International
La contagion jihadiste hors du Sahel renseigne sur les limites de l’intervention française au Sahel
Les troupes françaises au Sahel, en place depuis janvier 2013
Quid avec AFP
Bénin, Togo, Cote d'Ivoire... la violence jihadiste qui ravage depuis des années la région du Sahel déborde toujours plus vers les pays côtiers du Golfe du Guinée, phénomène qui va se poursuivre et qui pose un défi urgent aux gouvernements..
Différents experts et responsables interrogés par l'AFP au Forum international de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique, rapporte l’agence française, alertent sur la tendance à une propagation depuis le foyer constitué par le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Les médias français cherchent-ils ainsi à amplifier un phénomène à un moment où la cote d’amour de la France dans ces régions est à la baisse ? Le doute est permis.
Sous couvert d’anonymat injustifié, un « haut responsable africain », confie que ‘’cela n'a fait que commencer, cela va continuer, cela va s'accélérer".
Un diplomate européen, lui aussi sous couvert d’anonymat, affirme que "la métastase a commencé et probablement plus qu'on ne le sait, et plus que les autorités de ces pays seront prêtes à l'admettre, en tout cas publiquement".
Plus pondéré, le tchadien Annadif Mahamat Saleh, représentant spécial chargé du Bureau des Nations Unies pour l'Afrique de l'Ouest et le Sahel (ONU-UNOWAS) a parlé, lui, au Forum du " risque que nous voyons de plus en plus […] celui de voir ce qui se passe au Sahel se transférer aux pays côtiers".
Depuis quelques années, à intervalles réguliers, des attaques attribuées aux jihadistes frappent des pays situés hors du cœur du combat mené au Sahel.
Cette poussée "se traduit depuis maintenant plusieurs mois par des affrontements armés dans le nord de la Côte d'Ivoire et depuis quelques jours par les premiers affrontements avec les forces armées béninoises", explique le général, français, Michel Delpit, à la tête des éléments français au Sénégal (EFS).
"On voit des signes concrets de cette avancée, comme l'attaque récemment survenue au Bénin, même si le groupe qui en est l'auteur n'a pas encore été identifié. Il y a quelques semaines également, une attaque au nord du Togo, couplée à des rumeurs sur la présence d'éléments de l'EIGS (l'Etat islamique au grand Sahara, ndlr) dans cette zone, a mis en avant le risque d'expansion de la menace jihadiste dans le pays", explique Pierre-Elie De Rohan Chabot, chercheur sur le Sahel à l'International Crisis Group.
"Au début de la crise sahélienne vers 2014, les pays côtiers se considéraient en dehors de la zone où le jihadisme pouvait se propager", rappelle Bakary Sambe, directeur régional du Timbuktu Institute. "Malheureusement, ils sont dans une culture du déni" notamment pour continuer à attirer les investissements étrangers et la manne touristique, ajoute-t-il.
Stade avancé
Le problème est que la poussée jihadiste, même si elle ne se traduit pas par des attaques massives, en est déjà à un stade avancé.
"La violence est la phase finale du cycle de l'implantation", explique Alain Antil, directeur du centre Afrique subsaharienne de l'Ifri. "Quand on la voit éclater, en réalité, ils sont là depuis au moins un an, ils ont essayé de trouver des alliés. Ils ont étudié la zone, vu ses fragilités, les ressentiments entre certaines communautés ou envers l'Etat central".
"Par exemple, à des éleveurs qui ne se sentent pas protégés par les autorités, ils vont proposer une protection contre l'utilisation de leurs terres par d'autres communautés, qui elles bénéficient de protections étatiques".
Face à la menace grandissante, les Etats côtiers s'organisent, notamment avec l'initiative d'Accra lancée en 2017 par le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, le Ghana et le Togo, pour renforcer leur coopération sécuritaire.
"Le Togo a adopté sa première Loi de programmation militaire récemment, la Côte d'Ivoire et le Burkina Faso ont mené plusieurs opérations militaires conjointes ces derniers mois, et la Côte d'Ivoire vient d'acheter deux avions pour renforcer sa capacité", rappelle M. de Rohan Chabot.
Mais pour Bakary Sambe, ces pays "ont raté le coche de la prévention". "Dans le Sahel, on s'est concentré sur la lutte contre le terrorisme par des moyens militaires pour éliminer des cibles en oubliant qu'elles peuvent se régénérer, alors que prévenir c'est s'attaquer aux causes structurelles" en apportant des réponses économiques, sociales, judiciaires aux problèmes de certaines parties de la population.
Dans cette propagation, "il y a bien sûr de la grande géopolitique, des courants wahhabites, etc, mais aussi des micro-conflits qui se contaminent, on est au niveau du terroir, ce sont des insurrections jihadisées, et dans certains cas, si l'Etat intervenait à temps, cela se réglerait", abonde M. Antil.
Pour ces groupes, un des intérêts à se propager ainsi vers la côte est d'avoir un accès maritime. "L'extension vers les pays du Golfe répond aussi à l'impératif d'avoir des couloirs logistiques, pour s'approvisionner en biens, se ravitailler", explique M. Antil. "Une opportunité pour mieux se connecter aux autres formes d'économie criminelle", pour M. Sambe.
Face à ce panorama, le diplomate européen juge que "2022, c'est le moment pour discuter et réussir à faire une sorte de +barrière sociale+" contre ces mouvements.
Reste que l’ensemble de ce constat, pour vrai qu’il est, s’il tend à inquiéter, voire à remobiliser autour de Paris les Etats de la région, résonne quasiment comme l’aveu des limites de l’intervention française au Sahel qui a commencé ouvertement au Mali avec l’opération Serval, il y a huit ans déjà.