Toilettes rudimentaires: en Afrique du Sud, des enfants se noient

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Oratile Diloane, 12 ans, dans la cour de sa maison familiale à Kanana, dans une zone rurale de la province du Nord-Ouest, le 20 juin 2023. Oratile Diloane n'avait que cinq ans lorsqu'il a glissé dans un trou rempli d'excréments humains et a été sauvé par un jardinier à l'aide d'une corde. Il a peut-être survécu à la noyade, mais les blessures subies à l'école maternelle en mai 2016 lui ont causé de graves lésions cérébrales. (Photo par Luca Sola / AFP)

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Oratile Diloane, 12 ans, est incapable de s'exprimer clairement. Lorsqu'il retire son bonnet, il dévoile une large cicatrice sur le crâne: il vit avec les séquelles d'une chute dans les toilettes rudimentaires de son école d'un coin rural d'Afrique du Sud.

Une dalle de béton, un simple trou et une fosse de trois mètres dans laquelle tombent les excréments: les latrines ouvertes sont encore couramment utilisées dans les zones reculées et déshéritées du pays, classé le plus inégalitaire au monde par la Banque mondiale en 2022.

"Héritage de l'apartheid", ces sanitaires, décriés pour être régulièrement à l'origine de graves accidents, sont le signe de disparités encore tenaces, 30 ans après la fin du régime raciste, estime Sibusiso Khasa, de l'ONG Amnesty International.

Selon les chiffres officiels, plus de 3.300 des 23.000 écoles publiques du pays en sont encore dotées. Mais le manque d'infrastructures décentes est aussi le résultat de l'échec des gouvernements successifs à garantir les mêmes droits pour tous, souligne M. Khasa.

Le gouvernement en fait régulièrement la promesse: En 2018, le président Cyril Ramaphosa avait annoncé le déblocage d'un demi-million de dollars pour éradiquer en deux ans les latrines à fosse. Récemment, la ministre de l'Education Angie Motshekga a fixé un nouvel horizon à 2025.

"Le fait qu'ils ne respectent pas leurs propres échéances est un indicateur flagrant du manque de volonté politique", estime M. Khasa.

A l'école primaire du village de Kanana, à 180 kilomètres au nord-ouest de Johannesburg, les toilettes à fosse ont été remplacées depuis l'accident d'Oratile.

Sa mère Refilwe Diloane, 46 ans, raconte à l'AFP "les bleus et la tête enflée" de son fils, sauvé de justesse, et les "matières fécales" sortant de sa bouche.

"Tué mon enfant" 

Elle évoque en souriant tristement le souvenir d'un enfant vif et en pleine santé, qui "aurait pu être le prochain président". L'accident "a tué mon enfant", dit-elle en larmes.

Oratile souffre aujourd'hui d'hydrocéphalie, un trouble perturbant le fonctionnement cérébral, mais aussi d'épilepsie et d'autisme. Il a subi une opération en 2018 mais ses pertes de mémoire subsistent.

Incapable de se rappeler son âge, il se souvient pourtant de ce qui lui est arrivé: "Je suis tombé dans les toilettes" et le jardinier de l'école "est venu me sortir".

Un ours en peluche dans les bras, il fait des allers-retours, entre et sort de la maison. Il parle tout seul en laissant de temps en temps échapper un rire.

Au volant d'un mini-van, Emmanuel Mantlathi ralentit dans la rue poussiéreuse. Il klaxonne et fait un signe au petit garçon qu'il avait l'habitude de conduire à l'école chaque matin.

En mars, une fillette de quatre ans est morte dans les toilettes à fosse d'une école dans le sud du pays. En avril, une autre âgée de moins de deux ans a péri dans les mêmes circonstances, dans l'arrière-cour d'une maison d'une autre province.

Contacté par l'AFP, le ministère de l'Education n'a pas donné suite.

Ces dernières années, des groupes de défense des droits et des familles ont attaqué le gouvernement en justice. En 2019, un tribunal l'a condamné à verser l'équivalent de 68.000 euros à la famille de Michael Komape, mort d'une chute dans des toilettes ouvertes en 2014. Il avait cinq ans.

"On a peur pour nos enfants", dit Lebogang Lebethe, 48 ans et mère de quatre enfants, occupée à biner les patates douces dans son jardin. Sa maison jouxte celle de la famille Diloane. Un de ses fils était dans la même classe qu'Oratile à l'époque de l'accident.

Quand "nous laissons nos enfants à l'école, nous pensons (...) qu'ils sont en sécurité. Une histoire comme celle-là est dévastatrice". (AFP)