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L'émergence du Mercosur et le gâchis de l'UMA - Par Khalid ATTOUBATA
L’émergence du Mercosur est du ‘’fait que les pays sud-américains font passer leurs intérêts économiques et commerciaux et le bien-être de leurs peuples respectifs avant les différends territoriaux et idéologiques" (Expert brésilien)
Par Khalid ATTOUBATA (MAP)
Brasilia - Le Brésil et le Paraguay viennent d’inaugurer les travaux d'un pont international sur la Route biocéanique qui va relier le port brésilien de Santos, sur l'Atlantique, à deux terminaux chiliens sur le Pacifique (Antofagasta et Iquique), à travers les territoires paraguayen et argentin. Un ouvrage parfait qui reflète une intégration régionale réussie.
Le projet faramineux est un nouveau jalon de l’intégration régionale dans le cadre du Mercosur et bien au-delà. Les pays sud-américains sont en train de réussir là où les pays du Maghreb, pour cause de calculs étriqués d'un autre âge, ont échoué jusqu’à présent.
Pourtant l’Union du Maghreb Arabe (UMA) a été un projet précurseur, né le 17 février 1989 à Marrakech d’une volonté d’intégration qui n’était qu’une évolution naturelle de sociétés que tout unifiait et d’une conviction que cette union est un gage de co-progrès et de prospérité collective.
Ce n’est que deux ans plus tard que l'Argentine, le Brésil, le Paraguay, l'Uruguay en plus du Venezuela signaient le traité d’Asunción portant création du Mercosur (Marché commun du sud).
Le Mercosur, le sens du pragmatisme
Depuis, les pays membres et associés (Chili et Bolivie) sont parvenus à réaliser une percée dans plusieurs domaines, alors que de l’autre côté de l’Atlantique, l’UMA fait du sur place à cause de pesanteurs idéologiques héritées de la guerre froide et l'entêtement de l’Algérie à semer des obstacles à l’intégration maghrébine, au grand dam des peuples de la région.
Il y a lieu ici de s’interroger pourquoi le projet de la Route bioécanique (2.396 kilomètres) - qui rappelle curieusement l’autoroute Lagos-Tanger, une infrastructure ambitieuse dont le Maroc a été l'initiateur et le plus grand défenseur - est en marche, tandis que piétinent les projets maghrébins ?
Une autre question s'impose légitimement : pourquoi ces pays ont rapidement tourné les pages de guerres douloureuses, notamment celle de la Triple-Alliance, alors qu'en 2021, le ministre algérien des Affaires étrangères se délectait en annonçant la rupture unilatérale des relations avec le Maroc ?
La réponse à ces deux questions fondamentales aiderait à comprendre les desseins derrière le coup d’arrêt donné à un groupement régional dont le manque à gagner a été maintes fois chiffrés. Le coup du non-Maghreb est exorbitant.
L'expert brésilien en relations internationales, Altair de Sousa Maia, explique que "dans le cas de l'UMA, la politique compromet l’intégration. Au sein du Mercosur, au contraire, il y a une certaine tendance au compromis et au pragmatisme. C’est ce qui fait que les pays sud-américains font passer leurs intérêts économiques et commerciaux et le bien-être de leurs peuples respectifs avant les différends territoriaux et idéologiques".
Les discordes entre les pays sud-américains sont nombreux et complexes, mais ils n'ont pas empêché ces pays à aller dans l'avant dans le processus d'intégration. Ni les conflits frontaliers récurrents entre l’Argentine et le Chili, ni les rivalités historiques entre l'Argentine et le Brésil et encore moins la mésentente entre le Brésil et le Paraguay sur l’exploitation des ressources frontalières n'ont freiné les projets d’intégration.
Ces désaccords n’ont jamais conduit à la confrontation ou à la rupture, parce que les leaders de ces pays sont conscients que l'avenir de leurs peuples est dans le co-développement de toute la région.
Un succès qui nous renvoie l’image hideuse de nos échecs
Au moment où l’Algérie annonçait, tambours battants, la fermeture du gazoduc Maghreb-Europe, et tente de saboter le projet du gazoduc maroco-nigérian, l’Argentine et le Brésil s’engagent en cette fin 2021 à terminer dès 2023 un gazoduc qui reliera des champs gaziers dans la Patagonie argentine avec le Brésil et qui deviendra "le projet binational le plus important de l'histoire" des deux pays.
Le futur gazoduc devra relier les champs gaziers de Vaca Muerta, dans la province de Neuquén (1000 km au sud-ouest de Buenos Aires) et la frontière nord avec le Brésil.
Mettant de côté des ressentiments historiques, Buenos Aires juge ainsi prioritaire la prospérité de son peuple et celui du voisin brésilien, qui compensera avec le gaz argentin, la baisse des importations de gaz de Bolivie et le déclin de l’énergie hydroélectrique en raison d’une sécheresse de plus en plus fréquente.
Faisant le parallèle avec le Maghreb, l'ancien professeur à l'université catholique de Brasilia souligne que "le manque d'intégration au Maghreb est d’autant plus un gâchis que les pays de la région disposent de tous les atouts et les ingrédients pouvant garantir une parfaite complémentarité".
Les manifestations de ce gâchis sont très nombreuses. Au plan de l’interconnexion électrique, qui fait l’objet de considérations politiques mesquines chez le régime algérien, l’expérience des pays sud-américains mérite qu'on s'y arrête. Le Brésil et le Paraguay ont célébré récemment le 48è anniversaire de la signature du Traité d'Itaipu (26 avril 1973) qui a donné lieu à la construction du barrage du même nom, le deuxième au monde en termes de capacité installée devenu un levier de co-émergence.
La création de la société Itaipu Binacional pour gérer la construction et la gestion de la station hydraulique a permis de transformer la région à jamais. Le projet est présenté comme un modèle d’intégration énergétique, pas seulement en terme d'ingénierie mécanique, civile et électrique, mais aussi de l'ingénierie diplomatique, qui garantit l'égalité de traitement entre deux pays indépendants et résolus à transcender des conflits séculaires.
Depuis 1994, date à laquelle l'Algérie a fermé ses frontières avec le Maroc, le Mercosur a réalisé nombre de progrès en matière de mise en place de la zone de libre échange et du Tarif Extérieur Commun, de facilitation de la mobilité et de la résidence, d'entraide en matière sécuritaire et de convergence structurelle entre les partenaires. Au Maghreb, l'Algérie a fait de la promotion des divisions et du séparatisme une politique d'Etat, d'une manière pathétique.
"Le polisario est l'obstacle majeur à l’émergence de l’UMA. Une nouvelle entité fragile et perméable au sein du Maghreb, serait catastrophique pour la région, aussi bien au niveau de l’intégration régionale qu’en termes sécuritaires. Ce projet n'est dans l'intérêt de personne", fait observer l'expert international.
Et d'insister que "l’Algérie doit en effet comprendre que le polisario et tout projet séparatiste est une menace pour tous les pays du Maghreb et un problème qui hypothèque la croissance, le progrès et l’avenir des peuples de cette région, y compris celui du peuple algérien".
Malgré l'océan qui les sépare, les régions maghrébine et sud-américaine ne sont pas si différentes théoriquement. Les mêmes projets d'intégration ont été tentés des deux côtés de l'Atlantique. Sauf qu'en Amérique du sud, il n'y a pas un Etat militarisé qui continue de déployer son appareil diplomatique et mobiliser les ressources de son peuple pour faire durer le statu quo, parce que la survie du régime militaire d'Alger en dépend.