au Plan, le secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume, Abdeljlil Lahjomri, revenant sur le riche parcours de M. Benmoussa, a indiqué que pour celui-ci « le nouveau membre de notre Académie est d’abord un chercheur ayant fait ses preuves dans la discipline qui est la sienne. » Partageant aussi l’idée qu’un académicien doit être « porteur d’un projet, dans son champ d’action, qu’il réalisera et concrétisera, dans la nouvelle institution, au profit des doctorants, public privilégié de notre institution, pépinière de la nouvelle élite en gestation », M. Lahjomri a esquissé le profil de « l’académicien idéal » qui « serait en définitive en valeur ajoutée, en conseiller culturel, pour les dix chaires et instituts qui composent actuellement l’Académie du Royaume » pour in fine faire de l’Académie, en ce dixième anniversaire de sa renaissance, un espace de débats passionnants, une antenne d’alertes, par ses productions académiques fécondes, une aire d’engagement intellectuel sans compromis, un formidable instrument pour la sauvegarde et la préservation de notre identité nationale. »
Vous me voyez, ému, cher ami, à vous inviter à être des nôtres, partenaire convaincu que nous relèverons ensemble ce défi, et le réussirons ensemble.
C’est dans le contexte de la haute exigence intellectuelle de l’Académie su Royaume, que je me soumets, avec une amicale conviction, à cet exercice en espérant y parvenir et en remerciant notre nouveau confrère, Mr Chakib Benmoussa, de m’avoir confié cette responsabilité, combien délicatement obligeante et chaleureusement épineuse.
Un homme peut disert sur lui-même
Epineuse, parce que, rares sont ceux qui, bénéficiant de la Haute Bénédiction de Sa Majesté Le Roi que Dieu l’assiste, avant de nous rejoindre, se sont abstenus de s’aventurer dans le parler de soi, et ont fait du récit de leur vie, un débat public. Ils ont ainsi rendu périlleuse toute présentation de nature académiquement objective. Je ne me souviens pas que si Chakib Benmoussa ait été tenté par ce genre autobiographique si prisé aujourd’hui, ce qui facilite peu mon évocation de son parcours, le priant d’en excuser les lacunes qu’il y remarquerait.
Comme il s’agit de plus, d’un grand Commis de l’Etat, dont les qualités premières sont la modestie, la discrétion de soi, vous mesurez, chers confrères, combien la tâche qui m’incombe de brusquer son humilité est hardie et téméraire. Toutefois, s’agissant de mon ami Chakib Benmoussa, je n’ai pas hésité à prendre la liberté d’irriter son effacement volontaire et de tenter de cerner les plus importantes étapes de son parcours intellectuel, scientifique, administratif, professionnel, culturel, politique : et de faire le récit de son itinéraire rare et de sa trajectoire remarquable de finesse, impressionnante quand il s’agit d’expertise et de compétence.
Après un baccalauréat scientifique, Chakib Benmoussa entre en classes préparatoires au lycée Henri-Poincaré de Nancy en France. En 1976, il intègre l’Ecole polytechnique de Paris et l’Ecole Nationale des ponts et chaussées. Il obtient ensuite un diplôme d’études supérieures à l’Institut d’administration des entreprises de Lille et un Master en Science au Massachusetts Institute of Technology. De 1981 à 1983, Chakib Benmoussa est assistant de recherche au laboratoire d’hydrodynamique. Il est ensuite nommé responsable de la division « Méthodes de gestion » à la Direction des routes jusqu’en 1985, date à laquelle il devient ingénieur consultant au Bureau d’Etudes (Conseil ingénierie et développement), avant de devenir Directeur de la planification et des Etudes au Ministère de l’Equipement et des Transports jusqu’en 1987. De 1989 à 1995, il est Directeur des routes et de la Circulation Routière au sein du même Ministère. Puis, il est de 1995 à 1998, Secrétaire Général du département chez le Premier Ministre. Il deviendra Président-Délégué de Sonasid, et Président de Tanger Free Zone. En 2002, il est nommé Wali, Secrétaire Général du Ministère de l’Intérieur, et en 2006 il se retrouve responsable de ce même ministère. Il sera nommé pour quelques années Ambassadeur du Maroc en France. Ministre de l’Education Nationale, du Préscolaire et des Sports, il intègre notre institution, aujourd’hui, en tant que Haut-Commissaire au Plan.
La question est :
Devient-on avec un parcours aussi varié, éclectique, Serviteur Fidèle et dévoué d’un Etat en constante mutation face aux enjeux complexes du monde actuel, si l’on n’est pas muni, soutenu dans l’ampleur des responsabilités assumées, par une rigueur intellectuelle, et une singulière capacité à conjuguer vision prospective et expertise technique ?
Un parcours d’endurance et de résilience
Chakib Benmoussa a décidé de servir son pays, animé par un engagement absolu, inconditionnel, et de le faire avec constance en s’appropriant une approche méthodique, et en s’armant inlassablement, malgré les aléas inévitables du diktat de la performance, d’un impératif de discernement exigent, et surtout d’endurance.
Je suis convaincu, cher confrère, que c’est grâce à l’excellence de cette trajectoire académique que vous êtes parvenu à constituer un socle de pensée qui se voulait structuré, et surtout, que vous vouliez, conjugué à une aptitude de pertinence affirmée pour chercher et pour trouver des solutions efficientes à des problématiques souvent complexes.
Une expérience de terrain, nourrissant intelligemment une gestion pragmatique des événements et des choses, alliée à ce socle académique ample et fécond, constituera le double ancrage, qui vous conférera la légitimité de vous voir confier de hautes responsabilités dans l’élaboration des réformes et dans la contribution à des prises de décisions convaincantes.
C’est ainsi que, malgré votre discrétion, votre humilité, et votre effacement naturel, vous allez accepter, sans doute à contrecœur, de vivre et servir dans une visibilité parfois harassante et exténuante, et devenir un acteur-clé dans le processus de la modernisation des politiques publiques.
Ce socle d’expertises techniques, acquises au cours de votre parcours académique et administratif vous a doté d’une vision d’ensemble inestimable qui vous a préparé à assumer des charges prestigieuses dans des situations contraignantes, et stratégiques.
J’en retiendrai quatre, qui me semblent requérir prudence dans l’engagement, sens du discernement, et de la mesure, et, qui vous familiariseront avec l’endurance et la résilience.
La première responsabilité majeure à laquelle vous avez été confronté allait être la prise en charge d’un des secteurs administratifs les plus politiquement sensibles. Ministre de l’intérieur, c’est à une gestion plus modernisante de l’administration territoriale que vous allez penser, initiant des réformes qui visaient à simplifier les démarches, renforcer la décentralisation et déléguer des compétences aux autorités locales afin d’améliorer l’efficacité des services publics. L’objectif recherché par votre action, empreinte de souplesse, de perspicacité, et de clairvoyance, et surtout de pondération et de vigilance était de tenter de renforcer la gouvernance des régions et des collectivités locales et d’améliorer ainsi les relations entre les citoyens et l’Etat.
La deuxième responsabilité vous fera vivre une expérience inédite, peut être sans précédent dans l’histoire présente du Maroc. Intimement imprégné des enjeux de politique intérieure de votre pays, en tant que ministre de l’Intérieur, vous allez, comme ambassadeur, sans transition avoir à défendre et à illustrer sa politique étrangère à Paris, capitale de la France, pays lié au Maroc par une politique de voisinage et d’amitié séculaires. Politique, intensément riche dans tous les domaines, économique, social, culturel, historique. Une relation parfois tumultueuse, souvent sereine et prometteuse dans le respect et l’affirmation mutuels d’une coopération durable en faveur de la paix, au Maghreb, en Europe, en Afrique, dans le monde. C’est en effet peu commun qu’un grand Commis de l’Etat combine ainsi une connaissance du fonctionnement intime de deux sociétés, des subtilités de leurs rouages internes et externes et de la singularité des liens qui les lient. Ce qui justement fera de vous un artisan du renforcement de ces liens, essentiellement dans le domaine de l’énergie et du numérique, participant aussi avec talent aux grandes négociations sur des sujets économiques, entre autres, dans le cadre des accords internationaux essentiellement européens.
Du cinquantenaire au nouveau modèle du développement
C’est muni d’une fine technicité et d’une habile compétence que vous sera confié par Sa Majesté le Roi que Dieu l’assiste, la présidence de la Commission Spéciale sur le nouveau Modèle de Développement, chargée de repenser et de proposer une vision opérationnelle de croissance pour un Maroc plus prospère et plus inclusif. Le rapport final de cette commission sera publié en Mai 2021 et sera salué pour sa rigueur, la justesse des pistes proposées et son approche participative dans la dynamique des échanges, du dialogue et de débats. C’est dans cette enceinte même qui vous accueille, cher Confrère, aujourd’hui, que ces débats se sont déroulés. C’est dire combien ces lieux vous sont familiers et combien vous êtes habitué aux controverses qui souvent s’y déroulaient, houleuses et agitées.
Il y a bien eu le « Rapport du Cinquantenaire » publié sous le titre « Le Maroc Possible » qui se voulait une analyse rétrospective des cinq décennies écoulées depuis l’indépendance, qui a esquissé toutefois quelques perspectives à retenir. Il visait surtout à fournir une base de connaissances pour enrichir le débat national, puissant des leçons des expériences passées réussies ou non pour cerner les pistes de réflexion et d’actions à conseiller pour les temps à venir. (Permettez-moi ici d’ouvrir une parenthèse pour rendre hommage à celui qui a piloté avec professionnalisme la centaine de chercheurs et d’experts qui ont œuvré sous sa conduite habile et sûre la rédaction des 75 études couvrant les divers aspects du développement de notre pays. J’ai nommé le Conseiller Abdelaziz Meziane Belfkih, que Dieu l’ait en sa miséricorde, homme d’Etat, serviteur dont la capacité de travail était impressionnante de rigueur, et de persévérance).
« Le Rapport du Cinquantenaire » n’avait pas pour ambition d’esquisser un modèle de développement. Il pointait certes les progrès accomplis, signalait les limites et recommandait surtout la mise en œuvre d’une initiative plus ambitieuse qui réajusterait la feuille de route dans laquelle le pays s’était engagé. Il proposait de plus une offre de débats et de réflexion pour l’élaboration, d’une vision, d’un modèle repensé, refondu, réactualisé, réarmé, en vue notamment de réduire les inégalités sociales et territoriales, d’ériger la justice sociale comme fondement d’une morale de vie saine et sereine, de satisfaire les besoins croissants des citoyens à partir d’axes d’une actualité, éclatante :
- Une économie productive et diversifiée
- Un capital humain renforcé
- Une inclusion et une cohésion sociale harmonieuses
C’est à vous qu’incombera, que reviendra la tâche d’établir cette feuille de route, d’élaborer ce nouveau modèle de développement qui placera l’humain au centre des politiques, soulignant l’importance de la valorisation du capital humain comme moteur primordial de prospérité et d’équité. Elle insistera sur le fait que l’investissement dans l’éducation et le développement des compétences est non seulement un levier de croissance économique, mais également un fondement pour la construction d’une société plus juste, plus égalitaire, et plus inclusive.
Privilégiant en effet le renforcement du capital humain, le modèle que votre équipe propose, signalera avec insistance que la réalisation de cet objectif dépendra de l’établissement de mécanismes concrets garantissant une correspondance effective entre les formations proposées et les besoins du marché du travail, tout en favorisant une éducation qui sollicite la pensée critique, favorise la créativité, encourage et promeut l’engagement civique.
Le défi de l’éducation
Votre parcours, cher confrère, s’inscrivant encore une fois, sous l’égide de l’inédit, c’est à vous, animateur reconnu de l’équipe conceptrice de ce nouveau modèle de développement, instigateur convaincu d’une formation renforcée dans sa modernité, qu’il sera demandé de relever en tant que ministre de l’éducation nationale, un défi dont l’ampleur n’échappe à aucun observateur de la chose publique.
Fort des axes et des finalités que la loi-cadre relative au système d’éducation de formation et de recherche scientifique adoptée par le parlement en 2019, instaure comme pacte entre les acteurs politiques, sociaux et économiques et intimement imprégné de la vision du Nouveau Modèle de Développement que vous avez conçue, vous allez courageusement initier à partir de ce poste éminemment sensible les réformes qui vous paraissaient majeures et incontournables. En premier lieu : moderniser les infrastructures scolaires, ensuite renforcer en particulier l’enseignement des sciences et des technologies. En définitive et à juste titre ; trois secteurs vont vous sembler nécessiter une action urgemment maîtrisée : une refonte des curricula, une amélioration de la gouvernance des établissements et une valorisation accrue des enseignants.
Au Maroc, les attentes vis à vis du système éducatif sont immenses et comme dans tout autre pays, elles visent l’excellence académique, la conciliant avec l ‘intégration sociale tout en essayant de garantir une adéquation entre formation et exigences du marché du travail, comme explicité précédemment. Si on ajoute à cela que l’école doit se positionner comme un espace de transmission des valeurs démocratiques, des valeurs d’apprentissage dans une approche critique, il n’échappera à personne qu’elle devient une quête de modernité qui doit impérativement intégrer les référents culturels propres à notre identité. La tâche est colossale. L’enjeu, pour toute autorité gouvernementale chargée du secteur éducatif dans presque toutes les sociétés, est toujours double : restaurer la confiance dans l’institution scolaire et renforcer son rôle en tant que creuset salutaire d’une citoyenneté apaisée. Et les controverses, souvent, s’avèrent malheureusement mouvementées et improductives.
D’autres se consacrent maintenant à relever ces défis. Vous rejoignez vos confrères académiciens, aujourd’hui par la Volonté Royale avec une autre casquette : Président du Haut-Commissariat au Plan (Permettez-moi de profiter de cette opportunité pour saluer et rendre hommage à notre ami Si Lahlimi, votre prédécesseur pour l’excellent travail qu’il a accompli). D’aucuns considèrent cette fonction comme une responsabilité uniquement technicienne. Elle n’en est pas moins à mon avis, politique, centrale, éclairante et illustrante. Aussi, contraignante et prégnante que celles que vous avez précédemment assumées.
J’ai longtemps réfléchi à comment conclure mon allocution de présentation pour votre investiture. Résumer votre parcours aurait été répétitif, même si cette présentation est loin d’avoir épuisé toutes vos qualités. Je choisis de commencer en premier lieu par annoncer le titre de votre leçon d’investiture. « LA TRANSFORMATION DE L’EDUCATION EN TANT QUE DETERMINANT DU CONTRAT SOCIAL ». En second lieu de reprendre les mots que vous m’avez confiés qui faisaient le portrait du nouveau membre de notre institution dans la nouvelle reconfiguration souhaitée par son Protecteur Sa Majesté Le Roi, que Dieu l’assiste, mise en place grâce à votre concours, et à votre participation active à la commission préparatoire prévue par la loi 74-19.
Vous m’avez affirmé que, pour vous, le nouveau membre de notre Académie est d’abord un chercheur ayant fait ses preuves dans la discipline qui est la sienne.
Il est aussi porteur d’un projet, dans son champ d’action, qu’il réalisera et concrétisera, dans la nouvelle institution, au profit des doctorants, public privilégié de notre institution, pépinière de la nouvelle élite en gestation.
Cet académicien idéal serait en définitive en valeur ajoutée, en conseiller culturel, pour les dix chaires et instituts qui composent actuellement l’Académie du Royaume.
Vous m’avez tracé ainsi un portrait tellement séduisant que vous êtes parvenu à me convaincre que nous pourrons, solidaires refuser le fléchissement, faire de notre Académie, en ce dixième anniversaire de sa renaissance, un espace de débats passionnants, une antenne d’alertes, par ses productions académiques fécondes, une aire d’engagement intellectuel sans compromis, un formidable instrument pour la sauvegarde et la préservation de notre identité nationale.
Vous me voyez, ému, cher ami, à vous inviter à être des nôtres, partenaire convaincu que nous relèverons ensemble ce défi, et le réussirons ensemble.